Les ex-migrants se plaignent d'avoir été abandonnés par les pouvoirs publics.

Publié le 7 mai, 2021

Depuis 2012, la Côte d’Ivoire, soutenue par l’Organisation internationale pour la migration (OIM) déploie un programme de rapatriement de ses ressortissants en situations irrégulières, dans divers du pays du monde. Que deviennent ces milliers d’Ivoiriens revenus au pays ? VoixVoie De Femme est allé à leur trousse.

Mariam Bamba a bonne mine ce matin du 22 octobre 2020. C’est vendredi. Elle consacre ce jour à la prière. Dans la soirée, elle pourrait rouvrir son étal de produits divers, à quelques encablures de la Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan-Yopougon. C’est ce petit commerce qui l’occupe depuis qu’elle est revenue du Koweït l’an dernier. « Ça ne marche pas toujours. Mais je me débrouille », confie la mère de quatre enfants.

Le 4 juillet 2019 quand Mariam et 23 autres filles ivoiriennes débarquaient à l’aéroport Félix Houphouet-Boigny d’Abidjan, elles sont accueillies par les agents de la Direction général des Ivoiriens de l’extérieur et une équipe de l’Organisation internationale de l’immigration (OIM). Des proches pour certaines.

En 2016, à l’époque où Mariam quittait Abidjan, la Côte d’Ivoire était devenue un gros émetteur d’immigration clandestine. Ils passaient par les pays d’Afrique du Nord ou du Moyen orient dont la destination finale rêvée était l’Europe. Un rapport de la police italienne de l’immigration indiquait que le tiers des immigrants qui arrivent chaque mois vers l’Italie étaient Ivoiriens. Depuis, le gouvernement organise le rapatriement de ses ressortissants en difficultés dans plusieurs pays en collaboration avec l’OIM.      

A leur retour, les ex-migrants sont enregistrés et ont droit à quelques pécules avant de regagner leurs familles respectives. « Notre groupe venu du Koweït n’a bénéficié d’aucun soutien de l’Etat après notre retour. Et nous n‘avons pas été enregistrées par l’OIM », explique-t-elle.

Mariam et les filles rapatriées du Koweït n’ont donc pas bénéficié de soutien après leur retour, mais elle se félicite déjà d’avoir regagné sa terre natale. « C’est difficile. Mais je rends gloire à Dieu parce que je suis revenue vivante et en bonne santé dans mon pays », se console la jeune femme. Elle se souvient d’autres filles qui n’ont pas eu sa chance. « Deux jours, avant que je ne décolle du Koweït, le 2 juillet 2019, huit corps de filles ivoiriennes avaient été enfin autorisés à être enterrés surplace », explique-t-elle. Elles étaient décédées dans des conditions difficiles. L’enterrement des personnes étrangères dans ces pays est soumis à des formalités administratives souvent longues. « Parmi ces huit corps de nos sœurs, trois avaient péri dans un incendie de l’immeuble que nous habitions. J’y est échappée belle. J’étais allée au travail quand le drame s’est produit…Dieu a permis que je revienne chez-moi, je lui rends gloire. Je sais que le meilleur est à venir pour moi », se dit confiante Mariam Bamba.

Cet était d’esprit optimiste de Mariam n’est pas partagé chez certaines retournées. Germaine K., elle, préfère rester dans l’anonymat dans ce sous-quartier d’Adjamé. « C’est une honte pour moi d’être revenue au quartier dans ces conditions », explique la jeune dame, 32 ans, rencontrée dans un sous-quartier d’Adjamé. Après deux ans de passés en Tunisie, elle a été rapatriée en 2017, avec un nourrisson ! « Mes employeurs abusaient de moi », confie-t-elle.  « Depuis que je suis revenue, je suis chez ma sœur. Je me bats pour retourner », confie-t-elle. 

