Maïeuticien (Sage-femme) en exercice à l’hôpital universitaire de Lausanne en Suisse, Jean Charles Wognin dit « Tonton sage-femme », retrace dans cette interview accordée à VoxVoie De Femme, son parcours y compris son combat pour le bien être des femmes et des enfants, avant d’analyser le système de santé ivoirien.
Vous souhaitiez au départ être cardiologue, mais le classement lorsque vous passiez le concours de médecine n’était pas favorable. Comment parveniez-vous à devenir maïeuticien?
A l’issue de la première année des études médicales, il m’était possible de choisir entre la médecine dentaire et la maïeutique (discipline des sages-femmes). J’ai choisi de m’orienter en maïeutique en suivant les conseils avisés de ma mère.
Pour ce qui est de mon cursus scolaire, j’ai fait l’école primaire au groupe scolaire Seny Fofana à Port-Bouët, le collège à Notre Dame d’Afrique de Bietry, la seconde au Lycée Garçon de Bingerville, la Première et la Terminale scientifique dans l’enseignement français au collège La Corniche à Cocody.
La formation universitaire en Maïeutique a été suivie à la faculté de Médecine de Montpellier en France.
En quoi consiste votre travail au quotidien de façon pratique ?
Mon activité est variée. Je travaille dans toutes les unités de la maternité. En salle d’accouchement, au post-partum, dans le service des grossesses à risque et dans le centre d’échographie.
Qu’est-ce qui vous passionne le plus depuis que vous pratiquez ce métier?
Au-delà de l’aspect médical, scientifique et technique, le métier de sage-femme requiert de l’empathie. Beaucoup d’empathie et une intelligence émotionnelle exercée. C’est cet aspect du métier qui le rend exceptionnel à mes yeux. La profondeur des liens que nous sommes emmenés à tisser avec les familles dans l’exercice de notre profession.
Vous êtes par ailleurs diplômé en gynécologie préventive et contraception, ainsi qu’en échographie gynécologique et obstétricale. Comment et à quel moment obteniez-vous ces qualifications supplémentaires?
Les diplômes en gynécologie préventive et en échographie ont été obtenus en 2017 respectivement à la Sorbonne à Paris et à la Faculté de Médecine de Strasbourg. Il s’agit de formation complémentaires et spécialisantes que l’on peut faire à la suite d’un Master en Maïeutique.
Quelle analyse faites-vous de notre système sanitaire de prise en charge des femmes enceintes, surtout avec la covid19?
Le système de santé ivoirien n’est pas à la hauteur du potentiel humain, technique et financier de la Côte d’Ivoire. Des pays comme le Sénégal et le Cap-Vert font beaucoup mieux que nous. Il nous faut moderniser la formation des professionnels de santé, former plus de personnel, investir davantage et améliorer la gestion des ressources allouées à la santé. La Covid affecte le système de santé de façon globale et le secteur maternité dans une moindre mesure heureusement. Il faut tout de même saluer le travail qui est fait au sein du SMIT de Treichville et des autres centres Covid.
Vous vous êtes engagé depuis l’année 2016 dans la lutte contre la mortalité en Afrique. D’où la création de l’Association le Réseau ivoire pro santé (RIPS). Pouvez-vous nous en dire davantage?
Le Réseau Ivoire Pro Santé est né en 2016 à Paris de ma volonté d’apporter ma contribution à la lutte contre ce fléau qu’est la mortalité maternelle en Afrique et particulièrement en Côte d’Ivoire. J’ai été accompagné dans cette aventure par des amis au nombre desquels l’écrivain Pacôme Christian Kipré dit Peck. L’idée a commencé à germer dans ma tête à l’issue d’un cours de santé publique en deuxième année où les statistiques mondiales sur la mortalité maternelle et infantile nous ont été présentées.
Quelles sont les actions menées jusqu’à ce jour pour atteindre ces objectifs ?
