Si on vous dit Soumahoro Mirambelle Nicole. Cela ne vous rappellera pas quelqu’un de précis. Mais si vous entendez « Taxi choco », vous allez vous souvenir de cette jeune femme angélique à bord d’une voiture class estampée de « Taxi choco ». Nicole fait partie de ces dames battantes et entreprenantes qui conçoivent, réalisent et conduisent un projet. Le créneau choisit par cette charmante dame est atypique. C’est le transport. Nous l’avons rencontré pour nos fidèles lecteurs.

D’où vient l’appellation « Taxi choco » ?

On voulait créer un service de taxi de luxe. Et nous savons qu’en Côte d’Ivoire le « nouchi » est souvent utilisé. On s’est dit que le mot « choco » conviendrait, car il permet d’intéresser toutes les couches sociales.

Vous avez employé le mot « on ». Avez-vous des associés ?

Oui, nous sommes deux associés.

Quand est venue l’idée de créer « Taxi choco » ?

J’ai vécu en Angleterre. Chaque fois que je rentrais au pays, j’avais toujours cette crainte de prendre un taxi à cause de tout ce qu’on lisait sur les réseaux sociaux. Je parle des années 2014 et 2015. Il m’arrivait de prendre des photos du taxi que j’empruntais et je les transférais aux parents pour qu’ils sachent quel taxi j’avais emprunté pour rentrer à la maison. C’est là qu’est venue l’idée de créer un canal de transport plus rassurant. Étant en Europe, je savais comment les taxis fonctionnaient. Là-bas, on n’a jamais peur de prendre un taxi pour rentrer chez soi.

Pourquoi avoir opté pour des conductrices ?

Notre entreprise a été créée pour offrir de l’emploi à toute femme capable d’être conductrice professionnelle et pour l’autonomisation de la femme. Les femmes doivent savoir qu’elles peuvent faire tout ce que les hommes font. Nous voulons leur montrer qu’elles ne doivent pas se sous-estimer et qu’un emploi leur donne un sentiment d’indépendance financière. Je suis une femme et j’ai grandi ici au pays avant de partir en Europe en 2009. Je suis quelqu’un qui aime les challenges. Je connais la condition de la femme en Afrique. Et en Europe, je vois des conductrices de bus. Je me suis donc dit pourquoi pas. Cela allait me permettre de relever un défi. Celui de permettre à la jeune dame d’avoir un emploi qui lui permette de restaurer et garder sa dignité, d’être indépendante et d’être autonome de ses choix et décisions. 

Est-ce que c’est pour le projet que vous êtes revenues au pays ?

C’est le projet qui a fait que je suis revenue plus tôt au pays. En fait, je suis étudiante en Business finance. En principe, le projet devrait faire partie de mon cursus scolaire. Si bien que mes études qui devraient durer trois ans allaient s’achever en quatre ans. Le programme était qu’après deux ans d’études, je puisse passer une année à travailler dans une entreprise. Après cette année en entreprise, je devais retourner aux études pour ma dernière année pour mon diplôme en Business finance (Bachelor Degree With Honours). Mais je me suis dit en moi-même pourquoi aller travailler pour les autres. Pourquoi ne pas rentrer chez moi et m’essayer dans le projet que j’ai longtemps nourri. J’ai estimé que ce serait le lieu pour mieux apprendre plus rapidement.

« Taxi choco » existe depuis combien de temps ?

On a commencé depuis le 08 mars 2023. C’est un jour particulier. Jour symbolique pour toutes les femmes dans le monde entier. Mais je suis sur le projet depuis 2020. Les courses pour obtenir les agréments ont pris du temps, sinon on devrait être opérationnel depuis 2021.

Quelle stratégie avez-vous adoptée ?

« Taxi Choco » s’est engagé à bâtir son entreprise sur le professionnalisme. La courtoisie, la fiabilité et le dévouement sont autant de choses que nous adoptons qui nous permettent de tisser des relations de confiance avec nos clients. C’est autant d’arguments dont nous disposons pour donner du crédit à l’entreprise. Réduire au minimum les plaintes, atteindre rapidement nos objectifs et développer une solide réputation d’excellence. C’est notre leitmotiv.

Depuis quand avez-vous commencé à communiquer sur le projet ?

C’est depuis le 1er mai 2021. J’ai fait l’annonce sur ma page Facebook personnelle pour dire que je venais avec un nouveau projet qui allait employer uniquement des femmes en tant que chauffeurs. Il y a eu beaucoup de partage du message et c’était le boom. Je le dis et le confirme, nous avons été les premiers à créer une entreprise dans laquelle on emploie uniquement que des femmes dans le domaine de la voiture de transport avec chauffeur (VTC) en Côte d’Ivoire.

