Fils de Grand-Bassam, enseignant-chercheur à l’Université de Bouaké et Pélégoro Gon Coulibaly de Korhogo, Agbroffi Diamoi Joachim n’est plus à présenter. Le peuple Nzema le connait, il le vit. Dans cette interview, il nous parle sans détour de son peuple.

Qui est Pr Agbroffi ?

Je suis Agbroffi Diamoi Joachim. Ma grand-mère est Apollonienne de Grand-Lahou et mon père est agni d’Adjouan, Aboisso. Ma maman étant Apollonienne on a de la famille à Grand-Bassam, à Tiapoum et à Ebouinda. J’ai un côté Agni et un côté Nzema. Ma maman étant Nzema, je parle plus le Nzema que l’Agni. Je suis professeur titulaire d’anthropologie sociale, culturelle et politique à l’Université Alassane Ouattara de Bouaké. Je suis à la retraite depuis 2 ans.

Est-ce que le mot Nzema a une signification particulière ?

Le mot nzema ou nzima vient du terme nzema ngyeba signifiant « résilience, triomphe de l’adversité ». Il traduit l’idée d’une personne qui, traquée, parvient toujours à se libérer. Appliqué à quelqu’un, ngyeba signifiant « résilient, triomphateur ». Il désigne la capacité d’une personne à surmonter des difficultés. C’est par déformation que le terme s’écrit nzima.

.D’où viennent les Nzema ?

Les Nzema sont partis de l’Égypte au VIIe siècle Après Jésus Christ. Du VIIe siècle en 1070, ils ont vécu au Mali. Avec l’avènement des Almoravides (une Confrérie de Berbères sahariens), les Nzema, les connaissant pour leur compétence en matière de guerre dans un espace désertique et sahélien, ils se sont déplacés vers les forêts du Sud. Ils ont eu raison de partir de ce lieu, étant donné qu’en 1076, ce fut la fin de l’Empire du Ghâna, dans lequel ils ont séjourné.

Les Nzema sont-ils uniquement à Bassam ?

Il y a une grande partie des Nzema au Ghana sans oublier que dans leur déplacement de guerre du Mali au Ghana actuel, certains ont traversé la Côte d’Ivoire. Ils y ont fondé des villages puis ont rejoint les autres nzema, au Ghana. Inversement, nombreux sont venus s’installer en territoire de Côte d’Ivoire, suites à la guerre de 1868-1876 pour cause de dictature de Kakou Aka et ses successeurs. Les premiers villages que vous trouvez en territoire ghanéen après Noé sont des villages nzema. Le tracer des frontières par les colonisateurs a marqué la séparation de l’espace vécu des Nzema en deux États. Les Nzema vivant en Côte d’Ivoire ont des grands-parents, des cousins ou des tantes au Ghana. Inversement, ceux du Ghana en ont également en Côte d’Ivoire.

Comment est désignée la reine mère (Èbahyemaa) chez les Nzema ?

Dans la société nzema, la désignation de la reine mère (Èbahyemaa) se fait sur la base des critères objectifs préétablis et constitutionnalisés et à remplir par les personnes présomptives. Les Nzema ont la personnalité morale de la reine mère qui est différente de sa personne physique. Sa personnalité morale de leur État, société, est contenue dans la constitution (maamèla nu maamèla). Les critères de son choix sont basés sur les qualités de la personne morale de l’État. Cela veut dire qu’il y a des actes que le reine mère (Èbahyemaa) doit poser et des actions qu’elle doit mener. Le jour qu’elle est placée sur le trône les Nzema lui expliquent que sa personnalité individuelle n’existe plus ; celle qui compte est la personnalité morale de l’État, une personnalité collective. Dès qu’elle est sur le trône, c’est cette personnalité morale, collective et politique qui compte. Et des directives lui sont données afin qu’elle soit cette personnalité.

L’autre chose c’est que si une personne est féticheuse « Komian », les Nzema pensent qu’elle exerce déjà le pouvoir religieux. Et considérant que les pouvoirs sont séparés (tum nu ngbakyeliè) et leur séparation constitutionnalisée, elle n’accède à aucun autre pouvoir. Si parmi les gens éligibles pour le trône on remarque que quelqu’un tombe en transe ou qui pratique le maraboutage, il sera ipso facto écarté. Chez le Nzema le pouvoir exécutif et le pouvoir religieux sont séparés.

Le reine mère n’a donc pas de pouvoir mystique ?

Le reine mère (Èbahyemaa) n’a pas de pouvoir mystique conformément à la constitution (maamèla nu maamèla).  Si on constate qu’une reine mère possède un pouvoir mystique on la destitue pour cause de cumul de pouvoir interdit chez le Nzema. Soit tu es féticheur, soit tu ne l’es pas et tu peux devenir chef chez le Nzema.

Chez les Nzema la royauté n’est donc pas une affaire de famille !

