Carrefour ‘’Sans loi’’ du quartier Baoulébougou de Gagnoa. Il est environ 17 heures. L’endroit grouille de monde avec une forte odeur d’alcool qui parfume l’air. Ici, c’est le lieu par excellence où l’alcool coule à flot. Singulièrement le vin de palme communément appelé ‘’bandji’’. Au nombre des consommateurs de cette boisson artisanale, se trouvent des élèves, issus des lycées et collèges de la ville. Sans se gêner d’être en tenues scolaires, ces apprenants se disputent les gobelets de « bandji » avec les autres clients.
« Si tu n’as pas la monnaie, je ne te sers pas », lance l’un des vendeurs de bandji à son client élève. Ce dernier tâte ses poches, à la recherche d’une pièce de monnaie. Il est secouru par son camarade collégien, qui lui donne l’argent qu’il faut pour la boisson. Une fois servis, les deux compagnons rejoignent un autre groupe d’élèves déjà installés dans un coin. Cette ambiance du ‘’Sans loi’’ est quotidienne. Si ce n’est pas là, c’est encore à la ‘’place Laurent Gbagbo’’, où foisonnent les maquis et bars. Ici, les mineurs se donnent rendez-vous pour, disent-ils, « siffler » les bières. Selon Francky Jojo, l’un des gérants de maquis, les élèves sont plus attirés par les bières canettes. Notamment le « Vody » à cause de sa forte teneur en alcool. « Il suffit de boire deux Vody et le compte est bon. On se sent saoulé. Et les élèves affectionnent un tel état », soutien le gérant de maquis. Si ce n’est pas le vin de palme ou les boissons modernes, ce sont les boissons frelatées comme le ‘’Koutoukou’’ que ces élèves consomment. Au vu et au su de toute la communauté éducative. Enseignants, parents d’élèves et fondateurs d’écoles sont tous unanimes sur le fait que les élèves et mineurs sont devenus des accrocs à l’alcool. Alors que la loi 64293 du 1er aout 1964 interdit la vente et la consommation de l’alcool par les mineurs en Côte d’Ivoire.
Ce que dit la loi
En dépit de l’existence de cette loi, le constat est que les élèves et mineurs continuent de braver cette législation en fréquentant les maquis, bars et autres débits de boissons. « Quittez les maquis et bars. Prenez le chemin des bibliothèques. C’est ce qui est bien pour votre formation », s’est adressée Christine Zébro aux élèves du lycée moderne 3 de Gagnoa. La 3e vice-présidente du conseil régional du Gôh parrainait une activité dans ledit établissement. L’alcoolisme chez les mineurs n’est pas un sujet propre à la cité du fromager. A travers tout le pays, les élèves et mineurs sont devenus des alcooliques.
Face à la gravité du phénomène, l’Organisation non gouvernementale (ONG), dénommée, Lutte contre la consommation abusive d’alcool en Côte d’Ivoire (Lcaci) a initié la caravane zéro consommation d’alcool par les mineurs et les élèves de Côte d’Ivoire. Après avoir parcouru les quartiers d’Abidjan, c’est au tour des villes de l’intérieur de recevoir cette caravane. L’objectif étant de sensibiliser les jeunes sur les dangers auxquels ils s’exposent en levant trop le coude. « La Côte d’Ivoire est l’un des Etats les plus atteints avec une production industrielle et artisanale florissante de boissons alcoolisées. Les risques de l’alcoolisme sont notoires et une contribution efficace à la prévention allie nécessairement, et au moins, l’intervention des pouvoirs publics et des organisations de la société civile », a déclaré Daniel Tuo, conseiller-formateur en toxicomanie lors de la rencontre entre les élèves de Gagnoa et l’Ong Lcaci. Une façon de tirer sur la sonnette d’alarme. Car l’alcoolisme n’est pas loin de devenir un problème de santé publique. Selon les responsables de l’Ong, tous les mineurs et la population doivent être protégés de l’alcoolisme ambiant par tous les moyens éducatifs et juridiques car, les études et les activités intellectuelles sont incompatibles avec l’alcool.
Conséquences de l’alcool
On le sait, l’alcool est une drogue, qui modifie le comportement du consommateur. Il n’améliore ni la mémoire, ni l’intelligence des élèves. Contrairement à ce que soutiennent certains apprenants. « L’alcool est une drogue, un dépresseur du système nerveux », prévient Daniel Tuo. Diapositive à l’appui, il a présenté aux élèves, des images fortes sur les méfaits liés à la consommation de l’alcool. Le cancer, l’overdose, les maladies du foie, l’impuissance sexuelle, la mort subite, l’inflammation de la cavité buccale et diverses troubles sont des maladies liées à l’abus de l’alcool. « Chez la femme enceinte consommatrice d’alcool, le foie de l’enfant à naitre n’est pas capable d’éliminer l’alcool reçu via le cordon ombilical. Cette situation l’expose à de gros risques. Notamment l’interruption de la grossesse, naissance avec des malformations, syndrome d’alcoolisation fœtal », prévient le sensibilisateur.