Est-ce que vous avez eu des difficultés à obtenir les dossiers nécessaires pour la création de votre société ?

A part le grand retard dans l’obtention de l’agrément, tout s’est bien passé. Mieux, et ça je ne le savais pas, nous avons été informés que tout ivoirien voulant investir pour créer de l’emploi, avait la possibilité de faire établir une demande d’agrément à l’investissement. Il faut saluer et féliciter le gouvernement pour cette possibilité. En fait, avec cet agrément, on ne paie plus de taxe à l’importation ni de douane. On a acquis nos véhicules hors taxe. C’est vraiment une grande aide et bravo au gouvernement. La seule chose qu’on a déplorée, c’est la lourdeur administrative qui nous a retardé dans le lancement de notre projet.

Quel est l’organigramme de votre entreprise ?

En fait, notre business fonctionne avec une application. Ce qui est bon dans le monde moderne, c’est qu’il y a Internet. Vous avez besoin d’un taxi pour une certaine heure, vous vous connectez et vous faites votre demande. Pour le moment, on a seulement besoin d’une Directrice dévouée comme moi pour un début, mais le besoin de personnels immobilisés viendra avec le temps lorsque nous allons agrandir notre parc auto, car nous rêvons grand. On a besoin actuellement de chauffeur capable et disponible, mais surtout, qui prendra son travail avec passion.

Quelle est la cible en parlant de clientèle ?

Nos taxis sont disponibles pour tout le monde quelle que soit la destination. Et je vous informe que malgré le type de véhicule que nous avons, nos prix sont très abordables par rapport à la concurrence. Nous vous donnons le choix en vous invitant à télécharger notre application qui est disponible sur PlayStore et AppStore et de le découvrir de vous-même.

Comment les prix sont-ils fixés ?

Il faut reconnaître qu’on apprend à la pratique. Tu peux faire un business-plan et te rendre compte qu’il ne marche pas comme prévu. En ce moment, il faut faire des réaménagements pour l’adapter à la réalité. S’entêter à ne pas changer de modèle qui ne marche pas est un problème. Et ne pas essayer aussi est encore plus grave. Parce que tu n’apprendras rien et tu ne sauras rien. Au début, on avait opté pour un modèle de tarification unique par zone. On avait divisé Abidjan en deux zones. Mais à la pratique, on a relevé des insuffisances et depuis un mois déjà, on a adopté la tarification par kilométrage. Le prix au kilométrage ne change pas quelle que soit l’heure de la journée. C’est-à-dire de 6 heures à 22 heures.

Et après 22 heures ?

Ce sont des femmes qui conduisent. Pour le moment, on travaille jusqu’à 22 heures. 

Vous avez une politique commerciale agressive ?

On vend notre projet. Je vous informe que vous avez la possibilité de précommander la course pour demain ou pour après-demain sans que cela n’engendre des frais supplémentaires.

Quelle est votre zone d’action ?

Nous partons partout où on nous sollicite. Quand c’est une longue distance, on vous conseille la formule de la location parce que cela vous reviendra moins cher.

Quelles sont vos rapports avec la concurrence ?

Ce ne sont pas des concurrents, mais plus tôt des confrères. Ils ont commencé avant nous. Et j’avoue qu’on s’est servi de leurs insuffisances pour améliorer nos services. Mais ceux qui nous prennent pour concurrent ont raison d’avoir peur de nous parce qu’on a l’impression en ce moment que nous sommes le leader des sociétés de transport avec chauffeur (VTC) à Abidjan, car nous sommes en train de nous construire une réputation de taille. Ça nous rend fier de savoir que nous avons passé des nuits blanches à innover avec de nouvelles idées. On constate même qu’on nous copie.

Vous avez vraiment innové quelque chose de nouveau !

Sachez que dans nos taxis, vous avez le Wifi et le rafraîchissement gratuit. On constate que certains commencent à prendre cette voie. On est content pour les Ivoiriens. Ils méritent le confort et la sécurité.

Combien de femmes travaillent pour vous actuellement ?

C’est le gros souci actuellement : le personnel. Je suis en manque de personnel. J’ai 9 femmes qui travaillent actuellement, mais j’ai encore des véhicules qui sont stationnés faute de chauffeurs. Elles sont deux par véhicule et chacune travaille un jour sur deux. Mais faute de chauffeur, je laisse le confort du bureau pour me transformer en chauffeur et j’adore ce contact avec les clients.

Est-ce qu’il arrive que certains clients vous fassent des avances ?

