Spécialiste des questions de l’éducation, le Docteur en sociologie Vasséko Karamoko invite les femmes à se faire entendre.

Publié le 8 juin, 2020

Spécialiste des questions de l’éducation, le Docteur en sociologie Vasséko Karamoko invite les femmes à lutter et à faire entendre leur voix au près des pouvoirs publics pour changer le regard de la société sur la femme monoparentale. Interview.

Avez-vous en tant que sociologue déjà réalisé une étude sur les femmes monoparentales ?

Je n’ai pas réalisé d’étude. Cependant il y a une de nos étudiantes qui a travaillé sur les recompositions familiales, une autre forme de vie familiale.  Là-dedans on a pu constater que la marge, le pourcentage au niveau de la monoparentalité a évolué et continue d’évoluer dans le temps et dans l’espace compte tenue de nos sociétés et des perceptions que les acteurs se font.

Existe-t-il des statistiques ?

Les statistiques à ma disposition ne viennent pas de cette recherche. Compte tenu de la structure et de la configuration de nos sociétés, dites sociétés de la modernité aujourd’hui, la monoparentalité fait partie des formes de vie familiale. Nous avons plus de 20% de familles monoparentales, en l’an 2005 contre 10% en 1982, selon les recherches de Jean- Hugues Déchaux dans son livre Sociologie de la famille. Ce livre nous donne une évolution très rapide de ce que la monoparentalité est en train de s’imposer comme une forme de vie familiale. On a pour exemple la famille conjugale écrite en 1960 par Emile Durkeime qui était le modèle de la première modernité. Aujourd’hui, nous sommes dans le contexte de la deuxième modernité où la monoparentalité tout comme l’homoparentalité (femme et femme ou homme et homme qui élèvent l’enfant). Ce sont des formes de vie familiales qui sont de plus en plus distinctes dans nos sociétés et qui ont tendances à faire disparaitre la famille traditionnelle, hétérogène femmes et hommes vivants sur un même toit. Il y a une évolution de toutes ses formes de vie familiale. 

Cette pratique est beaucoup récurrente en Côte d’Ivoire, comment expliquez-vous cela ?

Il faut aller à l’origine des transformations sociales concernant la famille. La naissance de la famille part de ce qu’on appelle famille traditionnelle qui avait une assise communautaire ou les individus n’avaient d’autres sens que de se battre pour l’image de la famille. Avec les discours sur les questions de libertés, l’individualisme, consistant à s’imposer au sein de la famille, on est passé de la famille traditionnelle, de la famille parentale à toutes les formes de familles conjugales.  Dans les années 1960, le regard était plutôt porté sur le devenir des individus à l’intérieur de ces familles, contrairement à la famille traditionnelle où le regard était porté sur l’entretien de l’image communautaire des individus.  Maintenant, c’est le renversement total. C’est le groupe qui devra chercher à soutenir l’individus dans la famille. Cette forme aussi a évolué avec le développement de l’individualisme ou par exemple la structure des familles devrait reposer sur deux valeurs. L’indépendance et l’autonomie. Ces deux principes ont fait évoluer les dynamiques familiales.

Pourquoi nos sociétés ont encore du mal à accepter la femme monoparentale ?

Il faut contextualiser quand on parle des sociétés. En Europe, cela fait partie des pratiques régulières. Même dans nos sociétés aujourd’hui, qui sont le reflet des sociétés modernes, nous partageons les mêmes normes. L’individualisme et l’autonomie recherchés par les acteurs à tendance à s’imposer aussi bien dans les familles. Du coup, il y a une rupture avec la famille traditionnelle et les jeunes filles, les femmes ont tendances à construire leur autonomie. Il y a de plus en plus de distance entre le mariage et l’amour. Les gens par les projets d’individualisation ont tendance à s’imposer comme acteurs dans ce qu’ils veulent faire. Dans le cadre de la première modernité ou les valeurs étaient l’amour dans le mariage, ensuite le choix du travail était fait par l’homme, le regard était aussi centré sur l’éducation de l’enfant. Dans la deuxième modernité, les questions de l’amour dans le mariage ont commencé à prendre un coup du fait que chacun pense à ce qu’il peut devenir à l’intérieur de la famille.

 Les enjeux et les intérêts changent, ce qui fait que la poursuite des intérêts met en cause la question de l’amour dans le mariage. Lorsqu’il y a des tensions autour de la compréhension qui concernent la perception de l’amour, du partage des rôles, la rupture s’impose et puis chacun s’autonomise par rapport à la position qu’il a.  Dans la deuxième modernité, les femmes ont dit qu’elles pouvaient aussi travailler tout comme l’homme. Cela a établi un rapport d’équilibre. Ça modifier les rapports à l’intérieur de la famille.

Avant, ces femmes qui élevaient seules leurs enfants étaient mal vues dans la société.  Mais elles semblent de plus en plus fières d’exercer cette mission parentale. D’où tirent-elles maintenant cette confiance ?

Du fait que cette deuxième modernité est aussi soutenue par nos législations. En France, une femme monoparentale reçoit des subventions de l’Etat pour subvenir aux besoins de l’enfant. Dans nos sociétés peut être qu’il n’y a pas ses subventions, mais déjà la révolution est née. Avant, le divorce était l’affaire du groupe (ndlr : parents, proches…), qui était chargé de surveiller l’amour, qui pouvait donner des conseils. Aujourd’hui cela concerne les individus eux-mêmes. On a plus besoin des parents pour divorcer.  Une femme en couple avec quelqu’un peut décider de divorcer sans l’avis des parents, cela peut la mettre dans le contexte de la monoparentalité après la séparation.

