Éco activiste, défenseur de l’environnement, Djo Drigbe est orphelin de mère depuis sa naissance. Elève, il a toujours voulu rendre hommage à sa défunte mère en réussissant dans les études. Mais par la force des choses il a été contraint de sortir assez tôt du circuit scolaire. Aujourd’hui âgé de 39 ans et père de deux enfants il est désormais aux commandes d’une organisation des jeunes qui lutte contre les saletés publiques. Djo Drigbe s’ouvre à nos lecteurs.
Parlez-nous de vos études
Après l’obtention du Bepc j’ai été orienté dans une école professionnelle automobile. Là-bas j’apprenais la mécanique. Tout allait bien jusqu’à ce que la situation financière de mes parents ne se dégrade. En deuxième année de mécanique j’ai été contraint de mettre fin à mes études. J’ai donc le niveau troisième.
Quand vous avez arrêtez les études qu’est-ce qui s’est passé par la suite ?
Il faut dire que lorsque j’ai quitté l’école à cause de sa situation financière de mes parents j’ai perdu le sens de la vie. Je me suis retrouvé dans une dépression sévère. Dans mon quartier certains me traitaient de fou. Ça a été un coup dur parce que l’école représentait tout pour moi. Orphelin de mère, mère que je n’ai pas connue d’ailleurs, je m’étais fait la promesse de réussir à l’école afin d’honorer sa mémoire.
Auparavant quel était votre métier de rêve
D’abord j’étais passionné par la médecine donc je voulais être médecin. J’aimais aussi l’armée dans le sens que c’est un métier qui me permet de protéger et sauver des vies.
Comment est née en vous la passion pour l’assainissement du cadre de vie
Je faisais des activités en rapport avec la salubrité déjà au lycée. Seulement je ne savais pas que j’en ferais mon activité principale. Étant élève, je sensibilisais les amis à ne pas salir la classe. En septembre 2006 je ne manquais pas de dire à mon cousin que je voulais me lancer dans la lutte contre les saletés publiques. À son tour, il me demandait comment je comptais m’y prendre.
Comment cela est-il arrivé ?
En décembre 2006 alors que j’étais à Adjamé chez mon oncle, j’ai fait un songe dans lequel je me voyais sensibiliser les gens sur les bienfaits de la propreté. À mon réveil j’ai entendu une voix me dire « va sensibiliser ». Ce jour-là j’ai dû balayer la cour espérant que cette voix s’arrêterait. Mais elle était encore plus forte. Je me suis retrouvé à la gare nord pour la sensibilisation mais pris de honte j’ai dû renoncer à le faire. Mais pas totalement puisque je me suis ressaisi et suis revenu sur mes pas. J’ai vaincu ma peur et c’est comme ça que tout a commencé.
Que représente cette activité de nettoyage pour vous ?
C’est quelque chose de très important pour moi parce qu’à travers ça je sauve des vies. J’aide des personnes à maintenir leur cadre de vie propre. Sauver des vies représente beaucoup pour moi. Ça aide non seulement à rendre le pays propre, mais aussi à vivre en évitant les inondations. Ça évite aussi les pertes en vies humaines en prévenant des maladies. C’est un plaisir de savoir qu’à travers le ramassage des ordures je sauve des vies.
Votre santé n’est-elle pas menacée par ces odeurs nauséabondes ?
Depuis que j’ai commencé ce métier je ne suis jamais tombé malade. Il y a certes, quelques risques liés à cette activité mais, je peux dire que ma santé n’est pas menacée parce que non seulement je me protège mais aussi je suis arrivé à ce métier par révélation divine. Donc Dieu me protège de tout ce qui est maladie.
Utilisez-vous du matériel adapté pour votre protection ?
Dans mes débuts je me protégeais le nez avec un cache-nez. Mais, chaque soir j’avais la toux et des douleurs à la tête. Je sentais des brûlures au niveau de mes poumons. Grâce à la médecine j’ai su que le cache-nez retenait l’odeur lorsque je transpirais. Depuis lors je peux me protéger contre la poussière mais pas contre les odeurs. J’ai des gants, des cache-nez et des bottes.
Quelles sont les difficultés liées à cette activité ?
Les difficultés sont énormes. J’ai été blessé à l’œil par un individu parce que j’essayais de le rappeler à l’ordre. Une autre fois, un autre m’a saisi au doigt parce que je lui défendais d’uriner sur un mur. Je traîne toujours les séquelles de cette attaque. A un moment donné j’ai voulu tout arrêter. J’ai pleuré toute une nuit. Mais je me suis ressaisi. A présent, ma difficulté réside au niveau des matériels de travail. Je ne dispose que de 10 râteaux. Donc, quand je me retrouve à travailler avec 50 ou 100 bénévoles le travail qui pouvait être exécuté en 30 min nous prend toute une journée.
Quelles sont les causes de votre crise de dépression ?
Ma vie n’est pas stable. Je n’ai pas de travail parce que l’activité que je fais n’est pas rémunérée. Ça me cause beaucoup de problèmes. J’ai plus d’une fois cherché du boulot en vain. Dans cette quête de boulot j’ai marché d’Abobo jusqu’à Attécoubé sans suite favorable. J’ai une famille à nourrir. Sans revenu c’est vraiment difficile. C’est ce qui me plonge dans la dépression.
Malgré toutes les difficultés qu’est-ce qui vous motive à continuer ?
Je ne sais même pas. Je me pose toujours la même question « qu’est-ce qui me motive vraiment à continuer ? » C’est après avoir fait un songe que j’ai commencé l’activité. Donc, je pense que c’est ce qui me pousse à continuer malgré tout. De plus le fait de savoir que je sauve des vies à travers cet acte me rends plus que satisfait. Ajouté à cela la remarque que quelqu’un m’a faite un jour. Il m’a dit : « Si tu abandonnes, des gens vont mourir ». Donc, le fait de savoir que mon action permet de maintenir en vie des populations et en bonne santé me motive encore plus. Pour dire qu’à travers le nettoyage des déchets je sauve des vies.
Bénéficiez-vous d’aides extérieures ?
À cette question je peux dire oui et non. Oui parce que par moment des personnes de bonne volonté volent à mon secours en me donnant quelque chose. Grâce à eux je suis parvenu à monter la Société de propreté et d’assainissement (Sopa). Sinon je roule sur fonds propre. Je ne bénéficie d’aucune aide extérieure.
Grace Djazé