Cela ne manque pas. Il est vrai qu’une jeune dame au volant reçoit très souvent des avances de clients. Ça arrive avec moi-même. A un feu tricolore, un homme de son véhicule avait le regard insistant sur le logo de « Taxi choco ». Et dans ma peau de commerciale, j’ai baissé ma vitre et je lui ai remis une carte de visite. Au moment ou je lui vendais les services de « Taxi Choco », lui me demandait carrément ce que je coûtais puisqu’il disait que ce n’est pas le taxi qu’il voulait, mais plus tôt moi. J’ai décliné avec sourire et politesse.

J’espère que nos conductrices savent qu’elles doivent préserver leur propre dignité. Qu’elles sachent que « Taxi choco » n’est pas un canal d’exposition à la dépravation de mœurs. Elles doivent être fières de gagner leur pain quotidien par la sueur de leur front. Je leur souhaite d’avoir le choix, moi, j’ai toujours eu le choix, car malgré le décès de mes parents, j’ai tout essayé : tresseuse, vendeuse. Et ce, depuis le primaire. Il n’y a pas de sot métier tant que ça te rend digne. Mon seul souci à Abidjan a été d’avoir un toit paisible.

Quelles sont vos rapports avec la tutelle ?

Au lancement de notre projet, nous avons adressé des courriers à différents ministères. Le ministère des Transports, le ministère de la Promotion de la jeunesse, de l’insertion professionnelle et du service civique, le ministère de la Femme, de la famille et de l’enfance, ainsi que le cabinet de la Première dame. Malheureusement, le 08 mars, la Première dame était hors du pays ainsi que la ministre de la Femme, de la Famille et de l’enfant, Mme Nasseneba Touré qui a été la seule à se faire représenter. Et le cabinet de la Première dame nous a aussi appelé quelques jours avant notre lancement pour nous encourager et s’excuser du fait que la Première dame ne pourrait pas être présente à cause d’un calendrier chargé. Les autres sont restés silence radio jusqu’à aujourd’hui.

Comment se fait le recrutement chez vous ?

Voilà aussi un chapitre où j’ai beaucoup appris. La cause de la femme est quelque chose qui me tient à cœur. J’ai perdu mes parents assez jeune, ma mère en premier. Je sais ce que c’est que vivre sans avoir de soutien. Avant de lancer le projet, celles qui proposaient leurs services n’avaient pas pour la plupart le permis de conduire. Pour moi, ce n’était pas un problème puisque je me suis engagée à payer les frais pour obtenir le permis de conduire. Je traite avec deux auto-écoles pour les faire passer le permis de conduire tous frais payés.

C’est vraiment unique comme modèle !

Mais ça a été une grande déception. Certaines ont commencé et ont abandonné par la suite, alors qu’il n’y a pas de remboursement après versement des frais. D’autres sont allées jusqu’au bout et ont disparu par la suite. Alors la question est de savoir si les femmes ont envie d’être aidées. Est-ce que les femmes ont envie de travailler ? J’ai eu l’impression que certaines ont profité de la situation. Pour elles, ça été facile de se retrouver du jour au lendemain avec un permis de conduire sans rien dépenser. Or, il suffit d’observer, de se donner du courage et surtout, d’avoir l’envie de changer sa condition de vie. Je travaille tous les jours sans salaire sur le terrain pendant qu’elles ont des jours de repos avec un salaire garanti parce que j’ai une vision et un objectif à atteindre. Elles devraient prendre exemple sur moi qui suis leur responsable, mais non. 

Il faut que nos jeunes sœurs sachent que personne ne les assistera. Le mieux est de se mettre au travail. Construisez-vous par le travail, chères sœurs. À part l’agrément, on n’a reçu aucune aide de qui que ce soit pour réaliser ce projet. On a même des personnes qui se sont inscrites aux abonnés absents alors qu’on avait juste besoin de leur présence.

Est-ce que vous avez revu votre mode de recrutement ?

Actuellement, je ne prends plus de fille qui n’a pas le permis de conduire. Il faut aussi qu’elle ait un bon niveau d’étude. Sachez que le modèle de transport de « Taxi choco » exige certaines choses, dont un minimum de niveau d’étude et une éducation exemplaire. Je pense que je me suis trompée dans le modèle de recrutement en allant par le cœur et non par la tête.

Que dire du bilan des quatre premiers mois de votre activité ?

Le bilan est très positif. Le label « Taxi choco » est visible. On a de la clientèle. On a des partenariats avec certains complexes hôteliers et nous travaillons avec certains organismes des Nations Unies. Peut-être que « Taxi choco » n’est pas encore dans le quotidien de l’Ivoirien, car étant encore un bébé, mais la plupart de nos clients actuellement viennent de l’extérieur. L’autre avantage, c’est que quel que soit le pays, vous pouvez installer et utiliser notre application. 

Réalisé par Sékongo Naoua

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