Publié le 19 janvier, 2021

Le matin du 17 août 2020, une horde de jeunes protestataires font irruption dans les Tours administratives d’Abidjan-Plateau. Ils scandaient : « on veut notre BAC ». Il s’agissait d’un groupe de candidats au baccalauréat session 2020, déclarés fraudeurs !

Ils revendiquaient, bruyamment, sur l’esplanade de la Tour D, leur ministère de tutelle, d’être rétablis dans leur droit !

Début janvier, lors d’une rencontre avec ses pairs, le président de l’Organisation des Parents d’élèves et étudiants de Côte d’Ivoire (OPEECI) affichait sa vive inquiétude face à la progression de la fraude en Côte d’Ivoire. « La fraude est devenue un phénomène normal pour beaucoup de nos jeunes », s’est montré inquiet Claude Kadjo Aka. Selon lui durant les derniers examens de grand tirage, il y a eu au total 16.102 cas de fraude durant les examens du BAC et du BEPC. L’année dernière, les cas de fraudes étaient de 8 630. « C’est devenu très grave. C’est un problème à prendre très au sérieux ».

Mais les présumées fraudeurs, eux, ne manquent pas d’arguments pour se défendre.  L’un d’eux, Koffi Charles Emmanuel a passé le Bac en candidat libre, alors qu’il était en classe de première.

« Je continue de me poser des questions. Je ne me souviens pas avoir triché », jure le jeune homme de 20 ans. « Il y avait déjà eu des cas de fraudes dans notre centre de composition. Cette école avait été ciblée et la surveillance était sévère. Je me suis battu comme je pouvais pour traiter les sujets. Mais à ma grande surprise, le jour des résultats on me donne une collante sur laquelle il est inscrit « FRAUDE ».

Le jeune Emmanuel, tout comme les 16 000 élèves tombent sous la sanction. Ils sont exclus. Ils ne pourront plus s’inscrire pour un examen en Côte d’Ivoire.   

Alexandre K., professeur d’Anglais dans un lycée dans la commune de Yopougon, par ailleurs surveillant et correcteur aux examens scolaires, accorde peu de crédit à ces élèves qui nie tout. « Il faut que les élèves prennent aux sérieux leurs études au lieu d’espérer réussir par la tricherie ». Selon lui, il ne fait pas de doute que le phénomène de la fraude a pris de l’ampleur chez les apprenants.

Mode opératoire

« Malgré les dispositions prises dans les centres de composition, à savoir l’interdiction des téléphones portables et autres outils digitaux, certains trouvent toujours des moyens pour tricher », regrette M. Alexandre.

Il dénonce surtout les cas de ‘‘copie conforme’’ durant les corrections. « Ces mis en cause recopient sans se soucier. Alors que les copies conformes sont très facilement détectables ». A en croire cet enseignant, les élèves usent également de SMS par téléphone quand ils arrivent à tromper la vigilance des surveillants.

« Ils reçoivent par SMS, les sujets corrigés, ou des réponses des épreuves qui sont souvent envoyés par des particuliers ou même des enseignants des différentes matières », révèle-t-il, précisant qu’il y a malheureusement tout un réseau comprenant des enseignants. « C’est tout un réseau qui se développe dans cette affaire », s’inquiète ce professeur de Mathématique. tous ceux qui ont été identifiés comme fraudeurs l’ont été vraiment. « S’il y a des erreurs, ce serait une marge très minime », se dit convaincu le professeur de lycée. « Les élèves qui se plaignent, de bonne foi, ont été sûrement victimes d’un voisin, qu’ils ont laissé regarder sur eux. A la correction, on ne tient pas compte de tous ces détails. Quand nous retrouvons avec deux ou trois copies identiques, surtout pour les matières littéraires, nous pénalisons les auteurs ».

Correcteurs non qualifiés ?

Pour le secrétaire général de la Fédération Estudiantine de Côte d’Ivoire (FESCI), il faut plutôt dénoncer la mauvaise organisation des examens à grand tirage. « Pour ne pas avoir à payer des enseignants pour la correction de ces examens, le ministère n’implique pas ces enseignants.  On préfère prendre des étudiants ou d’autres personnes qui ne sont pas habilitées pour faire les corrections.

Souvent, selon nos informations, ces correcteurs occasionnels, pour gagner du temps et de l’argent, se débarrassent des copies, sans prendre l’élèves en flagrant délit de fraude », dénonce Allah Saint-Clair. « Il faut confier les corrections aux professionnels, aux enseignants. Ce sont eux, les vrais techniciens du milieu », propose le syndicaliste.

A l’en croire, le phénomène s’est déporté à l’Université. « Nous avons mené nos petites enquêtes l’année L1 ou il y a eu 10.259 cas de fraudes. Suite à cela nous sommes allées voir des enseignants. Ils nous ont dit que le gouvernement leur a donné des instructions claires. A savoir qu’on ne doit pas donner 9/10 à un élève à la correction…  Eux, se sont des professionnels ils savent comment utiliser le barème de notation établi », insiste le secrétaire général de la FESCI.

Allah Saint-Clair ne veut pas s’ériger en défenseur des fraudeurs, selon lui. « Mais, souligne-t-il, il ne faudrait pas que pour la mauvaise organisation des examens, on fasse porter le chapeau aux innocents ». D’ailleurs il rassure ses camarades « présumés fraudeurs » que son syndicat mènera le combat à leur côté. « Aujourd’hui donner trois ans à des élèves de terminale pour ne pas passer le BAC sur le territoire national, est une sanction trop grave. Certains ont fait les cours l’année dernière et en fin d’année, au moment de passer l’examen, on ne donne aucune convocation », fait remarquer Allah Saint-Clair qui annonce la rédaction d’un document qu’il adressera exclusivement au président de la République. « La FESCI ne laisse pas tomber ces élèves. Nous nous battrons pour eux et pour leur cause » 

Pour Kouamé Bertoni, secrétaire général national du Réseau des instituteurs de Côte d’Ivoire (RICI) et porte-parole de la Coalition secteur Éducation/ Formation, le débat sur la fraude en Côte d’Ivoire n’honore pas la communauté éducative. Il comprend que la tricherie à l’école s’est aggravée avec la vulgarisation des nouvelles technologies de communication qui, aujourd’hui, captivent plus l’attention de nos élèves. Mais M. Kouamé pointe du doigt « la paresse grandissante » chez élèves. Le secrétaire général du RICI reconnait aussi la démission des parents qui se préoccupent de moins en moins de l’éducation de leurs enfants. Sans oublier les enseignants qui ne donnent plus l’exemple.

Comme solution, cet enseignant du primaire insiste sur la promotion de l’excellence. « Il faut également l’implication des parents d’élèves dans l’éducation de leurs enfants ». Une proposition partagée par le président de l’OPEECI. Claude Kadjo  Aka espère leur implication plus active dans les décisions de l’école.  

Ténin Bè Ousmane Col Bekanty N’KO ( stagiaire)

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