Le Centre ivoirien antipollution (CIAPOL) est une structure technique du ministère de l’Environnement, qui assiste ce département dans la lutte contre la pollution. Voix Voie De Femme a rencontré ce jeudi 9 septembre 2021 le sous-directeur du laboratoire national, prof Yapo Bernard dans son bureau sis au cœur d’Abidjan-Plateau. Il révèle dans cette interview les défis du CIAPOL face aux enjeux environnementaux de l’heure. Nous vous proposons dans cette édition, la première partie.
Vous êtes le premier responsable du laboratoire du Centre ivoirien antipollution (CIAPOL). Comment le laboratoire intervient-il dans la lutte contre la pollution ?
Un laboratoire c’est un outil d’investigation et de recherche de données environnementales. Ces données comportent des composantes chimiques, biologiques et physiques qui permettent de caractériser au mieux, les matrices environnementales. En clair nous surveillons ces matrices.
Pouvez-vous expliquer ce qu’on entend par matrice ?
Il s’agit de l’air, le sol et l’eau. Au laboratoire, nous collectons les données. Comme précise le décret de création du CIAPOL à son article 11, le laboratoire est chargé d’analyser systématiquement et suivre l’évolution des conditions physiques, chimiques et microbiologique de tout origine au niveau des eaux naturelles, les eaux marines, les eaux lagunaires, les eaux fluviales, les eaux météoriques. Nous suivons aussi les déchets solides, liquides et gazeux ; les résidus dans le cadre de la mise en œuvre de la mise en observation du milieu du secteur. Notre mission nous permet d’instaurer un réseau de surveillance qui nous oblige d’avoir une connaissance bien précise du niveau de dégradation de ces matrices environnementales. Le laboratoire devrait être en mesure de fournir au CIAPOL des données relatives à la qualité des cours d’eau en Côte d’Ivoire par exemple. Cela pour répondre aux questions de savoir si les fleuves de Côte d’Ivoire conservent encore leur qualité naturelle ; s’ils sont impactés par des activités humaines ; si ces eaux peuvent encore servir à des besoins domestiques ; s’ils sont encore favorables à des activités de pêche…
Le laboratoire est un outil d’alerte pour informer l’Etat sur la sensibilité de ces milieux. Nous sommes en quelques sorte les gardiens de ses eaux, de l’air, du sol et d’en informer l’Etat sur ses qualités.
Quelle est aujourd’hui la qualité de ces matrices ?
Nous avions déjà commencé depuis 1991 à bâtir un réseau national d’observation de la qualité des eaux. Nous avions, à un moment donné, une bonne connaissance de la qualité du milieu marin, des eaux lagunaires notamment la lagune ébrié. Les quatre fleuves qui traversent la Côte d’Ivoire étaient pris en compte par ce réseau national. A cause de la crise de 2002 et celle de 2011 tout cela s’est arrêté. Mais déjà à partir de 2003, ce réseau commençait à s’essouffler. Compte tenu des moyens insuffisants qui étaient alloués au budget du CIAPOL et qui ne lui permettaient plus de suivre et d’étendre convenablement ce réseau aux autres matrices. Notamment les fleuves, rivières et les autres lagunes en dehors de la lagune Ebrié. Mais c’est la crise postélectorale de 2011 qui est venue tout mettre à l’arrêt. Le laboratoire a été saccagé et même les prélèvements des déchets toxiques du Brobo Koala qui étaient gardés dans les chambres froides pour servir de témoignage pour la postérité ont été complètement détruits. Les banques de données ont été détruites.
Avant, nous étions sur la base de la Marine nationale. Mais aujourd’hui, nous nous sommes confinés au Plateau où nous nous retrouvons malheureusement dans un cadre d’administration que dans un cadre de laboratoire.
Sans laboratoire comment faites-vous pour conduire vos missions de surveillances ?
Par le passé, le laboratoire du CIAPOL était le seul en matière d’évaluation environnementale. En 2011, il y avait quelques laboratoires privés que nous avons approchés. Nous avons fait un appel d’offre et après étude des dossiers techniques, nous avons suivi certains de ces 0laboratoires dotés d’équipements pouvant nous permettre d’évaluer les données environnementales. Nous leur avons donné des agréments. Et ce sont ces laboratoires que nous appelons quand nous sommes dans le besoin.
Et vous arrivez à vous accommoder de ces laboratoires privés ?
Cela nous revient très cher. Mais nous sommes obligés de nous sacrifier pour essayer de remplir nos missions.
Etes-vous assurés de la fiabilité des résultats issus de ces laboratoires privés ?
Nous avons donné des agréments à des laboratoires auxquels nous faisons confiance. Parce qu’ils ont des méthodes d’analyse que nous jugeons de qualité. L’une des premières missions de ces laboratoires privés, c’est aussi de certifier les résultats qu’ils vendent au CIAPOL. Mais n’empêche que nous savons qu’en terme de certification et de validation des résultats, nous avons nos démarches qualité nous-mêmes. En général, en fonction de la qualité de ces matrices, on peut dire que ces résultats peuvent être exploités. Da ns la plupart des cas, ils permettent de donner des orientations aux pouvoirs publics. Mais nous convenons qu’avec le laboratoire reconstitué du CIAPOL, nous serons plus assurés de la fiabilité de nos résultats. C’est pourquoi nous voulons être les propres artisans de nos résultats. En ayant un laboratoire propre au CIAPOL.
N’êtes-vous pas en train de vous satisfaire de cette sous-traitance avec les privés au point où la reconstruction de votre laboratoire n’est plus une priorité ?
Pas du tout. Nous avons une mission très noble qui consiste à renseigner nos compatriotes sur la qualité de l’air qu’ils respirent, la qualité des eaux continentales et marines… Tout le monde constate qu’il y a beaucoup de pression sur ces eaux. Avec la sous-traitance nous ne pouvons pas bien remplir ces missions.
Mais pourquoi ça traine ?
Nous avons fait toutes les études après la destruction de cet outil en 2011. Le Programme des Nations unies pour l’environnement avait dépêché un expert qui est venu faire une évaluation et l’état de la reconstruction de ce laboratoire qui devrait répondre aux défis de la Côte d’Ivoire pour son développement. Cela conformément au plan d’émergence lancé à partir de 2011. L’émergence suppose qu’il y a des défis environnementaux à relever. Le CIAPOL devrait pouvoir bénéficier d’un laboratoire qui réponde à ces défis et pour accompagner le développement du pays.
Voulez-vous dire qu’il y a de l’espoir ?
Nous ne désespérons pas. On nous a déjà rassuré de la construction d’une Maison de l’environnement. Dans le schéma de ce projet, il est prévu de rééquiper le CIAPOL en reconstruisant un laboratoire digne de ce nom.
Dans quel délai vous espérez voir sortir de terre cette maison ?
La première pierre n’a certes pas encore été posée. Mais je crois savoir que cela est inclus dans le PND 2020-2025.
Silué Fatogoma