A la tête du Centre ivoirien antipollution (CIAPOL), Dr Martin Dibi Niagne a plusieurs fois été distingué pour son action en faveur de la protection de l’environnement. Dans cette grande interview accordée à Voix Voie De Femme, le patron de cette institution explique ses missions, ses rapports avec les pollueurs et les perspectives du CIAPOL. Nous vous proposons la première partie de cette interview exclusive.
Pouvez-vous nous dire les missions du CIAPOL ?
Le CIAPOL a trois missions : l’évaluation, le contrôle et l’intervention. La première mission du CIAPOL, c’est d’évaluer la qualité des milieux récepteurs. Il faut entendre par milieux récepteur, l’eau, le sol et l’air. Le CIAPOL est en fait amené à constituer, à travers ce programme, une base de données scientifique sur une longue période pour permettre à l’Etat de mettre en place une bonne politique de gestion de l’environnement.
Notre deuxième mission, c’est le contrôle. Etant donné qu’on est dans le milieu récepteur, on y collecte des données qui nous permettent de savoir l’origines de la pollution. Et une fois qu’on connait la source de la pollution, on va au contrôle des établissements industriels qui polluent le milieu.
Comment cela se passe concrètement ?
Lorsqu’un opérateur veut créer une entreprise, il va d’abord au CEPICI ( Centre de promotion des investissements en Côte d’Ivoire), puis à l’ANDE ( Agence nationale de l’environnement). C’est cette dernière qui fait une Etude d’impact environnemental et social. Cette étude va montrer les impacts potentiels de l’activité sur l’environnement. En même temps, l’étude indique des plans de gestions environnementales. Un exemple. Quand une usine déclare qu’elle va utiliser de l’eau potable et qu’elle va rejeter de l’eau usée, l’étude lui recommandera de construire une station d’épuration ; quand elle indique qu’elle va utiliser du combustible et qu’elle va rejeter tel ou tel polluant dans la nature, on lui recommande d’utiliser des filtres… C’est cela l’étude environnementale.
Pendant la construction de l’usine, l’ANDE va donc s’assurer que tout ce que l’étude a demandé comme plan de gestion est réalisé. A savoir la mise en place de la station d’épuration, ou l’utilisation de filtres….
Et quand l’usine rentre en exploitation, l’opérateur vient maintenant nous voir au CIAPOL. Et nous lui établissons un Arrêté d’autorisation d’exploiter. Dans cet arrêté, il y a la prescription technique bien définie. A savoir que la station construite va fonctionner normalement.
Chaque année les agents du CIAPOL vont en inspection, au moins deux fois par an. Ils vérifient si effectivement ces prescriptions sont respectées.
Venons-en à la troisième mission ?
La troisième mission du CIAPOL, c’est l’intervention. Par exemple, si aujourd’hui, ont dit qu’il y a déversement d’hydrocarbure quelque part, c’est le CIAPOL qui doit coordonner la réaction à travers la mise en œuvre du Plan POLLUMAR, le Plan national d’intervention d’urgence contre les pollutions accidentelles. L’Etat a mis en place le CIAPOL pour coordonner l’activité de ce plan.
C’est pour cela que chaque année, on fait un exercice du plan POLLUMAR. On monte un scénario pour voir si une telle catastrophe arrivait, comment on devrait réagir.
Quels sont les critères qui vous permettre de conclure qu’une entreprise respecte le développement durable ?
Pour qu’une entreprise respecte le développement durable, cela repose sur trois piliers. L’économie, le social et l’environnement. Si l’un des trois piliers n’est pas pris en compte, le développement ne peut pas être durable. Pour cela, l’Etat a mis en place des textes que tout opérateur doit respecter. Autant l’Etat a mis en place des textes, autant il a mis en place des structures pour contrôler l’application de ces textes. C’est ce que nous faisons en partant deux fois par an, en inspection pour contrôler si les opérateurs respectent les prescriptions techniques définies dans leur Arrêté d’autorisation d’exploitation.
Vous intervenez au niveau de l’eau, l’air et le sol. Comment agissez-vous de façon spécifique dans chaque cas ?
On a le réseau national d’observation de la qualité des milieux récepteurs. Sur l’eau, nous avons des stations, on des appareils qui nous permettent de faire des prélèvements qu’on vient analyser au laboratoire. On fait le même exercice sur l’eau, dans l’air, et le sol. Nous avons un réseau de mesures pour chaque milieu (lagune, littoral, haut continental). Nous avons des points de mesures que nous passons, soit par mois, trimestre ou par semestre.
Au niveau de l’eau, il y a la question de la lagune qui jouxte le Plateau dont on se plaint du niveau de pollution. Quelle est la situation du degré de pollution en Côte d’Ivoire ?
Avant l’indépendance, la ville d’Abidjan comptait environ 500 000 habitants. Aujourd’hui, nous sommes environ 6 millions qui déversons les eaux usées dans la lagune. Et par exemple, toutes les eaux usées de Yopougon sont convoyées directement dans la lagune.
Nous avons un collecteur qui passe par Abobo en passant par Koumassi et qui va en mer. Toutes nos eaux usées, domestiques ou industrielles se déversent dans la lagune.
Pourtant nous avons le sentiment que la lagune ne dégage plus la forte odeur nauséabonde dont les Abidjanais se plaignaient il y a quelques années…
Oui. L’Etat a vu que notre lagune mourrait et qu’au niveau de l’Indenié, il y avait toujours des inondations dans les mois de juin et juillet. Il a donc décidé, depuis 2016, de restaurer le milieu. Aujourd’hui, il y a des travaux au niveau de l’Indénié, un pont en cours de construction qui va traverser la baie. Un autre pont est également en cours de construction au niveau de l’ex-Café de Rôme. Les travaux d’aménagement se poursuivent. A cela il faut ajouter l’ouverture de l’embouchure qui fait partie de ce vaste programme de restauration et de valorisation de notre lagune. L’Etat travaille et les choses s’améliore….
Ténin Bè Ousmane
La suite à lire dans notre édition de la la Semaine du 23 au 30 août 2021.