Le Réseau Ivoire Pro Santé s’intéresse depuis 2019 à la promotion du genre et à l’éducation. Nous avons créé un événement dénommé « Entre Femmes », qui réunit chaque 8 mars des femmes inspirantes afin qu’elles échangent sur des thématiques qui ont trait à l’entrepreneuriat et au leadership. Aussi depuis 2020, le RIPS administre un centre d’alphabétisation, le centre Sophia qui accueille 30 femmes par semestre et emploie trois personnes.
Le premier projet du RIPS a été mené en 2017. Il a consisté en un don d’équipements d’accouchement et de réanimation néonatale à l’Hôpital Général de Grand Lahou.
Quelles difficultés rencontrez-vous aussi bien dans le cadre de votre métier, que dans la lutte que vous avez décidé de mener?
J’ai la chance de travailler dans le 9e meilleur hôpital du monde et le 2e européen après l’hôpital de la charité de Berlin. Les « petites difficultés » que nous pouvons rencontrer sont insignifiantes par rapport aux problèmes structurels auxquels nous nous attaquons en Côte d’Ivoire.
En Côte d’Ivoire, les ONG locales ne sont pas suffisamment encadrées et considérées par les pouvoirs publics. Ce sont les organisations internationales aux gros budgets qui ont pignon sur rue. C’est fort dommage.
Avez-vous une anecdote à raconter quant au choix de ce métier ou pendant l’exercice de votre fonction…?
Lorsque j’étais étudiant en 3e année à Montpellier, j’ai pris en charge une patiente d’origine tunisienne. Elle était accompagnée de son mari, mais ce dernier ne souhaitait pas assister à l’accouchement. D’entrée de jeu, elle m’a fait savoir que je pouvais faire les examens d’usage, mais que je ne pourrai pas faire l’accouchement. Je ne m’y suis pas opposé. Mais à ma grande surprise une fois son mari parti, la patiente m’a fait appeler et m’a demandé de la faire accoucher.
Le métier de sage-femme est ouvert aux hommes depuis l’année 2019. Comment avez-vous accueilli la nouvelle ?
J’ai salué cette excellente réforme qui va dans le sens de l’égalité. J’ai personnellement milité pour cette ouverture.
Jean Charles Wognin est également engagé en politique, à LIDER. Ce choix a-t-il un lien avec les luttes que vous menez pour le bien être des femmes et des enfants ?
Bien entendu. La lutte contre la mortalité maternelle et infantile est certes un engagement humanitaire, mais elle ne peut être efficacement menée sans faire pression sur les pouvoirs publics voire être aux affaires.
Quels retours avez-vous de toutes vos actions puisque vous êtes également influenceur dans votre domaine d’activité sur les réseaux sociaux ?
J’ai de bons retours en général sur les actions que je mène sur les volets politique, associatif et digital. Je conseille régulièrement plusieurs centaines de femmes et d’hommes originaires de nombreux pays. C’est un plaisir de le faire. La bonne information médicale est encore malheureusement rare sous nos tropiques.
Comment arriver vous à gérer votre planning entre les réseaux sociaux, l’association, la politique et votre métier ?
Le maître mot c’est l’organisation. J’ai un principe: ne rien entame de nouveau avant d’avoir fini l’activité que je mène à l’un instant T.
Quels sont vos projets futurs ?
J’ai plutôt un rêve. C’est de parcourir la Côte d’Ivoire avec un véhicule médicalisé pour faire des consultations et de la prévention.
En votre qualité de spécialiste, pouvez-vous partager avec nos lecteurs les conseils pour les femmes enceintes et celles qui allaitent?
Il y a de nombreux médicaments qui ne sont pas compatibles avec la grossesse. Je ne pourrai pas tous les énumérer ici. Ce qu’il convient de faire quand on a un projet d’enfant et quand on est enceinte, c’est d’éviter toute automédication et de se référer à son praticien de santé.
Interview réalisée par Marina Kouakou