DEUG 2 en allemand, la barbière Assandé Ama Elodie emploie cinq personnes.

Coiffeuse depuis 10 années et fondatrice de El Tipheret Complexe Coiffure, la déesse de la beauté en hébreux, Assandé Ama Elodie a aujourd’hui trois salons de beauté spécialisés pour homme. Elle raconte son parcours professionnel dans cette interview accordée à VoieVoix de femme.

Vous êtes titulaire d’un DEUG 2 en allemand, pourquoi avoir finalement opté pour la coiffure hommes ?

Le courant passe beaucoup plus avec les hommes. Quand je me suis mise dans ce métier, j’ai eu beaucoup d’opportunité à travers eux. Mes amis se sont mes clients qui sont majoritairement des hommes.

Je m’amusais déjà à coiffer mes petites sœurs et frères… avec la lame et le peigne au village depuis le cycle secondaire. Après le Bac je suis venue à Abidjan pour poursuivre mes études à l’université. J’avais même oublié ce talent. Ce n’est qu’en 2011, après la fermeture de l’université due à la crise post électorale que tout est revenu. Mon père avait demandé à tous ses enfants de revenir au village. Ce que j’ai refusé.

J’ai décidé de m’essayer à ce que je savais le mieux faire en ce moment. La coiffure masculine. J’ai commencé à m’installer d’abord sous un apatam à Abobo vers les rails.

Il ne me fallait pas grand-chose pour commencer. Juste un apatam, une tondeuse… les accessoires des soins. Les dépenses effectuées revenaient à 50 000FCFA au plus.

 Les hommes venaient d’abord avec leurs enfants pour tester mes compétences, avant de s’aventurer à leur tour. A mesure qu’ils venaient, ils étaient convaincus. C’est ainsi qu’ils ont commencé à me faire confiance.

Que s’est-il passé après la réouverture de l’université en 2012 ?

J’avais l’embarra du choix entre reprendre les cours dans des conditions difficiles, puisque les parents n’ont pas assez de moyens, ou continuer ce que j’avais commencé. J’ai décidé de choisir la coiffure. Je me suis mise à fond. Dieu merci aujourd’hui ça se passe très bien. J’ai trois salons de coiffure. Ici, il y a une fille et deux garçons. L’autre côté, il y a deux garçons.  J’avais jusqu’à 8 collaborateurs, mais avec la covid-19, j’ai dû libérer 3.  Le troisième salon est pour l’instant fermer.  Puisque c’est là-bas que j’ai débuté, à chaque fois que je mets quelqu’un l’engouement n’est pas le même qu’en ma présence. Je pense le mettre en location.

 Avez-vous une anecdote à nous partager quant à vos débuts ?

Oui, bien sûr. Je tiens à préciser que je n’ai rien contre les musulmans, et que je raconte juste la scène marquante que j’ai pu vivre. Un jour, un papa est entré dans mon salon. J’étais toute seule. C’est visiblement un musulman. Il a demandé à se faire coiffer en dioula (langue mandingue, NDLR).

Etant né dans le nord de la Côte d’Ivoire, je comprends un peu cette langue. J’ai alors commencé à mettre mon cape sur lui. J’ai pris la tondeuse, j’étais en train de l’essuyer pour me mettre au travail, lorsqu’il m’a demandé dans la même langue « où est le coiffeur ? ».

Quand j’ai répondu que c’était moi, il a crié « ASTAGFIRULLAH » qui signifie « je demande pardon à Allah », avant de quitter immédiatement le salon. Je me souviens encore qu’il avait son écharpe et un chapeau blanc.

Je suis restée un peu triste j’ai prié un instant. Je me suis demandé pourquoi certaines religions mettaient les femmes en arrière. C’est l’histoire qui m’a vraiment marquée.

Avez-vous tenté un programme formation en faveur des jeunes filles ?

Quand j’ai agrandi le salon, j’avais tellement de la clientèle que seule, je ne pouvais plus m’occuper des clients. J’ai commencé à embaucher des personnes qui s’y connaissaient en leur montrant comment je travaille. La particularité que j’ai et qui maintient les clients. C’est comme ça qu’on a fonctionné jusqu’à ce que certaines d’entre ces personnes me quittent pour d’autres challenges. J’ai pris sous mon aile 4 jeunes filles, car je voulais tellement qu’elles s’intéressent au métier, je leur faisais la formation gratuitement, mais ça n’a pas aboutir. Je me suis rendue compte que quand quelque chose est gratuit, les gens ne prennent pas cela au sérieux à un moment donné, elles se sont retirées et actuellement je n’ai plus d’apprenti en tant que tel.

