Selon les statistiques du ministère de la famille, de la femme et de l’enfant, ainsi que celles des structures de prise en charge psychosociale des victimes des Violences basées sur le genre (VBG), la Côte d’Ivoire a enregistré 2744 cas de VBG en 2018. En 2020, à la faveur de la pandémie à coronavirus, ces cas sont passés à 2800, soit un taux de croissance de 0,56%. Deux ans plus tard, soit en 2022, le phénomène des VBG continue de prendre de l’ampleur.

A Gagnoa par exemple, les structures en charge de la question du genre sont unanimes à reconnaitre que les Violences basées sur le genre, singulièrement les viols, sont une réalité. « Il y a beaucoup de cas de Violences basées sur le genre qui sont signalés, dont des actes perpétrés sur des enfants. Il ne se passe pas de semaine sans parler de viol dans le département », alerte Kouadio Molière, le directeur du centre social de Gagnoa. Dans cette ville, le type de Violences basées sur le genre le plus répandu est le viol. Diarrassouba Daouda Moussa, président de la Commission régionale des droits de l’homme en Côte d’Ivoire (Cndhci) note que : « pour le mois de mai, nous avons enregistré 12 cas de viol. C’est énorme comme chiffre. Ces 12 viols ont été commis sur des mineurs. Excepté une victime âgée de 18 ans. C’est alarmant. Il y a lieu d’interpeller tout le monde. La plupart des cas de viol sont commis en zone rurale. Dans les campements. Pourtant, nous avons fait assez de sensibilisation dans ces zones-là ».

Comme lui, les services du centre social ont eu à mener des campagnes de sensibilisation, aussi bien en zone urbaine que rurale. Le choix de ces localités, à en croire Kouadio Molière, s’est fait sur la base de certaines informations dont il disposait, sur la récurrence des Violences basées sur le genre en ces lieux précis. « Dans le cadre de la lutte contre les Violences basées sur le genre, nous avons deux types d’action que nous menons sur le terrain. Il y a la prévention et la prise en charge psychologique des victimes. Relativement à la prévention, nous faisons de la sensibilisation sur le terrain. Pour l’année 2021, nous avons fait 6 sorties dont 4 dans les villages de Toutoubré, Logobia, Tchédjélet, Dahopa. En ville, nous avons ciblé les quartiers de Cissé Kamourou et Château », renseigne Molière. Il explique que, ce qu’on a l’habitude de voir dans la société, c’est qu’en cas de VBG, les différentes parties cherchent à faire un arrangement à l’amiable. Ce qui est d’ailleurs déconseillé, indique le travailleur social. « Une fille qui a été violé est marquée à vie. Pendant la sensibilisation, nous donnons la bonne information aux populations en leur demandant de dénoncer les cas de VBG dont ils ont connaissance », rapporte Kouadio Molière.

 Recrudescence du viol

 Mais pourquoi le viol a pris de l’ascenseur ? Les causes, pense Molière, s’explique « par le phénomène de la drogue. Dans les villes, les villages et les campements, l’usage de la drogue est monnaie courante ». Les gens de moralité douteuse en utilisent pour poser des actes répréhensibles.

C’est justement ce qui s’est passé 03/05/2022 à Kokouézo, un village de la sous-préfecture d’Ouragahio. K.R a usé de stratégies pour attirer dans sa chambre G.G, une élève de 14 ans. Sur place, il lui a donné à boire un café mélangé à la drogue. Un breuvage qui a fait perdre connaissance à la victime, qui s’est endormie profondément. Puis K.R a abusé d’elle sexuellement. Ces exemples d’agressions sexuelles ou autre type de VBG sont légion, non seulement dans la cité du fromager, mais sur toute l’étendue du territoire national. Ce qui n’a pas échappé à L’Union Européenne. Elle s’est engagée aux côtés des autorités ivoiriennes pour lutter contre ce fléau, à travers le financement du projet baptisé « Nous, femmes », piloté par le Réseau Ivoirien des organisations féminines (Riof).  Dont le but principal est de sensibiliser les populations sur les dangers des VBG. « L’un des facteurs majeurs lié à l’accroissement des VBG est que les Organisations de la Société Civile (OSC) intervenants dans la lutte contre les VBG ne sont pas associées dans la définition, l’élaboration, la mise en œuvre et le suivi des politiques publiques dans la lutte contre les Violences basées sur le genre par les collectivités locales. Cela est dû à l’insuffisance des capacités techniques de ces OSC dans la lutte contre les VBG », a déclaré Akowedo jean Louis, chef de projet au Riof. Pour lui, le projet « Nous, femmes », vient donc combler un vide chez les OSC pour les rendre plus opérationnels devant les situations de VBG. Débuté en 2021, ce projet a amené le Riof à parcourir toute la Côte d’Ivoire pour renforcer les capacités des 68 OSC qui lui sont affiliées, afin qu’elles s’impliquent davantage dans le domaine du genre. C’est la ville de Gagnoa qui a été choisi pour faire le bilan de cette tournée nationale qui a duré un an. Un bilan jugé « satisfaisant » selon le chef du projet. Pour Ozoua Yvonne épouse Kouadio, présidente du conseil d’administration (PCA) du Riof, le projet « Nous, femmes » a formé les femmes sur la méthodologie de rédaction d’un plaidoyer et aussi comment approcher les autorités en cas de Violences basées sur le genre. Quant à Tiété Légré Emmanuel, délégué régional du Riof, il note qu’il aura un suivi des OSC sur le terrain pour savoir comment elles mettent en application les acquis du projet.

