La problématique de la violence dans les écoles ivoiriennes inquiète plus d’un. Dans cette interview qu’il a accordée à VoixVoie De Femme, le vendredi 26 février 202, le sociologue et expert en genre, Coulibaly Pélibien Ghislain, conseiller technique au Ministère de la Solidarité, de la Cohésion Sociale et de l’Indemnisation des Victimes explique les origines du fléau, non sans en proposer des solutions.

Ces mois-ci, de nombreux cas de violence dans les écoles ivoiriennes sont évoquées ici et là. Le sociologue que vous êtes comprend-il cette montée d’agression dans les établissements scolaires ?

Pour bien comprendre le phénomène, commençons par nous accorder sur la définition de la violence. La violence renvoie à l’utilisation défense ou de pouvoir psychique pour contraindre dominer, tuer, détruire, ou endommager. Cette violence pourrait impliquer des coups, des blessures, de la souffrance ou encore de la destruction des biens ou perte en vie humaine.

Après cette définition du concept de la violence, il est bon également que je vous définisse ce que c’est que l’école. C’est une institution du point de vue sociologique, utile dans la société, eu égard à ses nombreuses fonctions.

La première fonction de l’école est sans conteste, l’instruction, l’enseignement, l’apprentissage. L’écolier est donc astreint à un ensemble d’activités mentales tendant à vaincre l’ignorance sous toutes ses formes. Cela renvoie à la lecture, à l’écriture, au calcul qui sont en réalité les clés du savoir qui distingue un élève de ses camarades de classe d’âge non scolarisés. C’est l’acquisition de connaissance, pour mieux comprendre le monde au fin de le dominer et le transformer reste la principale préoccupation de l’école. Ainsi cette école dont on parle offre à l’apprenant un cadre idéal d’initiation et d’épanouissement intellectuel, lui permettant d’aspirer à la place qui doit être la sienne dans la société.

Cependant cette formation générale et ou technique ou professionnelle ne lui sera réellement bénéfique que lorsqu’elle s’appuie sur une éducation sans faille adaptée aux valeurs et aux croyances de son milieu.

L’accent est mis sur la fonction d’éducation et de formation. Mais au-delà, l’école a également une mission de socialisation des élèves qui deviennent progressivement des citoyens qui partagent des valeurs, des coutumes, les croyances et les interdits de la cité.

Je voudrais résumer pour dire que l’école prépare à amoindrir les conflits sociaux et à les résoudre en pleine connaissance de cause. 

Parler de violence à l‘école pourrait paraitre paradoxale vu que l’école est une école de savoir, de savoir-faire, de savoir-être. Puisque c’est un lieu par excellence d’apprentissage et de partage de connaissance. Mais de plus en plus, on voit des comportements violents chez les apprenants…

Oui, cela remet en cause le modèle que nous avons connu depuis quelques années. En Côte d’Ivoire le système éducatif est en proie à une crise qui remonte à 1990.

Pourquoi remontez-vous aussi loin ?

Vous constaterez que depuis les années, nous assistons à des crises successives dans le système éducatif. La Côte d’Ivoire a connu des ruptures sociales successives : la rébellion de 2002, le coup d’Etat de 1999, la crise postélectorale 2010…  Toutes ces ruptures successives ont fini par détruire notre système éducatif. Parce que ce système appartient à un système social, lui-même en crise de modèle.

En plus, nous y constatons une démission des familles. Nous avons le phénomène du broutage qui monte de plus en plus, des enfants en conflits avec la loi… Tous ces phénomènes de violences que nous observons ne peuvent pas être extirpés de leur environnement socioculturel. Quand je regarde depuis 1990, la Côte d’Ivoire a toujours été émaillée par des cas récurrent de violence à l’école et universitaire.

Il y a un phénomène qui est devenu plus courant, c’est celui des congés anticipés que les élèves se donnent eux-mêmes et cela semble devenu une norme….

Ce phénomène, qui parait un phénomène banal du mois de décembre à surgi dans l’espace scolaire dans les années 1990. Et ensuite, il n’a pas cessé de prospérer. Dans le courant des années 2000 des groupes d’élèves se réclamant de la Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire (FESCI), parfois violents se déferlaient sur des établissements publics et privés pour forcer l’administration et le corps enseignants à arrêter les cours avant la date indiquée pour les congés. Aujourd’hui, ce phénomène est devenu un phénomène national.

Pourquoi les pouvoir publics, notamment les éducateurs n’arrivent pas à mettre fin à ce phénomène. Est-ce une complicité ?

La raison principale de ces congés anticipés réside dans l’écart entre l’arrêt des notes du premier trimestre et du départ définitif en congés de Noël. Une fois les moyennes calculées, il n’y a pratiquement plus de devoir noté, ni d’interrogations écrites jusqu’au retour des congés. Les élèves considèrent donc le temps entre l’arrêt des notes, le calcul des moyennes et la date de départ pour les congés de Noël comme du temps perdu. Ils estiment dès lors, selon une logique dont ils sont les seuls à détenir les clés, qu’ils ne peuvent attendre plus longtemps pour aller en congés.

