Le mariage coutumier est toujours prisé, malgré sa non reconnaissance légale.

Publié le 30 juin, 2020

Malgré sa non-reconnaissance par la loi, le mariage coutumier reste encré dans la société ivoirienne. Mieux, les autorités coutumières et religieuses s’attellent à lui donner un sceau de légalité.  

Combien sont-elles, ces veuves qui, après de longues années de vie conjugale, se retrouvent sans un copek, après le décès de leurs conjoints ? Malgré le mariage coutumier, puis religieux qu’elle a contracté avec feu D.M, dame S.T n’a eu droit à aucune prise en charge après le décès son ‘’mari’’. Son défunt mari, fonctionnaire, était en fait marié à une autre femme qu’il a finalement fait passer devant le maire. Comme la loi ivoirienne n’autorise que la monogamie, seule la dernière épousée a eu droit aux pensions prévues par la loi. S.T. n’est jamais passé devant le maire, mais son mariage avec feu D.M. avait été bien été célébré selon la coutume et la religion, il y a 15 ans…

Dame T. Y. est également restée sans soutien, quand son mari l’a définitivement quitté pour un monde meilleur. Elle avait pourtant fait le mariage civil. Mais, il était trop récent. Le mariage civil n’avait pas encore fait deux ans, alors qu’ils s’étaient mariés, selon la coutume et Dieu, il y a plus de 20 ans ! Ces cas de femmes délaissées après le décès de leur mari foisonnent.

Le mariage traditionnel résiste malgré tout.

Depuis 1964, la Côte d’Ivoire s’est dotée de lois qui ne reconnaissent plus les mariages coutumiers. Et le Président Félix Houphouët-Boigny était le premier défenseur de cette révolution. Le législateur avait, cependant, pris le soin de protéger les mariages contractés avant la date d’entrée en vigueur de cette nouvelle loi. Aussi, toutes les femmes épousées par un homme conservaient-elles leur droit acquis de femme mariée. Mais ladite loi interdisait au mari de contracter un nouveau mariage sauf après dissolution de tous les précédents.

En dépit de cette loi, beaucoup d’hommes mariés optent pour la polygamie, à la pratique. Se contentant d »épouser légalement une seule, conformément à la loi. Les autres étant laissées pour compte.

Le sort des mères ‘‘hors mariages’’

« Nous, voulons que les mariages religieux ou coutumiers soient légalisés pour que cette injustice prenne fin un jour », coupe court El Hadj Youssouf Konaté, imam de la mosquée de la Base navale de Lokoddjo. Pour l’aumônier militaire de l’état-major auprès de la Marine nationale, il est temps que l’Etat de Côte d’Ivoire pense à corriger cette injustice contre de nombreuses femmes. « Dès qu’un époux polygame décède, la femme légalement mariée est favorisée. Les autres sont délaissées. Avant leurs enfants étaient livrés au même triste sort. Heureusement que le gouvernement a reconnu maintenant les enfants hors mariage légal. Mais les mères hors mariage ne sont pas encore reconnues et ça, c’est une injustice », dénonce le guide religieux.

Si le Pasteur Goré Bi Ya Blaise est contre la polygamie, il plaide, lui, également pour la prise en compte des mariages coutumiers et religieux. « Le mariage coutumier est reconnu dans la bible. Au niveau de l’Eglise, tant que tu n’as pas encore fait le mariage coutumier, tu ne dois pas faire le mariage dans une église. Pour nous le mariage coutumier est nécessaire et il ne doit pas être sous-estimé », défend le pasteur de l’Eglise évangélique des ouvriers du christ.

Bien que ces mariages soient moins considérés par l’Etat ivoirien, les chefs coutumiers et guides religieux restent bien attachés à la préservation de ces us et coutumes. « Dans nos villages on exige les mariages coutumiers ou religieux avant même que les couple ne se présente devant le maire. Tous les villages du district d’Abidjan sont en train de s’organiser pour s’accorder sur la célébration uniforme de ces mariages », confie Alfred Affa-kouachy, président du collectif des chefs des villages d’Anyama et Brofodoumé. Selon le patriarche, il est toujours « bienséant de voir qu’on est passé par la tradition ». « Nous nous sommes entendus avec les mosquées et les églises pour exiger le mariage coutumier. Tous les chefs ont décidé de formaliser ces mariages ». 

Les guides religieux et les chefs coutumiers travaillent à formaliser leurs noces. Depuis, ils délivrent des documents témoignant de l’accomplissement du mariage. Selon le patriarche Affa-Kouachy, également chef de village d’Ebimpé, au terme de chacune des cérémonies, une attestation de mariages et un procès verbal sont délivrés au couple et leurs noms sont consignés dans un registre. C’est également ce qui se passe dans toutes les églises. Idem pour les musulmans. « Au Conseil supérieur des imams, nous avons des registres, avec des certificats de décès, de naissance et de mariage. Quand on célèbre un mariage, on délivre un certificat de mariage », explique le guide religieux.

Début de reconnaissance

Si ces documents n’ont pas de valeur devant la loi ivoirienne, l’imam se félicite du fait que certains pays les reconnaissent. Il cite entre autres les ambassades des Etats-Unis, de la France…  « Des ambassades exigent une légalisation du ministère des Affaires étrangères. Ce qui n’est pas le cas pour certaines comme celles des Etats -Unis et de la France qui se contentent de la légalisation des documents à la mairie », révèle l’imam.

La vice-présidente du Sénat ivoirien, Sara Sako Fadika, se félicite de la valeur de ces mariages pourtant non reconnus. « Beaucoup dans nos villages se contentent de ces mariages traditionnels. Les gens se marient traditionnellement jusqu’à la mort et ça ne pose généralement pas de problèmes », reconnait-elle, tout en encourageant au mariage civil. Mais l’ancienne vice-présidente de l’Assemblée nationale estime que la reconnaissance de ces mariages par la loi doit être bien examinée. « Il faut étudier en profondeur la question… En le faisant dans la précipitation, on risque de créer d’autres problèmes », se réserve la sénatrice. Membre de la Chambre des rois et chefs traditionnels, le président du collectif des chefs de villages du district d’Abidjan pense que l’heure est maintenant venue d’officialiser ces mariages. « Je pense qu’on pourrait en faire un point dans nos prochaines délibérations », indique déjà le chef du village d’Ebimpé.

Tenin Bè Ousmane

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