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La dénonciation comme première solution

 « Les structures bénéficiaires du projet sont nos portes paroles auprès des autorités. C’est par les dénonciations que feront les populations que nous saurons qu’il ya un impact du renforcement des capacités des OSC », a soutenu Emmanuel. Pour le Riof donc, l’une des solutions pour éradiquer les VBG, reste incontestablement la dénonciation. « L’effet de ces sensibilisations, c’est que les gens n’hésitent pas à venir vers nous, pour signaler les viols », mentionne la Cndhci. Grâce à la dénonciation faite par Nazaréat Djadji, responsable de l’Ong ‘’Union des fils de Dieu en Christ pour l’évangélisation dans le monde’’ (Ufdcem), le viol de Kokouézo a été porté à la connaissance de tous. Œuvrant pour la défense des personnes vulnérables, cette Ong a saisi la gendarmerie d’Ouragahio qui a procédé à l’interpellation du présumé violeur. Déféré à la prison civile de Gagnoa, le suspect attend de passer devant le juge. « Il faut qu’il paye pour son forfait. Nous allons nous battre pour que tous ceux qui vont enfreindre aux droits de la femme soient punis », a martelé le prophète Nazaréat Djadji. Le centre social constate également que les nombreuses sensibilisations ne sont pas tombées dans des oreilles sourdes. « Je peux dire que la sensibilisation a porté. On reçoit des coups de fil anonymes et nous nous dépêchons d’aller sur les lieux. Notre souhait est que les quartiers où nous faisons la sensibilisation soient nos relais auprès des autres quartiers pour porter l’information », suggère Kouadio Molière. Comme il l’a dit, la sensibilisation des uns et des autres porte effectivement des fruits. En témoigne le changement de comportement chez les maris vivant dans la sous-préfecture de Bayota. « Les hommes de Bayota ont compris qu’il ne faut plus battre la femme », jubile Zagadou Odile, présidente cantonale des femmes de Bayota. Elle a bénéficié de la formation initiée par le projet « Nous, Femmes ». Dans sa localité, la présidente cantonale met toutes les occasions à profit pour sensibiliser l’opinion sur la nécessité de préserver le droit de la femme. « Ce projet nous a ouvert les yeux et l’esprit », se satisfait-elle tout en remerciant le Riof et l’Ue.

Insuffisance des centres sociaux

« Désormais, nous avons les armes nécessaires pour lutter efficacement contre les VBG. En pareille circonstance, on nous demande d’informer la police, la gendarmerie ou le centre social », renchérie Chantal Djédjé, secrétaire de l’association féminine, ‘’Ehivet capable’’ de la commune de Gagnoa. Parlant des solutions aux VBG en général et aux viols en particulier, le centre social estime qu’il faut porter l’affaire jusqu’au tribunal afin que des sanctions exemplaires soient prises. « C’est parce que ces genres d’actes sont impunis que les violeurs se croient tout permis », souligne le patron du centre social. Il rappelle au grand public l’existence d’un numéro vert, le 1308, pour alerter les autorités compétentes, en cas de VBG. « Dès qu’on a l’information, on sait ce qu’il faut faire pour mettre la main sur le fautif. Il y a aussi une boite à suggestions dans nos locaux où, de façon anonyme le requérant peut déposer un courrier pour nous saisir de sa plainte », informe le travailleur social. Il s’insurge contre les solutions à l’amiable dont se font complices certains chefs de communautés ou de village. « Si un chef accepte un règlement à l’amiable, la personne violée sera marquée à jamais. Car la femme violée est traumatisée. C’est vrai, les parents ont accepté le pardon, mais qu’en est-il de la santé physique, morale et sexuelle de la victime ? Si la victime rencontre son bourreau sur son chemin, elle va se rappeler des moments douloureux que lui a fait subir son bourreau. Il est préférable de mettre le violeur aux arrêts. S’il est arrêté et jugé, quelque part cela peut être une satisfaction morale pour la victime », souligne l’attaché social. Au delà de la solution judiciaire, Kouadio Molière pense qu’il ya lieu de créer d’autres services sociaux dans les sous préfectures pour que la sensibilisation contre les VBG soit portée dans la Côte d’Ivoire profonde. En effet, le département de Gagnoa ne dispose que de deux centres sociaux. L’un à Gagnoa et l’autre à Ouragahio. « C’est un cri de cœur que je lance à l’endroit du ministère. Il faut ouvrir un centre social dans les différentes sous préfectures pour que les populations soient protégées contre les VBG. Parce que quand elles n’ont pas l’information, les cas de VBG restent dans l’anonymat. Il faut donc multiplier les services sociaux de base », a-t-il plaidé.

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Alain Doua

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