Comme si Lcaci enfonçait une porte déjà ouverte, les autorités locales ont reconnu l’opportunité d’une telle rencontre d’échanges avec le monde scolaire. « Le sujet est important puisqu’il s’agit des enfants, donc de l’avenir de notre pays. La consommation de l’alcool par les jeunes est devenue un fléau, tant les chiffres sont alarmants. Le conseil municipal de Gagnoa ne pouvait que soutenir cette initiative de l’Ong Lcaci étant donné l’importance de la question », a soutenu Bony Valentin, 2e adjoint au maire. Il exhorte tous les acteurs du système éducatif à unir leurs forces pour lutter contre ce fléau. Il va plus loin en évoquant des sanctions contre ceux qui enfreignent à la loi en vendant l’alcool aux mineurs. « Nous devons sensibiliser tout le monde sur le sujet, à commencer par les parents qui ont démissionné sous le prétexte de la pauvreté. Il faut ensuite passer à la répression de tous les acteurs impliqués dans la vente de l’alcool aux mineurs et aux élèves, afin de décourager ceux qui seraient tentés de faire pareil », a alerté l’adjoint au maire. Conscients de la situation, l’amicale des directeurs d’études du privé du Gôh (Adegôh), a défini comme priorité, d’assainir l’environnement des écoles. « Il s’agit d’assainissement en matière de consommation de l’alcool qui est en train de gagner du terrain, avec son corolaire de perturbations des cours », a signalé Konan Koffi Paul. Le président de l’Adegôh reconnait qu’aux abords des établissements scolaires, pullulent des maquis et bistrots. Ce qui rend l’environnement scolaire malsain.
Réaction des partenaires de l’école
« Nous condamnons avec la dernière énergie, la consommation de l’alcool par les élèves. Nous nous sommes engagés aux côtés de la direction régionale de l’éducation nationale et de l’alphabétisation, pour interdire les débits de boissons aux abords des écoles. Un élève doit être lucide en allant en classe. Il doit être en possession de toutes ses facultés pour étudier », a réagi Ziao Sogba, président régional du Réseau Ivoirien pour la promotion de l’éducation pour tous (RIP-EPT). « La conséquence de l’alcoolisme est que des enseignants sont battus par leurs élèves. Le RIP-EPT n’est pas une force de coercition. Nous ne pouvons qu’attirer l’attention des autorités sur les dangers qui menacent notre école », a poursuivi Ziao Sogba. Interrogés sur la consommation de l’alcool dans leur rang, les élèves n’ont pas nié les faits. « Le conseil que je peux donner à mes camarades c’est d’éviter l’alcool pour un avenir meilleur. Etant élèves, nous devons nous éloigner de l’alcool car dans l’alcool, il y a beaucoup de danger dont la délinquance », a témoigné Doléa Marie, élève en classe de 1e D. Cet autre élève, Boga Camille, en classe de terminale révèle que les élèves qui consomment l’alcool, sont ceux qui, généralement n’habitent pas chez leurs parents ni chez des tuteurs. « Ils louent eux leur maison. Ils sortent quand ils veulent et rentrent à des heures indues. Il n’y a personne pour les surveiller. Ils sont donc livrés à eux-mêmes. Un élève qui veut réussir doit s’éloigner de la boisson », note le candidat au Bac qui se plaint de la prolifération des cabarets dans les rayons des écoles. « La solution est de demander aux gérants de maquis de ne pas servir l’alcool aux élèves. En plus, il faut débarrasser les alentours des écoles des débits de boissons », suggère l’élève tout en jurant qu’il n’a jamais touché à l’alcool et promet ne jamais le faire.
Dans une boisson, la teneur en alcool est affichée sur la bouteille et évaluée en pourcentage. Lorsque le titre volumique est inférieur ou égal à 1,2%, cette boisson n’est pas alcoolisée. De 1,2% à 7%, la boisson est faiblement alcoolisée. Au-delà de 7%, la boisson est fortement alcoolisée. Des chiffres qui indiquent à chaque consommateur d’alcool, ce à quoi il doit s’en tenir lorsqu’il franchit la porte d’un bar.
Alain Doua