Ce phénomène des congés anticipés a pour conséquences, ces nombreuses victimes en milieu scolaire.

Aujourd’hui, plus personnes dans nos écoles ne respecte l’autorité. Les élèves aujourd’hui frappent leurs enseignants et enseignantes dans les écoles. Ils tabassent certains responsables d’établissements. Voilà la réalité dans nos écoles.

Au regard de la définition que vous avez donné de l’école, pourrait-on dire qu’il y a une école en Côte d’Ivoire de nos jours ?

Malheureusement, en Côte d’Ivoire, l’école n’est plus forcément le lieu de compétence et du mérite. L’école est devenue une arène conflictuelle, une arène de bataille.

Qu’est-ce qui explique plus concrètement cette dérive ?

L’environnement de nos écoles n’est plus saint. A côté ou aux alentours de nos écoles nous avons des buvettes, des maquis, des fumoirs. Cela pose le problème de la sécurisation de l’accès des établissements qui sont bondés par ces dealers qui viennent acheminés et distiller à des doses homéopathique leur drogue sous toutes les formes. C’est l’une des causes de la persistance de la violence.

Vous avez également évoqué une crise des modèles. Pouvez-vous expliquez cela plus concrètement ?

Vous savez que la Côte d’Ivoire a connu une rébellion. Et ses enfants qui sont nés dans les années 2002 à maintenant, qui ont-ils pris pour modèles ? Demandez-leur. On nous brandit des modèles de réussite qui n’ont pas suivi les modèles classiques de réussite. Nous sommes dans une société où l’ascenseur social est pris juste parce qu’on a fait un tour de passe-passe d’arme pour se retrouver au sommet de l’Etat. Voici les effets pervers justement de ces crises successives militaro-politique qu’a connues la Côte d’ivoire. Il y a une crise de modèle, aujourd’hui, les enfants ne rêvent plus. Aujourd’hui, ils veulent s’intégrer dans une approche d’enrichissement illicite, c’est une génération pressée qui veut réussir sans souffrance.

Quelles solutions entrevoyez-vous pour tenter de redorer un tableau aussi sombre ?

Je suggère que le gouvernement de Côte d’Ivoire puisse assainir l’environnement immédiat des établissements d’enseignement. Il faut commencer par débarrasser systématiquement les buvettes de nos écoles. Il faut sécuriser l’accès des établissements scolaires, instaurer des passes d’accès à l’enceinte des établissements de sorte que l’accès soit contrôlé et sécurisé.

Il faut également instruire les élèves dès le début des années préparatoires sur toutes les conséquences, justement de ces violences en milieu scolaire qu’on ne peut plus tolérer. Il faut développer une communication, une campagne tolérance zéro contre les violences en milieu scolaire.

Il faut échanger avec ces enfants, il faut les mettre face à leur responsabilité.

Il faut que le monde politique donne le bon exemple. Aujourd’hui la politique est gangrénée par la violence. Quel exemple donnons-nous aux enfants ? Les politiques doivent changer de comportement. La politique n’est pas un champ de bataille, ce sont les idées qu’on met en avant. Ce sont des projets de sociétés. Mais que constatons-nous aujourd’hui ? A chaque moment, ce sont des violences physiques, ce sont des soupçons d’empoisonnements qu’on entend. Il faut que l’école se pérennise à la une avec sa classe politique. C’est en cela qu’on pourra retrouver la sérénité dans l’école. Je voudrais me réjouir de ce que le gouvernement fait déjà beaucoup d’efforts et c’est important.

Que faire pour les congés anticipés plus particulièrement qui deviennent la norme ?

Les enseignants, avec les responsables d’établissements, doivent programmer des devoirs communs durant la dernière semaine qui précède les congés.

Il faut aussi que le ministère de tutelle réduise l’écart entre la date de l’arrêt des notes, des calculs, des moyennes du premier trimestre et celles des congés de décembre. C’est important. Il faut également mettre en œuvre le document de politique de genre qui vient d’être adopté au niveau de l’éducation national avec l’appui financier du millénium challenge corporation.

Il faut que le gouvernement applique des actions rigoureuses au fauteurs de trouble en milieu scolaires. Et je pense qu’il y a eu beaucoup de communication et de sensibilisation, pour moi il faut maintenant agir ! On ne peut pas trouver de solutions sans l’implication des parents d’élèves que nous sommes. Les parents d’élèves font partie de l’écosystème du système éducatif. Les parents doivent être sensibilisés sur la participation à la réussite de l’éducation de leurs enfants. Ils doivent contribuer justement à un environnement sain.

Ténin Bè Ousmane

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