Al-Qaïda nourrit un « projet d’expansion » vers le golfe de Guinée, en particulier la Côte d’Ivoire et le Bénin, estime le patron du renseignement extérieur français, Bernard Emié. Que sait-on de la menace dans cette zone ?
Selon le chef de la DGSE française, le projet d’expansion d’al-Qaïda vers le golfe de Guinée a émergé lors d’une réunion des plus hauts chefs terroristes locaux en février 2020, qui préparait des opérations de grande ampleur.
La présence de relais terroristes en Afrique de l’Ouest n’est pas nouvelle. Dans son audition devant la police malienne, le terroriste surnommé Ibrahim 10 évoque en 2016 ses repérages menés sur instruction même du chef jihadiste Mokhtar Belmokhtar. Il raconte avoir effectué un premier voyage dès 2012 en Côte d’Ivoire, et fait état d’autres déplacements notamment au Sénégal.
La Côte d’Ivoire apprend dans la douleur un jour de mars 2016 qu’elle est une cible des jihadistes. L’attaque de la cité balnéaire de Grand Bassam revendiquée par AQMI fait une vingtaine de morts. En juin 2020, c’est un poste avancé à la frontière avec le Burkina, à Kafolo, qui est attaqué par des jihadistes liés à la katiba Macina, elle-même émanation d’al-Qaïda. Bilan 14 militaires tués.
En 2019, deux attaques contre des étrangers touchent les frontières Burkina-Togo et Burkina-Bénin. Des attentats révélateurs d’une volonté de frapper en dehors des fiefs sahéliens connus.
Fin 2018, bien avant donc la réunion de 2020 évoqué par Bernard Emié, trois chefs jihadistes affichent ouvertement dans une vidéo leur volonté de rallier au jihad les peuls d’Afrique de l’Ouest. Iyad Ag Ghali, Amadou Koufa et Djamel Okacha lancent alors un appel aux peuls du Ghana et du Nigeria notamment.
Le Bénin et la Côte d’Ivoire, évoqués par le patron du renseignement extérieur français, seraient pour l’heure plus des zones de refuge pour l’approvisionnement et le trafic de carburant. Des zones d’activités « transitoires et logistiques » donc plus que des zones d’implantations pérennes de katiba, pour l’instant…
Dispositifs renforcés le long de la frontière ivoirienne
En Côte d’Ivoire, depuis l’attaque de Grand Bassam et le raid de Kafolo, l’armée et la gendarmerie ont renforcé leurs dispositifs le long de la frontière, notamment en termes de mobilité et de renseignements, pour tenter d’empêcher les infiltrations et surveiller les mouvements suspects, explique notre correspondant à Abidjan, Pierre Pinto.
Pourquoi la Côte d’Ivoire ? « C’est un hub logistique pour Barkhane. Et puis il y a ici de nombreux intérêts français », estime le chercheur Lassina Diarra. La Côte d’Ivoire est aussi engagée au Mali, où elle a perdu quatre casques bleus dans une attaque le mois dernier.
« La menace n’est pas nouvelle, commente Arthur Banga, spécialiste de l’armée ivoirienne qui s’interroge : les déclarations de la DGSE sont-elles un message politique à un moment ou l’exécutif français se demande quel dispositif maintenir au Sahel ? Ou dispose-t-elle de signaux plus importants ces derniers temps ? »
Quoi qu’il en soit, des projets d’attentats ont déjà été déjoués à Abidjan ces dernières années. Et depuis 2018, la France et la Côte d’Ivoire mettent sur pied l’Académie internationale de lutte contre le terrorisme. Une école régionale qui doit ouvrir ses portes près d’Abidjan prochainement.
Enlèvements au Bénin
Au Bénin, aucune autorité ne s’est encore prononcée publiquement sur le sujet, rapporte notre correspondant à Cotonou, Jean Luc Aplogan. Selon les informations de RFI, la présidence de la République et les institutions qui s’occupent de la défense et de la sécurité n’ont pas organisé de réunion sur la question.
Un officiel rappelle que ce genre de bruit est arrivé souvent à leurs oreilles. « Mais je ne banalise pas, prévient-il. Celui qui a parlé n’est pas n’importe qui », allusion à Bernard Emié, le patron de la DGSE. Le conseil de cabinet ministériel qui s’est réuni lundi n’a pas évoqué le sujet. « On en parlera peut-être en divers demain en conseil des ministres », pense un membre du gouvernement interrogé.
Depuis mai 2019, le Bénin est confronté à un défi sécuritaire suite au double enlèvement de ressortissants français et de l’assassinat de leur guide dans le parc de la Pendjari. Pour juguler la menace, l’armée de terre a déployé des centaines de soldats dans les parcs de la Pendjari et dans le parc W, à la frontière avec le Burkina et le Niger.
Ils ont pour mission de patrouiller et d’escorter de hautes personnalités notamment. L’objectif est aussi de montrer que l’Etat est présent, en langage opérationnel : le « show the flag », montrer le drapeau. L’opération est toujours en cours. Il était prévu qu’elle monte en puissance.
Avec RFI