Publié le 2 mars, 2021

 Dans les bars, boites de nuit et autres pâtisseries de renom, la chicha est omniprésente dans toutes les soirées. Les jeunes ivoiriens s’adonnent à cette pratique à cœurs joie.

Samedi 27 février 2021. Nous sommes au premier étage de cette grande pâtisserie d’Abidjan-Abobo, plus précisément à N’Doté. Il est 19 heures. Dans cet espace, on peut voir un groupe de jeunes se passer l’embout. Les nuages de fumées qui s’échappent des bouches n’émeuvent point. Bien au contraire, on exulte autour de cette cheminée qui conduit par aspiration, la fumée au fond d’un vase rempli d’eau. L’âge de la demie douzaine de jeunes qui se donnent à cœur joie à cette pratique doit varier entre 20 et 25 ans.

« Ce que vous voyez ici n’est rien ! », s’exclame Moctar, un vigile des lieux. « En boîte de nuit, ça donne plus mal au cœur. Que voulez-vous, tant qu’ils ont l’argent, les jeunes et mêmes les enfants ont accès à tout. Même s’ils ont 12 ans. Il y’a un endroit je crois éclipse de chicha Abidjan-Mall où ils laissent des enfants de 14 ans, 15 ans fumer la chicha, c’est irresponsable de leur part », témoigne cet homme de 35 ans qui travaille dans le gardiennage depuis six ans.  

Cette forme de cigarette, dont raffolent les jeunes est pourtant orientale. Ici, la fumée est inspirée au moyen d’un conduit de tuyau. Son principe consiste à mélanger du tabac chauffé grâce à du charbon, produisant une fumée qui, après son passage dans un réservoir rempli d’eau. Cette eau est le plus souvent parfumée de raisin, de fraise, de pomme…

Le tabac ne brûle pas de façon autonome. Il est chauffé et partiellement brûlé par adjonction dans la douille d’un charbon incandescent ou d’une braise ardente, séparée généralement du tabac par un papier d’aluminium percé. Le tuyau est relié au sommet du vase pour permettre aux consommateurs d’aspirer la fumée dans la cheminée à travers l’eau.

« Il y à Abidjan des bars à chicha exclusivement. Les gens se cotisent pour une seule chicha et se passe l’embout. En plus ils passent le temps à fumer des substances dont on ignore tout. Il ne faut pas défendre ce type de pratique », relate Moctar, très inquiet par le nombre croissant de jeunes qui s’adonnent à la pratique.

« La contamination s’accentue, tout comme quand un tuberculeux tousse dans un bus bondé », regrette notre interlocuteur. Dans ce commerce, les prix varient. « Tout commencent à partir de 3500 F CFA ici. Vous en avez de plus de 10 000 F CFA », confie l’une des servantes.

Dans les magasins de vente d’accessoire de chicha, on se frotte bien les mains. « Ça marche », confie un commerçant rencontré dans son magasin sis à Abidjan-Vallon, le jeudi 25 février. Son grand fournisseur est situé en zone 4. « Nous importons le matériel de Liban », révèle-t-il. Pour ce jeune ivoirien, la chicha n’est en rien dangereuse pour la santé. « ça devient dangereux quand les gens y mélangent des substances comme la drogue et l’alcool », se défends le vendeur d’accessoire de chicha.  

Pourtant cette marchandise n’a jamais été considérée comme inoffensive pour la santé. La pratique est même considérée comme très dangereuse. Selon les experts de la santé, une séance de chicha de 20 à 60 minutes, équivaut à fumer deux paquets de cigarettes . Les risques de cancer sont importants, tout comme le risque de développer une dépendance.

Pour les experts, comme toutes les fumées de substances organiques qui brulent, celles de la chicha libèrent, lors de la combustion, près de 4000 substances chimiques, dont nombre d’entre elles sont toxiques, irritantes et/ou cancérogènes. La fumée de chicha contient des métaux qui proviennent du tabac, mais aussi du charbon, du revêtement du fourneau et de la colonne, du tuyau ou encore de la feuille d’aluminium.

Selon les cancérologues, il est difficile d’évaluer les effets sanitaires causés par la fumée de chicha car les publications scientifiques sur ce sujet ne sont pas nombreuses. Toutefois les études recensées démontrent que fumer la chicha accroît fortement les risques de cancers du poumon, des lèvres, de la vessie et des voies aérodigestives supérieures.

Dans plusieurs pays africains comme le Rwanda et le Sénégal, elle est purement interdite.

En septembre 2020, face à l’ampleur du phénomène à Dakar, le ministère sénégalais du Commerce et celui de la Santé ont interdit « formellement l’importation, la distribution, la vente et l’usage de la chicha ou narguilé ou tout autre appareil similaire sur l’étendue du territoire national ».

En Côte d’Ivoire, aucune loi n’interdit spécifiquement la consommation de la Chicha. Mais les autorités sanitaires rangent cette pratique dans le tabagisme. Ainsi, depuis juin 2019, le Parlement ivoirien a adopté une loi antitabac et s’alignait ainsi sur la Convention-cadre de l’OMS pour la lutte antitabac (CCLAT), signée en 2002 puis ratifiée en 2005. « Cette loi venait en complément du décret interdisant la consommation de tabac dans les lieux accueillant du public ainsi que dans les transports en commun pour organiser “la culture, la production, la commercialisation et la publicité du tabac et des produits du tabac ».

Ces nouvelles dispositions sont venues durcir les mesures ivoiriennes antitabac dans un contexte d’inquiétude face à la montée en popularité des nouveaux produits du tabac, à l’instar des chichas et cigarettes électroniques. Pourtant dans les boites de nuit et autres bars, la jeunesse se la coule douce. On se passe l’embout… Sans bruit.

Ténin Bè Ousmane

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