Quel est le plus qu’on retrouve dans vos salons qu’on ne peut retrouver ailleurs ?

En fait, je ne coiffe pas avec force. Je coiffe avec beaucoup de douceur, je mets un peu mon côté féminin là-dedans.  Je prends soin de mes clients. Quand un client vient, pendant la prestation qu’il souhaite, je peux remarquer qu’il a par exemple des boutons sur le visage et je lui propose des solutions pour les faire disparaitre. Quand les enfants viennent et qu’ils ont les teignes, mon souci est aussi de les faire disparaitre et cela a vraiment été à mon avantage. J’y met du cœur. Je fais mon possible pour satisfaire au-delà des attentes.

Ce métier nourrit-il son homme ?

Évidemment. Les recettes varient entre 400 000 FCFA et 500 000 FCFA. Surtout pendant les fêtes cela peut augmenter. Mais avec cette somme il va falloir payer les factures, le local… on peut se retrouver avec 100 000FCFA par là.

Quels sont les difficultés que vous rencontrez ?

Les difficultés sont d’ordre mystique. Depuis l’ouverture du premier salon j’en suis victime. Ma chance, c’est que je suis croyante et que je ne fais aucun mal à mes clients.

Il y a la concurrence déloyale. Un moment donné on a dû mettre en place notre association dont je suis la secrétaire générale. L’Association des jeunes coiffeurs, esthéticiens de Côte d’Ivoire.

En 2014, lorsque j’ai construit mon salon en dur, j’avais décidé de changer les prix. A l’époque on coiffait les enfants de 100 FCFA à 150 FCFA, et les grandes personnes à 300 FCFA. C’était vraiment un problème pour que les gens adhèrent quand on a commencé la sensibilisation dans les salons de nos collègues. On a remarqué que dans la coiffure, il y a vraiment des personnes talentueuses et désireuses de le démontrer. Mais comme, les choses n’ont pas été structurées dès la base, dans l’encadrement, dans le fonctionnement du gouvernement ivoirien, rien a été prévu pour caser, former et valoriser les artisans. On a décidé de mener la lutte.

Ce qui m’a marqué est qu’on a perdu un confrère comme ça dans son salon, il n’avait même pas de sous pour payer ses ordonnances.

Un moment donné, la coiffure en Côte d’Ivoire était tellement désordonnée qu’il fallait qu’on se lève. Aujourd’hui, beaucoup de personnes commencent à comprendre. On espère que l’état va prendre des dispositions à ce niveau pour des cadres juridiques.

Nous avons aussi des difficultés avec la mairie qui veut qu’on paie la patente. Elle n’assure pas des cadres qu’il faut pour les coiffures. Un confrère qui occupe le domaine public par exemple, à chaque fois qu’il y a des travaux, on peut enlever sa baraque. Mais, la mairie insiste pour qu’il paie une patente. Vu qu’il n’est pas légalement installé s’il doit payer la taxe forfaitaire, il faudrait déjà qu’il soit emmené à prendre un magasin, à se responsabiliser davantage pour avoir beaucoup plus. Ce n’est pas normal.

Qu’es ce que vous souhaitez pour une amélioration des choses ?

Que l’État se souviennent des artisans. Cela fait 9 ans que je fonctionne sur fond propre. Quand on fait une demande de prêt, ce n’est pas évident parce qu’on n’a pas de numéro matricule. Du coup tu n’es pas assez crédible. Ils préfèrent soutenir les plus riches.

Avez-vous quelque chose à ajouter ?

Je veux simplement demander à mes sœurs sans emploi d’apprendre un petit métier. La reconversion dans les petits corps de métiers ce n’est pas compliqué. Tout le monde est vendeur à la base. Avoir un métier rassure, c’est un avantage. Que nos sœurs entrent en elles-mêmes pour puiser l’énergie, il y a certainement de quoi à exploiter. Ne surtout pas se comparer à quelqu’un. Chacun à sa particularité.

Interview réalisée par Marina Kouakou

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