C’est un secret de polichinelle. Les femmes n’hésitent plus à raconter le vécu désagréable et douloureux en salle d’accouchement. De nombreuses parmi elles, expliquent que la maternité qui, loin d’être un cocon protecteur qu’elles s’imaginent pour la naissance d’un bébé, se transforme parfois en lieu de maltraitances, d’injures, d’humiliation, voire de violences extraordinaires de la part des sages-femmes. Faut-il repenser le service des aides-accoucheuses ?
Les faits sont là : 48 % des femmes vivent mal leur post-partum ; de 8 à 25 % souffrent de dépression juste avant ce bouleversement humaine : l’accouchement.
Les sages-femmes ne cessent de le dire : aujourd’hui, il est difficile (impossible ?) de prendre soin correctement des femmes qui viennent en salle d’accouchement ou aux urgences gynécologiques et obstétricales. Comment faire son devoir lorsqu’on a trop de patientes, qu’il faut choisir entre la femme qui a besoin de sa péridurale, celle qu’il faut préparer à la césarienne ou celle qui est en train de perdre l’enfant qu’elle porte ? Prioriser les soins, d’accord, mais choisir entre des soins qui sont tous nécessaires et urgents, comment s’y résoudre ? Et comment ne pas négliger celle qui désire tout simplement accoucher sans péridurale mais avec l’accompagnement qu’elle mérite et dont elle a besoin ? Une unique sage-femme pour trois ou quatre accouchements simultanés, sans compter les urgences, cela relève du scandale. Tout comme il est scandaleux de se retrouver parfois, dans les services de suites de couches, seule sage-femme face à 25 mères, 25 bébés, 25 familles ! Impossible, dans ces conditions, de ne pas devenir maltraitants, malgré soi. La casse est lourde et les conséquences sont désastreuses : pour les femmes et pour les sages-femmes qui fuient des hôpitaux déjà en pénurie. Et ce ne sont pas les effets d’annonces salariales qui résoudront la crise. Patients, sages-femmes, gynécologues-obstétriciens, anesthésistes-réanimateurs, pédiatres sont unanimes : il faut des effectifs supplémentaires.
Devenir mère : un combat éreintant et bien solitaire.
Les femmes le disent de plus en plus : devenir mère est un combat éreintant et bien solitaire. Aucun cours de préparation ne vous y prépare, hélas, au sentiment d’abandon dans la salle d’accouchement ; à celui de n’être qu’un numéro parmi d’autres, la spectatrice infantilisée d’un processus souvent très médicalisé dont vous ne comprenez ni les tenants ni les aboutissants ; où l’on vous explique rarement ce qu’il se passe et où l’on vous demande à peine votre avis, alors qu’il s’agit d’un événement qui renverse le cours de l’existence. Pourquoi ? Notamment parce que les équipes en maternité n’ont pas le temps. Pas le temps de vous épauler autant qu’il le faudrait lors des contractions, pas le temps de recueillir toujours votre consentement, pas le temps de vous aider vraiment à surmonter les suites de couches (parfois plus violentes encore que l’accouchement lui-même), pas le temps d’accompagner l’allaitement au sein ou au biberon… Au fond, il n’y aurait que le temps (ou presque) d’appliquer des protocoles. Et nous n’évoquerons même pas ici la douloureuse et nécessaire question des violences gynéco-obstétricales !
Les pédopsychiatres le disent au nom des enfants : si l’accouchement et les suites de couches sont mal vécus par la mère, alors ils le sont aussi par celles et ceux qui viennent de naître. Une mère traumatisée, c’est un enfant traumatisé.
Repenser le devenir parent
L’environnement en salle d’accouchement en Côte d’Ivoire devrait être un sujet qu’il faudrait évoquer sérieusement. Le comportement de nos sages-femmes doit être corrigé ou réprimandé par la loi. Et pourtant ! Les grèves des sages-femmes ne relèvent que de revendications corporatistes ? Les moyens et la réflexion devraient être centrés sur d’autres problèmes, plus prioritaires ? Il faudra nous expliquer ce qu’il y a de plus important que la santé physique et mentale des générations actuelles et futures. Nous expliquer aussi cette volonté d’empêcher les femmes qui le souhaitent et qui le peuvent de redonner à la naissance son caractère familial, intime et privé. Nous expliquer, enfin, comment l’on est censé apprendre à devenir mère. Comme si tout n’avait pas été bouleversé, les gouvernants ne prennent toujours pas avec sérieux les différentes plaintes des patientes. À l’heure où la hausse croissante de la natalité met en péril le principe de solidarité intergénérationnelle, et donc la survie même du modèle social africain, il est urgent de repenser le devenir de nos femmes dans les salles d’accouchement, derrière des rideaux où seules les maîtresses des lieux font le beau et le mauvais temps pour le rendre, enfin, digne des droits de la femme, de l’enfant, de l’homme.
Djolou Chloé