Le président du Collectif des chefs des villages d’Anyama et Brofoudoumé se félicite de l'érection de la cehefferie en institution.

Publié le 23 juin, 2020

Le patriarche Alfred Affa-Kouachy est l’un des dépositaires de nos us et coutumes. Chef du village d’Ebimpé, président du Collectif des chefs des villages d’Anyama et Brofoudoumé, membre de la Chambre des rois et chefs traditionnels, la tête couronnée a livré quelques fondements de la tradition akan et particulièrement les attiés lagunaires dans cette interview qu’il a accordée à VoieVoix De Femme ce samedi 20 juin 2020.

Les peuples lagunaires se distinguent par leur culture. Notamment ces sociétés de générations et leurs fêtes de générations qui font beaucoup de sensation à leurs sorties. Pouvez-vous expliquer comment ça se passe ?

Ces fêtes de générations sont spécifiques aux peuples lagunaires que nous sommes. Nous sommes les Attiés lagunaires. Nous sommes culturellement proches aux Ebriés, Abouré. Nous avons des sociétés de classe. Chez nous, il y a quatre générations. Dans chacune des générations, il y a quatre classes. Chez les Ebrié, il font ça par classe d’âge, chaque cinq ans. Chez nous, c’est chaque 15 ans. Aujourd’hui, ceux qui sont au pouvoir, on a pratiquement le même âge qui tourne autour de 70 ans. Nous allons sortir d’ici deux ans pour laisser la place à une autre classe d’âge. La génération qui doit nous remplacer devait faire sa sortie cette année. Mais à cause de la crise sanitaire du Coronavirus, ils ont remis ça à l’année prochaine…. Avant la sortie de la génération, on apprend beaucoup de choses. Tous les garçons de chaque classe doivent savoir poser les pas de danse. Cela se fait en principe, pied nu. Chacun de ses pas à une signification. 

Je suis de la génération Dougbô. Nous avons les Guéhou, la classe des aînés, après les Tchogbo ou les Tchagba chez les Ebriés, après vous avez les Boto. Quand vous arrivez à faire 10 enfants, vous pouvez les dispatcher, ou les mettre tous dans la dernière classe d’âge. C’est très important d’appartenir à une génération. Si non, vous n’avez pas droit à la parole en public.

Une personne d’une autre région peut-elle faire partie de ces générations ?

Tout à fait. Et cela répond à nécessité du vivre ensemble. Voyez-vous, aucun d’entre nous n’est créateur de la terre. Ceux qui arrivent sont intégrer. Quand vous avez un ami avec qui vous avez des relations de confiance, vous pouvez l’intégrer dans votre génération. Ce n’est pas fermé. C’est plutôt ouvert. Sauf qu’une fois à l’intérieur chacun connait sa place. Chacun sait ce qu’il peut faire et ce qu’il ne peut pas faire.

Qu’est-ce qui distingues les générations qui se succèdent au pouvoir ?

La génération, c’est un lieu de concurrence. Ceux qui sont au pouvoir doivent faire plus que leurs prédécesseurs. Chaque génération doit apporter un plus dans le développement de son village. Avant de venir au pouvoir, chaque génération prépare son plan d’action. C’est un peu comme ce qu’on appelle programme de gouvernement dans les partis politiques. Et ce programme est jalousement gardé en secret jusqu’à l’accession au pouvoir par la génération.

Le travail se prépare pendant 15 ans. Et quand on est prêt, on sort pour dire à la cité que nous sommes matures pour gérer la cité. C’est cette cérémonie que vous voyez où les gens sortent pour danser. C’est à ce moment qu’on dévoile notre programme devant les sages. Et en même temps, la génération propose des candidats à la tête du village.

Comment se fait le chef de la génération ?

Chacune des quatre classes propose son candidat. Les chefs des générations vont remettre ces noms aux sages du village. Ces derniers passent au peigne fin les qualités de chacun de ses candidats. Et au terme de leur conclave, il désigne le meilleur selon leur appréciation. Mais ce dernier est encore présenté à l’appréciation du village. On attend l’investiture du village.

Voulez-vous dire qu’après le choix des sages, les populations peuvent le r0écuser ?

Absolument. Elles peuvent refuser ce choix, si elles reprochent des choses au candidat. Dans ce cas, les sages retournent dans le bois sacré pour choisir un autre. Et quand le village acclame le choix, l’investiture du nouveau chef est actée. Il est au pouvoir pour un mandat de 15 ans.

Pourquoi un mandat de 15 ans ?

Oui, son mandat dure 15 ans. Mais il peut être destitué s’il commet des fautes graves. Notamment s’il fait un meurtre, s’il cherche la femme d’un notable et d’une personne dans le village, ou s’il détourne les deniers du village.

