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Disons-le tout net ! En Côte d’Ivoire, la violence en milieu scolaire ne date pas d’aujourd’hui. Elle a de tout temps existé dans notre système et reste un problème récurrent dans tous les systèmes scolaires. 

Déjà à l’école coloniale, il existait des violences à l’école. Il s’agissait d’une méthode pédagogique pour amener (l’écolier) à prendre conscience du travail qu’il doit accomplir, mais aussi à obéir à son maître. Cette pédagogie par la violence, loin de choquer les parents, était comprise (et admise) par eux ; ils la jugeaient nécessaire pour la réussite de leurs enfants. En effet, c’est de cette pratique que découlait l’autorité de l’enseignant, car, il tenait son pouvoir et sa légitimité de la communauté toute entière, ce qui rendait son autorité infaillible. A cette époque-là, l’enseignant inspirait crainte et respect. Ça, c’était avant !

Changement de paradigme

Aujourd’hui, l’on assiste à un nouveau paradigme sur la violence en milieu scolaire : fini celui de la « violence pédagogique légitimée et admise » des enseignants sur les élèves (même s’il y avait des excès et des dérives à dénoncer), nous sommes passés malheureusement à celui de la violence exercée par les apprenants sur leurs propres enseignants ou sur l’institution. Et les exemples sont légion.

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Le mardi 22 novembre 2022, les cours ont été suspendus au collège Moderne d’Aboisso dans la région du Sud Comoé, après qu’une élève en classe de 4ᵉ se soit bagarrée avec son professeur d’anglais. Durant cette même journée à Bouaké, dans la région du Gbèkè au centre de la Côte d’Ivoire, une bagarre rangée a opposé des élèves de deux établissements privés occasionnant la mort par arme blanche de l’élève Coulibaly Samba, en classe de 3e, âgé de 15 ans provoquant la fermeture de tous les établissements scolaires de la ville de Bouaké le mercredi 23 novembre 2022 par les Drena.

Le 25 janvier 2021, à Ouangolodougou, dans la région du Tchologo, au nord de la Côte d’Ivoire, un élève en classe de 5ᵉ, armé de fusil de chasse, a menacé de mort un éducateur du lycée moderne de la ville sous prétexte que ce dernier aurait confisqué le téléphone de sa copine (pourtant interdit dans l’enceinte de l’école par le règlement intérieur). Dans la même semaine, c’est un enseignant du lycée moderne de Songon, dans le District Autonome d’Abidjan, qui a été interné dans une clinique de la place pour des soins appropriés après avoir reçu un coup violent au visage, asséné par un élève. Au lycée moderne de Bocanda, dans la région du N’zi au centre de la Côte d’Ivoire, c’est un élève de 4ᵉ qui a eu l’outrecuidance d’arracher les téléphones portables de son professeur en plein cours et les confisquer, estimant que le règlement intérieur interdit les téléphones, aussi bien pour les élèves que les enseignants, etc. autant d’exemples qui montrent que la tendance s’est inversée. Et, chaque année, en décembre, à l’approche des congés de Noël, comme un rituel, les établissements scolaires sont la cible d’assauts répétés de la part des élèves réclamant des congés de noël anticipés. Les facteurs explicatifs de cette nouvelle forme de violence en milieu scolaire sont divers et multiples. Les causes externes à l’école ; les facteurs exogènes et celles qui sont inhérentes au système éducatif ; les facteurs endogènes.

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Plusieurs causes 

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L’école est le miroir de la société, dit-on. Elle n’est pas détachée des réalités et des mutations souvent violentes qui traversent notre société. Les systèmes de valeurs sociales que nous construisons au quotidien impactent l’école négativement ou positivement, c’est selon une société où l’impunité et la corruption règnent en maîtres absolus ; où le manque de respect des aînés, la défiance de l’autorité sont monnaies courantes, où l’indiscipline et l’individualisme sont la religion de certaines personnes (y compris des dirigeants), où l’appât du gain facile à tous les niveaux, les raccourcis, la fainéantise et le moindre effort se sont érigés en moyens « légalisés » de réussite, où la violence politique (verbale comme physique) gratuite et inutile n’émeut personne (à la limite est soutenue et justifiée par certains), ne soyons pas étonnés que l’école qui est « une microsociété » soit frappée de plein fouet par ces tares sociales qui disposent les apprenants à être de plus en plus violents. Le mal est profond.

L’école : lieu de diffusion de la pensée politique…

Une étude menée dans des écoles des communes d’Abobo, Yopougon et Treichville sur la question a montré que « les mêmes fractures qui balafrent ces communes sont visibles au sein de l’école. Les luttes de pouvoir, les discours politisés, les abus et agressions physiques, etc. minent les établissements de ces communes. » L’école est malheureusement impactée par la violence politique et est devenue un lieu de diffusion de la pensée politique. L’action des syndicats tant d’enseignants que d’élèves tendent souvent à installer et encourager ce climat de violence et de terreur en milieu scolaire à travers l’instrumentalisation par les politiques des dirigeants de ces mouvements syndicaux. C’est ce qui se traduit dans l’attitude des élèves. 

…Et du reflet du cadre familial

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Le niveau socio-économique des ménages et l’influence du cadre familial sont d’autres facteurs exogènes qu’il convient de convoquer pour expliquer la violence à l’école. En effet, le niveau de vie du ménage et le cadre familial sont importants dans le développement psychologique et moteur de l’adolescent. L’enfant peut aussi adopter des comportements violents s’il fait face au quotidien et de façon répétitive à des actes de violence dans son premier cercle de socialisation qu’est la famille. Un enfant qui est accoutumé à assister chaque jour à des pugilats entre ses ainés et/ou entre ses parents, ou qui est lui-même le souffre-douleur de ses parents ou tuteurs en subissant au quotidien des châtiments corporels et des maltraitances, ne fera que reproduire autour de lui ces actes et les comportements observés. 

L’adage dit « on ne peut donner que ce qu’on a ». Si c’est la violence qu’il reçoit tous les jours, c’est cette violence qui répandra dans son environnement. 

Dans un lycée de Port-Bouet, la plupart, élèves comme enseignants, s’accordent pour dire ce sont les élèves issus du quartier Abattoir, un quartier précaire et défavorisé de la commune, qui sont souvent à l’origine des troubles et des violences au sein de l’école. 

Enfin, il faut relever comme autre cause externe, l’impact négatif de l’environnement immédiat des établissements scolaires. Aujourd’hui encore, certaines écoles continuent de partager leur clôture avec des maquis, des bars ou même sont entourées de fumoirs, où l’alcool, le tabac, la drogue se vendent au vu et au su de tous sans que les tenanciers de ces lieux ne soient inquiétés. Pire, de plus en plus, les élèves sont devenus les clients favoris des dealers ou même des revendeurs de drogue au sein de l’école. 

Une étude menée en 2012, par le Programme des Nations Unies pour le contrôle des drogues révèle que 14,8% d’élèves et étudiants ivoiriens ont été en contact avec la drogue. Il va de soi que sous l’effet de ces substances psychotropes et addictives, l’élève pourrait commettre l’irréparable… 

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Suite la Semaine prochaine…

Djolou Chloé

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