Chez les Nzema, il existe deux modes de choix de reine mère et de roi. En fait si au sein de la famille royale personne ne remplit les critères pour être reine mère et roi, le choix se porte hors de la famille sur celui qui est apte à servir l’État, la société. Le premier mode est dit mode de choix par primogéniture, en ligne de descendance utérine. Le deuxième mode de choix est désigné par le mode choix démocratique. La démocratie existe en nzema se dit et s’écrit « maamaamule ». Dans celui-ci, La famille n’importe pas. Il y a donc le mode de choix par progéniture et le mode de choix par démocratie. Le mot démocratie existe dans notre langue, c’est « maamaamule ». Avant que les Blancs ne viennent coloniser les Nzema, ces Nzima connaissaient déjà la démocratie (maamaamule).

Qui, de la reine mère et du roi, détient le pouvoir exécutif chez les Nzema ?

Vous constatez que le roi est mieux habillé et plus paré de bijoux que la reine-mère. Son siège est également plus élevé que celui de la reine-mère. Chez le Nzema dans les principes du système successoral, l’héritier principal s’assied et l’héritier adjoint s’assied sur ses cuisses. L’Adjoint à sa tête qui dépasse celle de l’héritier principal. Cela est tenu compte dans la hauteur du trône de la reine mère et de celle du roi, lors de la sculpture. Le roi est plus en hauteur que la reine mère pour lui signifier qu’il assure l’intérim de la reine mère en cas de vacance de pouvoir, d’empêchement, d’incompatibilité et délégation exceptionnelle de pouvoir, prévus par la constitution (maamèla nu maamèla).

Chez les Nzema, la personne qui exerce le pouvoir exécutif est la reine-mère. Le roi, chez nous, à rang de Vice-Président ou de Premier Ministre auprès de la reine-mère. Donc il n’exerce le pouvoir qu’en cas de vacances de pouvoir et autres occasions prévues par la constitution (maamèla nu maamèla).

Pourquoi le roi a plus d’apparat que la reine mère ?

Dans le principe démocratique nzema (maamaamule), c’est le peuple qui élabore les lois et prend les décisions. Les reines mères, les rois et les chefs traditionnels les exécutent. Pour qu’ils s’en souviennent au quotidien, le peuple les marie à lui peuple pour faire d’eux, des épouses symboliques du peuple dans son entièreté, à des fins uniquement démocratique ; le peuple, dans sa totalité, époux des gouvernants. La reine mère est l’épouse, la plus âgée du peuple ; le roi, la jeune mariée de ce même peuple. Il exprime sa jeunesse dans le grand nombre des apparats. Vu que c’est la femme qui a un mari capable qui se pare de la sorte d’apparats, le roi exprime la richesse du peuple, son époux symbolique et en terme démocratique (maamaamule).

Est-ce que le roi est l’époux de la reine ?

Non. Chez le Nzema, le roi n’a rien avoir avec la reine. En fait, c’est un lexique des Blancs, sinon roi et reine n’ont aucune signification chez le Nzema. La reine mère n’est pas l’épouse du roi. Elle est rarement la mère biologique du roi. L’époux de la reine mère ne devient pas roi chez les Nzema ; l’épouse du roi, elle, non plus ne devient pas reine ou reine mère chez les Nzema. Èbahyemaa et Omaahyenle ou Awulae n’ont pas de liens avec reine, reine mère et roi des Blancs.

Qui tranche les litiges ? Qui a le dernier mot ?

Conformément au principe de la séparation des pouvoirs (tum nu ngbakyeliè) ni la reine-mère, ni le roi, ni les chefs traditionnels ne tranchent les litiges. Le pouvoir judiciaire (pèpèlilè nu tum) est exercé, chez les Nzema, par des personnes autres que les reines mères, les rois et les chefs traditionnels. Les Nzema ont plusieurs cours de justices. Ni la reine mère, ni le roi n’interviennent à la cour suprême nzema. Toute personne et vraiment toute personne peut porter plainte contre les autorités nzema et gagner son procès. C’est la loi et la constitution à la base qui sont contre les actes et les actions désapprouvés par un plaignant. Ce sont la constitution et les lois qui découlent d’elle qui parlent. Si une autorité est condamnée, c’est la constitution et les lois et autres normes découlant d’elle qui l’ont condamnée. Elle ne s’en prend à personne.

Quelle est le rapport entre l’autorité Nzema et l’autorité administrative ?

Quand les Blancs sont arrivés, ils ont essayé d’étudier les constitutions et autres normes des sociétés traditionnelles. Ils ont conclu que les Noirs n’ont ni constitution, ni autres normes qui en découlent et ils ont donné le terme « us et coutumes » qui pourraient de loin faire penser à des normes. C’est-à-dire qu’on n’aurait pas de texte formel sorti d’une concertation, d’une réflexion, d’une élaboration de loi. C’est par l’habitude que les Noirs ont eu des habitudes appelées us et des coutumes qui sont pratiques qui ont fini par devenir des pratiques sur lesquelles ils se basent pour agir.