De vieux clichés existent pourtant dans certaines cultures, faisant croire que les femmes n’étaient pas de bonnes éducatrices pour les enfants. Que pensez-vous de ces préjugés ?

La question de l’éducation est assez complexe. On ne peut pas la genrer. Quand je me réfère à la première forme de société, c’est à dire traditionnelle et à la première forme du mariage conjugal, le mariage de la première modernité, l’éducation était confiée aux femmes. L’homme avait pour charge de travailler et la femme avait pour charge d’éduquer l’enfant. On ne peut pas dire que la femme n’est pas bonne éducatrice, au contraire. Dans le processus d’éducation il y a la question de l’affection, et la femme a cette capacité de produire cette ressource affective par rapport à l’homme. Il n’y a pas de préjugés sur la question de l’éducation, cela dépend des valeurs qu’on transmet, des dispositions, du temps qu’on donne et le rapport à l’enfant pour le faire. Peu importe que ça soit la femme ou l’homme.

Vous parlez de temps. Es ce à dire que les femmes qui n’ont pas assez de temps ne peuvent pas être de bonnes éducatrices ?

On peut ne pas avoir beaucoup de temps mais le peu dont on dispose peut impacter. On peut passer 30 minutes avec l’enfant, mais ce qu’on fera peut-être très suffisant par rapport à ce qu’il attend. Tout est dans le style et le système managérial.  Souvent, les charges du travail font que certaines femmes veulent confier l’éducation aux nounous.  La question de l’autonomisation est tellement fondamentale. Il est préférable de passer le temps soit même, même si c’est peu. La chaleur parentale participe à leur équilibre (les enfants).

« Les normes traditionnelles ont encore leur place… »

L’éducation donnée par une femme n’a-t-elle pas d’impact particulier sur l’avenir de l’enfant ?

Une femme peut bien éduquer son enfant. Du fait que la société a décrit ses propres codes, la socialisation a pris cela en compte. La présence d’un père peut permettre à l’enfant de percevoir des choses en plus. Avec la deuxième modernité ou l’enfant est dans des familles homoparentales il y a toujours le processus d’éducation femme et homme. Empiriquement c’est deux femmes. Nous voyons femme et homme puisque dans ce processus de partage de lien, il y a un qui joue le rôle d’homme et l’autre le rôle de la femme. L’équilibre de l’enfant se trouve aussi dans la présence du père mais tout dépend de comment et du temps qu’on accorde.

Tout dépend des valeurs qui font fonctionner la société. La société a construit la question de la parentalité ou la question de la famille en termes de père, mère et enfant. Quand un enfant se trouve dans une famille, il cherche à savoir qui est son père qui est sa mère. Même quand il y a divorce on accorde un temps au père pour lui permettre de passer du temps avec son enfant. C’est pour construire l’équilibre de l’enfant.

Qu’est ce qui explique le fait que ces femmes soient généralement mal vues en société ?

C’est la question des normes. On n’a pas encore franchi totalement la barre des sociétés de la deuxième modernité. Nous sommes encore attachés à nos traditions ou le contrôle social est très dominant sur l’individu. Dans les autres sociétés, l’individu a renversé cette tendance à s’autonomiser et à être dépendant dans ces choix. Ici, le choix ne dépend pas forcément de l’individu. Le fait qu’il y a une pesanteur collective peut contester ce choix. Quand une jeune fille veut prendre une maison par exemple, on la qualifie de tous les noms. C’est des perceptions qui ne traduisent par forcément la réalité. Les normes de nos sociétés que nous partageons sont telles qu’elles ne permettent pas à une jeune dame de s’autonomiser, de s’individualiser, et de se prendre en charge comme si sa famille n’existait pas. Les autres ont toujours une pression sur ce que nous faisons. Le lien et toujours là. Dans les sociétés développées le lien est de plus en plus faible.

Y-a-t-il des solutions pour remédier à cela ?

Du fait que ce mode de fonctionnement ne dépend pas des individus ; il  faut voir l’aspect : comment se fait-il qu’elles soient dans un contexte où les hommes, selon les regards collectifs sur les pratiques sociales des individus,  sont dominant alors qu’elles s’individualisent ? La société a encore un grand pouvoir, c’est au fur et a mesure. Si elles assument leur choix et cherchent à renverser la position, les regards des autres, en luttant pour l’institution de la monoparentalité, cela pourrait aider. Il faut que cela soit légiféré. Elles doivent se battre en collectif au près du pouvoir public pour se faire entendre. Elles doivent faire savoir qu’elles se retrouvent dans cette forme de vie, elles y retrouvent leur liberté, leur harmonie, donc elles veulent que cela soit défini comme critère de vie familiale dans nos sociétés.  C’est un processus. On a parlé de 10%. Ce livre (de Jean- Hugues Déchaux, Sociologie de la famille, ndlr) a été écrit depuis 2007. Nous sommes en 2020. Les normes traditionnelles ont encore leur place dans les considérations sociales.

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