A l’ambassade de France en Côte d’Ivoire, l’une des plus proches collaboratrices de M. Huberson a osé témoigner contre lui.

Publié le 25 septembre, 2020

La carrière diplomatique de l’ambassadeur de France en Côte d’Ivoire, Gilles Huberson, est suspendue à une enquête administrative chargée d’examiner les témoignages de collaboratrices et de visiteuses l’accusant de violences sexistes et sexuelles, comme l’a révélé Médiapart.

Le militaire devenu diplomate, qui a fait fonction d’ambassadeur au Mali (2013-2016) avant d’être nommé à Abidjan en septembre 2017, a été entendu fin juillet puis rappelé à Paris le 19 septembre. Il ne retournera probablement pas en Côte d’Ivoire comme représentant de la France. Son successeur serait, selon Africa Intelligence, le diplomate Jean-Christophe Belliard, ancien patron de la direction Afrique et océan Indien du Quai d’Orsay et actuel secrétaire général adjoint du Service d’action extérieure de l’Union européenne.

En attendant que son limogeage soit prochainement officialisé en conseil des ministres, M. Huberson a transmis le 20 septembre ses éléments de défense et notamment les témoignages de ses anciens gardes du corps. Le diplomate âgé de 60 ans insiste sur le fait qu’il était systématiquement escorté lorsqu’il était en poste au Mali.

« L’équipe et moi avons en permanence accompagné et sécurisé l’ambassadeur (…) à la sortie de sa chambre et le raccompagnant dans les mêmes conditions en fin de journée de travail (…). Une permanence était assurée à ses côtés 24 heures sur 24, nuit incluse, par la présence d’un gendarme », écrit le major Eric Barbotin dans une lettre de défense consultée par Le Monde Afrique. Il conclut : « Je peux affirmer qu’à aucun moment nous n’avons été témoin d’un comportement ou d’une attitude déplacée de l’ambassadeur Gilles Huberson, encore moins de départ précipité d’invité, féminin comme masculin. »

Dénonciation d’un « montage »

Une manière de tenter de contredire certaines accusations. L’une des plaignantes, juriste alors en mission d’observation électorale au Mali, assure que l’ambassadeur a bien tenté, lors d’un entretien professionnel en novembre 2013, de lui caresser la cuisse. Elle a réagi en lui repoussant fermement la main tout en le traitant de « gros dégueulasse », selon son témoignage.

« Je n’ai pas vu de gendarme lors de cet entretien, explique-t-elle. Mais, à cette époque, certains gendarmes de l’ambassade s’amusaient à coincer des jeunes femmes particulièrement vulnérables dans les couloirs et sous les caméras. Alors leurs témoignages n’ont, à mon sens, aucune valeur. »

L’ambassadeur Huberson, lui-même ancien gendarme, dément, dénonçant un « montage » et arguant de la présence d’un gendarme lors de cet entretien qui s’est déroulé dans le grand salon de la résidence. « Lorsque M. l’ambassadeur recevait un visiteur à la résidence, nous assurions sa protection en maintenant en permanence le contact visuel et auditif, tout en essayant bien sûr d’être le plus discret possible », peut-on lire dans la lettre de l’adjudant Benoît Nefau, qui a assuré sa protection au Mali au cours des années 2013 et 2014.

« Non seulement je l’accompagnais sur ses déplacements, mais je vivais également au sein de sa résidence dans une chambre qui était voisine de ses appartements privés », ajoute le sous-officier de gendarmerie, Franck Amat.

Gestes sexuels tentés par l’ambassadeur

Parmi les faits dénoncés, il y a des gestes sexuels tentés par l’ambassadeur un soir dans son bureau, des propos sexistes « de caserne » et des blagues vulgaires échangées avec l’attaché de défense. « Il faut confronter des propos de caserne avec une réalité de guerre, dit MPierre-Olivier Sur, l’avocat de M. Huberson. Il n’y a pas de plainte, pas d’article 40, donc pas de pénal. Les faits et propos reprochés, qui donnent lieu à une enquête administrative, résultent en particulier d’une dénonciation calomnieuse avérée – attestations à l’appui. En outre, même si ce n’est pas le sujet, tout est prescrit. » L’enquête administrative suit son cours.