C’est reconnu, les Nzema  n’ont ni us, ni coutumes. Ils ont une constitution et des lois qui en découlent. Les juristes de l’histoire du droit et les anthropologues le reconnaissent. Ils ont admis que les sociétés matrilinéaires ont une constitution. Le peuple Sénoufo est matrilinéaire. Il a des lois bien rigoureuses. Les bois sacrés qui sont dans la ville de Korhogo sont conservés par respect. Les gens n’y vont pas pour faire n’importe quoi. Tout est structuré. Les sociétés matrilinéaires ne sont pas concernées par l’expression « us et coutumes ». Le passage des sociétés matrilinéaires aux sociétés patrilinéaires reposant sur des systèmes de classes d’âge qui s’apparentent à des corps d’armées, à des régiments a conduit à des désordres. Toutefois, ces sociétés font une passation pacifique du pouvoir.

Dans la loi instaurée par les Blancs, le roi est en dessous du sous-préfet. Ce sont des rapports d’un supérieur à un non-supérieur qui existent entre les autorités administratives et les autorités Nzema. La collaboration se passe bien. Depuis 2014, les autorités administratives et les autorités des États et sociétés d’avant la colonisation, œuvrent dans une complémentarité revue, arrangée et améliorée. Conformément à l’ordre de préséance prescrit à l’article 2 et à la recommandation de l’article 3 du décret n  2013-509 du 26 juillet 2013, le Préfet d’Abidjan, les Préfets de Région, Les Maires et les Sous-Préfets passent avant les rois et chefs traditionnels.

En dehors de Grand-Bassam y a-t-il des villages Nzema en Côte d’Ivoire ?

Tiapoum est un Département comportant beaucoup de villages Nzema. Les Nzema de ce Département ont une reine mère, un roi, des chefs traditionnels nzema.

Est-ce que les Nzema de toutes les contrées ont un cadre de concertation ?

Si, les Nzema de toutes les contrées ont un cadre de concertation. La célébration de l’Abyssa en est une. Au cours de l’Abyssa, une autorité dont la personnalité morale ne cadre pas avec sa personne physique est critiquée, conformément aux exigences de la constitution (maamèla nu maamèla) qui n’admettent pas d’écart. Lorsque l’intérêt supérieur des Nzema est en cause, des rencontres sont organisées.

Est-ce que la constitution est écrite ?

Depuis 1885, les Nzema sont scolarisés. L’écriture est un avantage pour écrire la constitution (maamèla nu maamèla) qu’ils ont avant le VII e siècle, après Jésus-Christ. Un étranger peut demander aux Nzema s’ils ont fait usage de l’écriture pour écrire leur constitution ; mais un Nzema scolarisé ou non ne peut demander à un autre Nzema si la constitution (maamèla nu maamèla) est écrite. L’écriture de la constitution akan matrilinéaire nzema n’est pas un problème pour le professeur titulaire d’anthropologie sociale, culturelle et politique que je suis. Les écrits sur cette constitution ne manquent pas parmi mes publications. En plus, j’ai un étudiant qui va soutenir une thèse sur la constitution (maamèla nu maamèla) d’un autre groupe ethnique akan matrilinéaire. Sachez que l’écriture en langue nzema existe depuis longtemps. Beaucoup de documents sont produits. Les aspects importants de la constitution (maamèla nu maamèla) akan matrilinéaire nzema n’y manquent pas. Le problème est que les gens ne lisent plus. C’est le vrai problème, ce n’est pas l’écriture de la constitution qui l’est.

Auprès de qui est conservée la constitution ?

La constitution (maamèla nu maamèla) est une loi fondamentale (maamèla nu maamèla edukpone). À ce titre, elle est au-dessus de tous les hommes. Chez les Nzema, c’est tout le monde qui la protège. Elle est l’unique occasion pour ne pas retourner à l’état de nature. Personne n’a envie de vivre comme un animal. C’est la raison pour laquelle, chez les Akan matrilinéaires nzema, l’Abyssa est organisée chaque année pour préserver la constitution des actes et actions qui peuvent la mettre en cause. Le contrôle de constitutionnalité (maamèla nu maamèla neanea) et le contrôle de conformité ou d’inconformité d’une loi par rapport à la constitution (mèla nu neanea woo maamèla nu maamèla zu) existent chez les Nzema. Entre les hommes et les femmes nzema, les femmes nzema la protègent plus. Parce que lorsqu’elle n’est pas respectée, ce sont elles qui, en définitive souffrent, le plus. Il y a aussi que, les femmes vivent plus longtemps que les hommes. De ce fait, elles sont la mémoire de la constitution et des lois et autres normes qui en découlent. Elles sont le dernier recours, en matière de constitution. C’est de là que vient la longévité exceptionnelle de la constitution akan matrilinéaire nzema.

Interview réalisé par Sékongo Naoua

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