Si le gouvernement ivoirien a interdit l’utilisation des produits de dépigmentation en 2015. Une décision pas respectée, il reste tout de même silencieux sur la fabrication et l’utilisation des produits de beauté faits maison. Pourtant, ils ne sont pas sans conséquences pour la santé.
Eclaircissant ou pas, femmes, jeunes filles et même certains hommes s’adonnent à la fabrication de leurs propres produits de beauté. Murielle N en fait partir. Pour embellir son teint, elle est prête à tout…
Ce 2 octobre 2020, cette jeune dame qui avoisine la trentaine revient du marché d’Adjamé d’où elle a acheté le nécessaire pour la fabrication de ses produits de beauté (lait et savon). Naturellement claire, Murielle dit entretenir son teint à partir d’un mélange de produits dont elle seule a le secret. Le dévoiler serait « réduire l’efficacité de ses produits », indique-t-elle. Pourtant, elle précise « je prends des laits neutres que je mélange à des produits importés. Ces produits éclaircissants sont à base de glutathion. Ils sont efficaces pour s’éclaircir la peau et reviennent chère. Là je viens de dépenser plus de 20 000 FCFA. Pour les savons j’achète également des savons dont je préfère taire le nom que je mélange avec le curcuma. Le curcuma peut être aussi utilisé pour les personnes de teint noir. C’est tout ce que je peux dire », fait-elle savoir.
La règle d’or de taire la base des produits, n’empêche pas Murielle de se faire observer. Elle ne court aucun risque puisque ces produits sont sans étiquettes. La riveraine de Cocody renverse alors un lait et un liquide dans un bol qu’elle remue jusqu’à obtenir la couleur jaune et le compte est bon. L’odeur qui accompagne n’est pas fameuse, mais elle a l’air très satisfaite. « Lorsque j’obtiens cette couleur c’est ok. Sinon je risquais de renverser de l’huile à nouveau. Je mettrais au frais (frigo) jusqu’à au moins 3 heures de temps et le tour est gagner », se réjouie-t-elle.
Cette pratique, la secrétaire l’a adoptée depuis bientôt 5 années. Pourquoi ? « Parce que les structures qui fabriquent les produits ici trichent. Leurs produits éclaircissant ne sont pas efficaces. Ils finissent par donner des dartres, des tâches… ce qui m’a le plus découragé, c’est lorsque j’ai vu utiliser les défrisant dans l’une de ces structures pour la confection de savon. Je me suis alors formée auprès d’une amie qui vendait des produits efficaces et peu agressifs jusqu’à ce que je puisse réussir à faire tout cela », s’en souvient-elle.
Consciente des effets néfastes des produits éclaircissant, Murielle pense se protéger en anticipant des traitements sanguins, car dit-elle, « quand tu te ‘’tcha’’ dépigmente trop il faut faire un traitement de sang, sinon tu t’expose à l’anémie. Ce sont les dispositions que je prends à mon niveau », insiste-elle.
Selon une étude réalisée en 2019 provenant « des chiffres de consultations médicales et de visites avec plus de 10 000 femmes dans les centres spécialisés, « en Côte d’Ivoire, 53% des femmes à Abidjan âgées de 15 à 45 ans, utilisent des produits éclaircissant.
Plusieurs autres femmes disent être déçues des propositions de produits connus en Côte d’Ivoire. Pour maintenir la fraicheur de leur peau, elles se réfèrent à des commerçantes qui en fabriquent également. Un secteur rentable selon Sonia T. « Depuis mon arrivé dans ce secteur je ne me plains pas. Je peux vendre au minimum 5 pots par jours soit 50000FCFA. Quand ton produits est bon la publicité se fait tout ». Et de poursuivre « les produits prisées sont les produits éclaircissant ».
A chaque fabrique, une recette. Pour l’obtention de résultat rapide, sans trop de dépenses la commerçante à domicile privilégie les produits faits à base d’hydroquinone, pour les teints clairs. Les savons noirs et aussi les laits neutres pour les teints noirs.
« Nous ne connaissons pas généralement la composition totale des produits que nous utilisons. Les commerçantes ne dévoilent pas tout, elles parlent du produit qui éclaircit uniquement. Ce qui est le plus important c’est le résultat que nous recherchons puisque nous savons déjà les dangers dont on ne tient pas compte », en témoigne Evelyne C, une utilisatrice.
Un avis moins partagé par Josiane K, utilisatrice de gamme teint noir fait maison. « Ce n’est pas normal d’utiliser un produit sans connaitre le contenu. Certes on s’en tient le plus souvent au résultat, mais c’est une attitude à changer. La gamme que j’utilise est faite à base d’aloès mais je me demande si c’est réel. Les commerçants ne pensent qu’à écouler leur produit de nos jours. Il faut aussi avoir ça à l’esprit, sinon le résultat est parfait », indique l’étudiante.
Que dit le médecin ?
Des fabricants ignorent également le contenu des éléments de base. « Il y a des magasins dans les marchés, il suffit de donner tes critères on te présente des produits adéquats provenant de l’extérieur… il n’y a pas vraiment d’indice », confie Sonia.
Selon le dermatologue Roland Silué, l’utilisation de ces produits de beauté faits maison ne sont pas sans risques. Elles sont à la base de pas mal de complications de peau.
Les plus récurrentes sont notamment la « fragilisation de la peau, la desquamation de la peau, l’ulcération, la lichénification, les rougeurs, le prurit, l’hypersensibilité de la peau aux rayons solaires… »
C’est pourquoi il conseille aux utilisateurs et utilisatrices de cesser immédiatement et consulter les professionnels en la matière car, fait-il remarquer « dans la mesure où ces femmes ne sont pas des professionnelles, elles ne mesurent pas les conséquences à long et même à court terme de l’application de ces produits sur la peau ».
Marina Kouakou