Beaucoup sont repartis

Dosso Ménéné Adams, agent de santé de formation, ne rêve plus d’aventure, malgré les trois ans de chômage depuis son retour au pays. Il a pu trouver du travail en aout dernier. Résident à Abobo-avocatier, il travaille dans une clinique à Marcory. « Je me débrouille bien. Je rends gloire à Dieu », se félicite-t-il. C’est en décembre 2017, que le jeune homme, la trentaine, a été rapatrié du calvaire libyen. « J’ai décidé de rester définitivement. Même si je ne trouvais pas du travail dans mon pays, j’ai la liberté. J’ai vécu l’enfer depuis mon départ d’Abidjan, le 5 mars 2015 », raconte l’ancien migrants, torturé, selon lui, dans les prisons libyennes de Zabrata ou de Griana, deux villes côtières de la Méditerranée. Aujourd’hui marié, il dirige l’Association des ex-migrants de Côte d’Ivoire. Cette association a été mise en place pour faciliter la réinsertion de plus de 4000 ivoiriens ex-migrants dans la vie socioprofessionnelle de leur pays.

Promesses non tenues

« C’est vrai que c’était difficile de vivre dans ces pays. Mais beaucoup refusaient de venir. Parce qu’on ne peut pas aller à l’aventure et revenir les poches vides. Certains préféraient y mourir que de revenir. Pour nous convaincre de retourner dans nos pays d’origine, l’OIM nous avait promis de financer des projets, à hauteur de 2000 euro (1,3 millions F CFA) chacun. Mais sur le terrain, ce montant a été réduit à 1000 euro (650 000 F CFA) et destiné à chaque regroupement d’au moins 5 ex-migrants. Ceux qui ont constitué ces groupements attendent encore de voir financer leurs projets. D’autres ont été formés dans des entreprises et mais ils ne trouvent pas du travail », regrette M. Dosso. « La plupart de nos frères sont repartis. Les gens se sont sentis trahi ».

A la Direction général des Ivoiriens de l’extérieur (DGIE), on met en priorité le retour sécurisé et la protection de la vie des migrants. Quant aux soutiens à la réintégration, on oriente vers l’Agence emploi-jeune, une structure gouvernementale qui a pour mission de soutenir les jeunes dans la recherche d’emploi et le financement des projets. « Il ne faudrait pas que nous tombions dans une situation d’assistanat (…) Ce qu’il ne faut pas faire, c’est de créer une hiérarchie en fonction de l’origine des Ivoiriens. S’ils sont partis à l’extérieur ou s’ils étaient ici en Côte d’Ivoire, la volonté politique d’insertion des Ivoiriens est la même », explique Issiaka Konaté, le directeur général des Ivoiriens de l’extérieur. Il assure que l’Etat continuera de venir au secours de ses ressortissants partout où le besoin se fait sentir.

Pour Hervé N’Dri, résident à Yopougon Palais, « cette politique de réinsertion est un échec ». Retourné au pays, après avoir travaillé comme berger dans le désert koweïtien, M. N’Dri a créé, le 2 novembre 2017, L’ONG Lutte contre l’immigration illégale secours assistance et développement (LISAD). « C’est l’échec de cette politique de réinsertion qui fait que beaucoup sont repartis », révèle le président Fondateur de l’ONG LISAD. Pour le calvaire qu’il a connu durant son aventure, il a décidé de se mettre à la disposition de la cause pour sauver ses compatriotes tentés par l’aventure. Il a même écrit un livre, La prison de l’immigration, une œuvre qui retrace avec force détails les affres de sa condition dans ces pays du golfe. « Il faut que les autorités sachent que les gens s’en vont parce qu’ils n’ont pas de perspective ici. Ils fuient le chômage, la pauvreté, surtout les problèmes de stabilité politique », analyse le président de l’ONG LISAD.  « Il ne suffit pas de faire rentrer les gens. Il faut surtout les maintenir au pays en leur donnant les moyens de réaliser leur projet ». Mais le Président de l’ONG LISAD insiste sur la stabilité politique dans son pays. « Cela passe par le dialogue et l’ouverture de la classe politique à la négociation.  En Côte d’Ivoire, la persistance de ces crises politiques fait que les jeunes préfèrent quitter le pays. Il faut que nos hommes politiques acceptent de se parler », plaide N’Dri Hervé.

Ténin Bè Ousmane

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