Les experts de la presse ivoirienne ont déploré un environnement médiatique difficile

Publié le 25 janvier, 2021

Depuis 2005, le chiffre d’affaire de la presse ne cesse de chuter de façon vertigineuse en Côte d’Ivoire. Officiellement, il est tombé de 67%, en 15 ans ! La presse peut-elle rebondir ?

La presse ivoirienne va mal. Et aucun panéliste n’a nié cette réalité ce vendredi soir du 22 janvier 2020 à l’hôtel Président de Yamoussoukro. L’Union nationale des Journalistes de Côte d’Ivoire (UNJCI), y avait rassemblé les sommités du milieu des médias pour réfléchir sur l’avenir. Cette tribune de réflexion était l’une des innovations de la 22 e édition des Ebony. Quand le président de l’Autorité nationale pour la presse (ANP) exposait le tableau sombre d’un chiffre d’affaire passé de 6 milliards en 2005 à moins de 2 milliards de nos francs en 2020, le parterre de journalistes l’écoutait religieusement. En un quart d’heure, Samba Koné a diagnostiqué l’état des médias traditionnels, notamment la presse imprimée, qui n’est plus viable pour supporter ses charges, dont les plus importantes sont les salaires. « Quand on regarde les chiffres des journalistes titulaires de la carte professionnelle (environ 450 journalistes), c’est une charge mensuelle de 120 millions F CFA par mois. L’ensemble des journalistes ivoiriens pèsent 120 millions de F CFA par mois », révèle le président de l’ANP. Selon Edipress, l’entreprise en charge de la distribution des journaux, l’ensemble des journaux n’atteignent pas cette somme de 120 millions dans leur vente.

Dans le détail, le président l’ANP, n’a-t-il pas expliqué qu’un quotidien qui tire 5000 exemplaires, comme c’est le cas pour la plupart des journaux ivoiriens, a une charge mensuelle de près de 13 millions 500 mille F CFA ? Et que pour équilibrer son compte d’exploitation cette entreprise devra vendre chaque jour 3000 exemplaires ? Dans les faits, on ne vend qu’à peine 500 exemplaires sur les 5000 tirés. « Je ne vous dis pas le désastre que cela fait au niveau de la trésorerie de l’entreprise », se désole le président de l’ANP.

Pour la journaliste écrivaine Agnès Kraidy, cette masse salariale révèle déjà « la grande misère des journalistes ». L’auteure de « Les Affranchis du sort » propose d’axer la réflexion sur l’avenir du journaliste lui-même plus que la presse en général.

Migrer vers le numérique

Cette mauvaise santé de la presse en Côte d’Ivoire a des causes bien profondes. Des causes structurelles. « Nous ne sommes plus dans le domaine exclusif où l’entreprise doit se contenter uniquement de produire des articles pour alimenter des kiosques tous les matins. Certes, cette activité éditoriale demeure le cœur de l’entreprise de presse, mais à elle seule, elle ne saurait assurer la pérennité de l’outil de production loin s’en faut », interpelle Samba Koné. Pour lui, les temps ont changé et il faut s’en accommoder. Il ne s’agit plus de créer une entreprise de presse. Mais, il faut le faire selon les règles légales de création, de management de l’entreprise de presse. Cela suppose, selon Samba Koné, « de disposer d’un compte prévisionnel à court, moyen et long terme ; d’opter pour un mode de financement approprié, d’adopter une démarche marketing en vue de cerner le marché d’en suivre l’évolution des usages en matière d’acquisition des marchés et de s’y adapter au fil du temps ». En effet le président de l’ANP considère que l’environnement concurrentiel dans lequel se trouve la presse, exige des promoteurs, qu’ils s’assurent d’un financement sur plusieurs années. « Pour conquérir des parts de marché dans cet environnement concurrentiel, l’entreprise doit disposer d’un budget d’exploitation qui permette de répondre aux charges traditionnelles de fonctionnement, les charges de production, les charges d’impression, et les charges de la messagerie », exhorte-t-il. Invitant les uns et les autres à ne plus se contenter du traditionnel modèle économique basé sur la publicité et la vente. « Le crieur au coin de la rue, de même que les kiosques à journaux paraissent une procédure révolue. Aujourd’hui, il faut aller chercher le lecteur où il se trouve. Il faut repenser complètement la distribution, parce que le lecteur d’aujourd’hui ne va plus chercher l’information. Elle vient à lui. Et la presse doit se conformer à cette façon de voir », exige Samba Koné.

Attacher Garder

A propos de la distribution, le journaliste-écrivain, André Sylver Konan, révèle un phénomène nocif à certaines organes. « Un revendeur grossiste peut décider de ne pas vendre un journal. Il peut décider de l’attacher et de le garder. Vous pouvez faire le plus beau journal du monde, mais deux ou trois revendeurs grossistes peuvent décider de ne pas le distribuer. Le système dans leur jargon, c’est AG (Attacher et Garder) ».  Une question qui pose la question de la migration vers le numérique. C’est en tout cas l’avis du ministre-gouverneur du district de Yamoussoukro, hôte des journalistes. « N’est-il pas bon de réfléchir à un autre support ? Est-ce que ce n’est pas le moment de sortir de la presse imprimée ? », s’est interrogé Augustin Thiam, non sans se présenter comme un consommateur de presse.

Malgré toutes ces difficultés, André Sylver Konan croit fermement que la presse a encore de bons jours devant elle en Côte d’Ivoire. « La presse a même un bel avenir », se dit-il convaincu. Aussi invite-t-il tous les acteurs de la presse à intégrer les conseils du président de l’ANP en ce qui concerne la gestion entrepreneuriale et la maitrise d’outils techniques. « L’essentiel n’est pas de créer un site internet et d’y placer les meilleurs contenus », prévient-il ASK : « Il y a par exemple les revenus Google qu’il faut savoir maitriser. Il faut savoir se faire payer par ces moteurs de recherches.  Le manager de l’entreprise de presse doit pouvoir comprendre cet écosystème ». Mais ASK refuse de douter sur l’avenir de la presse en Côte d’Ivoire.  « La presse ivoirienne va rebondir. Et elle réussira à rebondir très fort », invite-t-il à espérer.

Ténin Bè Ousmane

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