Enseignant-chercheur à l’Institut national supérieur des arts et de l’action culturelle (INSAAC) d’Abidjan, le Dr Katiéné Kassoum Soro est un ardent défenseur du patrimoine culturel africain. Dans cette interview qu’il a accordée à VoixVoie De Femme, ce samedi 15 mai 2021, ce cadre chargé de l’Animation, de l’éducation et du tourisme à l’Office ivoirien du développement culturel s’inquiète de l’avenir du balafon communautaire, notamment chez les Senoufo. Dans cette édition, nous vous présentons la première partie de l’interview.
Votre thèse a porté sur le balafon, plus précisément sur le Djéguélé avec pour thème : « Sauvegarde du djéguélé des communautés sénoufos de Côte d’Ivoire ». Pourquoi avez-vous choisi ce thème ?
Il y a des menaces qui existent contre le balafon communautaire. Dans le langage technique, on parle de menace sur la viabilité du balafon communautaire. C’est ce qui nous a conduit à mener la réflexion.
Vous parlez tantôt de balafon et tantôt de djéguélé, pour désigner le même instrument de musique. Y a-t-il une nuance entre les deux termes ?
Commençons par le mot balafon. C’est un terme malinké. Le mot est composé de bala, qui fait allusion aux instruments et fôh qui veut dire de façon littérale parler. Ici, ça veut dire jouer. Balafon, renvoie à l’expression malinké bala fôh, pour dire jouer aux instruments qui donnent le son. Cependant le mot Balafon est le terme générique pour désigner cet instrument de musique. Mais cette appellation diffère selon les communautés. Chez les Lobi, on l’appelle Yolon. Les Senoufo de Côte d’Ivoire l’appellent Djéguélé. Les Senoufo du Mali l’appelle N’Tchéguélé. Chaque communauté utilisatrice de cet instrument à sa propre appellation.
PAS DE FUNÉRAILLES ENVISAGEABLES EN PAYS SENOUFO SANS BALAFON
En Côte d’Ivoire, cet instrument de musique est regardé comme un patrimoine des peuples senoufos. Pourquoi ces communautés sont aussi identifiées à ces instruments de musique ?
En pays senoufo, il y a beaucoup de pratiques culturelles. Mais de toutes ces pratiques, le djéguélé ou le balafon est la pratique majeure. Il est au-dessus des autres pratiques. Par exemple, il n’y a pas de funérailles envisageables en pays senoufo sans balafon. Ce n’est pas possible. Donc c’est une pratique majeure qui revêt une importance capitale.
Y a-t-il d’autres circonstances, en dehors des funérailles où le balafon est pratiqué ?
Les légendes qui portent sur les origines du djéguélé disent que la première utilisation du balafon a été faite durant le labour. Vous savez que les Senoufo en général et ceux de Côte d’Ivoire sont essentiellement agriculteurs. L’utilisation de cet instrument de musique a pour objectif de galvaniser les laboureurs à aller au-delà de leur force de travail. Le travail d’agriculteur est pénible. Ainsi à travers le balafon qui est utilisé durant les labours, c’est comme si l’on recherchait une force, une motivation supplémentaires à travers le son du balafon. Cela pour faire face à la rudesse de la tâche et à l’aridité du sol. Les légendes racontent que c’est durant le labour que le balafon a été révélé au peuple sénoufo par le génie.
La deuxième utilisation du balafon a été lors des funérailles. Selon les récits, dans un village un homme était décédé et une vive douleur étreignit ses proches. Malgré les consolations des voisins et des villages voisins, on n’arrivait pas à apaiser la situation et à faire cesser les pleurs. Quelqu’un a eu l’ingénieuse idée de proposer qu’on joue du balafon. Ce dernier avait fait remarquer que le balafon joué pendant les labours procurait de la joie et de la vigueur et que cela pouvait consoler. C’est ainsi que les notables du village firent sortir les balafons. Ils se rendirent compte que les clameurs qui venaient du domicile du défunt avaient commencé à s’estomper. Et grâce aux mélodies du balafon, certains membres de la famille éplorée, s’était surpris en train d’esquisser des pas de danse ! C’est ainsi que le balafon a été introduit dans les funérailles en pays senoufo. Mais c’est dans l’optique d’apaiser les cœurs, de faire passer la douleur du deuil.