A l’ambassade de France en Côte d’Ivoire, l’une des plus proches collaboratrices de M. Huberson a osé témoigner contre lui, dénonçant des remarques sexistes et plaisanteries graveleuses. Toutefois, sa démarche est jugée « douteuse » par la défense de M. Huberson qui dispose de messages adressés par la jeune femme dans lesquels elle le remercie pour différents services personnels. « Propos de caserne, c’est un euphémisme », dit une autre.

D’anciennes fonctionnaires, contactées par Le Monde Afrique, racontent aussi la gestion « très patriarcale, conservatrice, vieille France de l’ambassade », « des blagues à caractère sexuel, dégradantes ». Ce que dément M. Huberson, dont l’avocat cite des membres du personnel de l’ambassade qui ont décrit un « management dur mais sans distinction de genre ». Pour MSur, « les faits et propos qui lui sont reprochés résultent, soit de faux témoignages, soit de cabales ».

Cela fait plusieurs années que des soupçons circulent à propos de M. Huberson au sein de l’administration, confient des diplomates. Certains faits de violences sexistes présumées avaient été signalés en 2014, sans que rien n’ait été entrepris au ministère des affaires étrangères. Cette fois, les cinq plaignantes ont été reçues par le déontologue du Quai d’Orsay où le ministre, Jean-Yves Le Drian, un proche de M. Huberson, a mis en place en 2018 une cellule « Tolérance zéro » dédiée aux victimes des violences sexistes et sexuelles.

Un départ mal pris par Alassane Ouattara

Ce rappel intervient dans un contexte tendu en Côte d’Ivoire où la candidature du président Alassane Ouattara est dénoncée par ses opposants comme illégale et où la position de la France est toujours scrutée avec la plus extrême attention. Au pouvoir depuis 2011, notamment grâce à l’action des forces françaises, M. Ouattara entretenait d’excellentes relations avec M. Huberson qui ne cache pas son respect et une certaine admiration pour le chef de l’Etat ivoirien.

« L’intérêt de la France, c’est la stabilité. Et ça, c’est Ouattara », disait l’ambassadeur. Tous deux s’entretenaient en tête à tête au moins une fois par mois. Ainsi, lorsque l’information du rappel de M. Huberson est tombée, le président ivoirien a aussitôt appelé Emmanuel Macron pour obtenir des explications. L’élection présidentielle est programmée pour le 31 octobre et ce départ a été mal pris par M. Ouattara qui a également pris contact avec M. Huberson pour lui exprimer son soutien.

Chaque geste, chaque mot venant de Paris fait l’objet de toutes les interprétations. « Nous avons cru que c’était un motif politique au départ et considéré qu’une grande ambassade comme celle-ci se retrouve sans ambassadeur n’était pas un bon signal. » relate-t-on dans l’entourage du président ivoirien.

« Mais Emmanuel Macron lui a expliqué que le Quai d’Orsay subissait de fortes pressions sur ce dossier et qu’une enquête était en cours. Le président a estimé qu’il devait bénéficier de la présomption d’innocence et qu’il fallait laisser l’enquête se poursuivre. Mais nous comprenons également que l’Elysée est embêté avec sa politique africaine et ne veut sûrement pas ajouter une nouvelle difficulté », poursuit la même source, se disant « désolée » pour M. Huberson.

Les plaignantes, elles, ne se font pas vraiment d’illusions. « Parler peut aider d’autres victimes et les inciter à s’exprimer, précise l’une d’entre elles. Mais il faudrait qu’on soit cent pour que, éventuellement, le système bouge, et que les enquêtes administratives ne soient plus un outil pour étouffer les affaires visant des hommes puissants capables de mobiliser leurs réseaux politiques. »

Source : lemonde.fr

NB : la titraille est de la rédaction

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