Quel est le niveau de collaboration entre ces pouvoirs traditionnels et les mairies ?

Par le passé, dans les années 1980, les chefs des 11 villages d’Anyama faisaient partie du conseil municipal. Chacun envoyait de ces idées pour le développement. Maintenant, ce n’est plus le cas. Pourtant nous aurions souhaité êtes par moment consultés. Notamment dans la réalisation des grands projets. Nous espérons que les maires tiennent compte de nos positions dans leurs prises de décisions.

Pendant les cérémonies officielles, vous êtes souvent sollicités pour les libations. Quels sens ont ces rituels ?

Par la libation, on invoque les mânes de nos ancêtres. On se dit toujours qu’on est sortis du ventre de la terre. Et qu’on doit un retourner. On demande à la terre de s’ouvrir pour rafraîchir ce que nous allons faire. On invoque d’abord Dieu. On demande ensuite à la terre de s’ouvrir pour prendre l’eau que nous versons. Pour nous rafraîchir. Tu peux te frapper la poitrine tous les jours. Un jour la terre va s’ouvrir pour t’engloutir.

Comment appréciez-vous cette cohabitation entre les institutions traditionnelles et modernes ?

Maintenant, nous avons une chance. Et pour cela, nous n’arrêtons pas de bénir le président de la République, Alassane Ouattara. Les traditions ont toujours existé avec leurs chefs. Mais quelle importance leur accordait-on ? Aujourd’hui, l’Etat a élevé la chefferie au niveau d’une institution. Au même titre que les autres institutions comme le Conseil constitutionnel, l’Assemblée national, le Sénat… la chambre des Rois et chefs traditionnels dont le siège est à Yamoussoukro est un honneur pour nous.

Comment faite-vous les mariages ?

Les mariages traditionnels se font sous la supervision de la chefferie. Et ce sont les chefs qui président les mariages. Comme le maire le fait.

Quand j’étais jeune, j’ai commencé à regarder dans les affaires de mon père, j’ai vu que son mariage avec ma mère a été homologué. Leur mariage traditionnel au village a été consigné dans les registres par l’administrateur colonial. Cela a été considéré comme base de l’établissement du document de leur mariage légal.

C’est ce que nous faisons maintenant. Chaque fois qu’un mariage traditionnel se déroule dans le village, je fais dresser un procès-verbal du mariage avec l’identité des mariés, puis on délivre un certificat de mariage. Quand les mariés veulent légaliser leur union devant l’officier d’état-civil, ce document que nous avons délivré pour attester le mariage coutumier est agrafé au certificat de mariage civil. Aujourd’hui, cette pratique a apprécié par tout le monde. Et chaque fois, je suis sollicité pour présider les mariages coutumiers. C’est ce qui se passe dans la plupart des chefferies.

Pouvez-vous nous expliquer comment le mariage se fait dans votre village quand un prétendant venait à demander une fille du village ?

Chez nous les attié, quand tu fais ton enfant, bien que tu sois le père biologique, tu le confie à ton meilleur ami. Quand votre fille a un prétendant t qu’il vient vers vous, vous le réorientez vers cet ami. C’est cet ami qui prend la responsabilité de tout ce qui concerne cette enfant : son mariage, son baptême, son éducation à l’école ?

Pour la dote, vous dite au prétendant, « je vais voir son papa ». Et vous allez le voir pour vous accorder sur ce que la famille du jeune prétendant doit payer. Et c’est vice-versa. Lui également vous donne ses enfants et toutes ces choses vous sont confiées. Baptême, éducation, mariage. Ce lien d’amitié, on ne blague pas avec ça au village. Et avant même le mariage, l’enfant en question fait tout avec cet homme désigné pour être son père. Elle considère la femme de cet homme comme sa mère. De sorte que le jour où on la marie, c’est cette femme qui joue le rôle de mère. C’est elle qui fait tout. On y tient beaucoup de sorte que le jour de la remise de la dote, devant tout monde, y compris le père biologique, c’est ce papa désigné qui a la parole. 

Quel sont les critères de choix de cet ami parmi tous les amis qu’un homme peut avoir ?

C’est celui avec qui vous avez tout fait. C’est ton ami d’enfance avec qui tu as chassé les oiseaux… Et il faut dire qu’on fonctionne par génération et par classe d’âge. Donc c’est l’ami de ma génération, celui avec qui je suis resté en accointance. Et cela se voit depuis votre naissance. La maman sait que tel enfant est le meilleur ami de son fils. Ça se constate.

Réalisée par Ténin Bè Ousmane

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