En plus de ces deux circonstances, on trouve le balafon également durant les cérémonies de réjouissances. Mais cette dernière circonstance est plutôt récente. Les deux premières sont les plus anciennes.
La première circonstance où le balafon est joué chez les Senoufo est pendant les labours. Cette pratique est-elle encore d’actualité ?
La pratique du balafon pendant les labours connait des difficultés. Le monde est dynamique. Par le passé tout le labour se faisait à la main. L’évolution, le développement scientifique et technologique aidant, les communautés ont des tracteurs. Il y a aussi la culture attelée. Cela a réduit considérablement l’usage de la houe. Or le balafon se jouait avec l’usage de la houe. C’est donc une pratique qui se fait de moins en moins. Une autre explication, c’est que le labour se faisait à l’occasion du buttage pour la culture de l’igname. L’expansion de l’élevage fait que les terres ne se prêtent plus à la culture de l’igname.
Quelles sont les menaces sur le balafon communautaire ?
Il y a d’abord l’essence végétale qui sert à fabriquer le balafon. C’est le bois de vène ou le Pterocarpus qu’on utilise pour fabriquer les lames. C’est une essence beaucoup prisée pour sa grande résistance, sa solidité. Aujourd’hui il est utilisé dans les ébénisteries pour confectionner les mobiliers. Aujourd’hui, en Côte d’Ivoire, ce bois fait l’objet d’exploitation irrégulière. Mais avec le balafon, c’est encore plus compliqué. Parce qu’il ne s’agit pas simplement d’avoir l’essence pour s’assurer d’y sortir un balafon. Il ne s’agit pas d’avoir l’essence pour dire qu’on a eu le bois pour fabriquer le balafon. Cela dépend du type de Pterocarpus. Il y en a dont le bois est blanc, rouge ou mixte.
Quelles sont ces facteurs qui rentrent en ligne de compte dans le choix de fabrication du balafon ?
Chacun des types de bois à un usage spécifique. Les grosses lames sont faites avec du bois blanc. Le bois rouge donne les note aiguës. Et les couleurs mixtes donnent des notes intermédiaires. Vous pouvez trouver des essences, mais qui ne répondent pas aux critères de sonorité.
Il existe plusieurs autres menaces sur le balafon communautaire, notamment l’école moderne. L’âge d’apprentissage du balafon est à partir de 6 ou 7 ans. Du coup cela pose un problème de disponibilité. Ceci dit, on ne va pas empêcher les enfants d’aller à l’école sous prétexte qu’ils doivent jouer du balafon.
Voulez-vous dire que le balafon est condamné à mourir ?
Il y a donc des facteurs qui existent qu’on ne peut pas annihiler ou maitriser. Mais il faut s’y adapter. Par exemple si à l’école on peut enseigner le balafon et au-delà nos culture et expression culturales en général. L’école devrait être une opportunité à travers laquelle l’on peut valoriser nos cultures et susciter des vocations. Si le message de l’importance de nos cultures est véhiculé à l’école, si la nécessité de la protéger, de les sauvegarder et de les valoriser, est véhiculé à travers les programmes scolaires, on suscitera des vocations. Ainsi, autant des élèves choisissent de devenir professeur d’histoire, de Mathématique ou de philosophie, on peut aussi avoir des professeurs spécialistes en balafon ou en djéguélé, en cora et autres.
Il s’agit d’enseigner le patrimoine africain, le patrimoine culturel ivoirien dans les écoles. C’est juste une question de volonté politique. Si les pouvoirs publics décident que le patrimoine culturel africain et ivoirien soit porté dans les salles de classe, les outils sont là et les ressources humaines ne manqueront pas. A l’INSAAC, il y a beaucoup de docteurs dont les thèses portent sur le patrimoine culturel ivoirien. Les ressources humaines existent, les supports mêmes existent. Il suffit que les décideurs y accordent de l’importance et qu‘on décide que les choses soient ainsi.
TBO
La deuxième partie vous sera proposée dans la prochaine édition de VoixVoie De Femme.