Très souvent taxées de personnes insoucieuses, les célibataires font l’objet de pas mal de préjugés. Un état d’esprit qui perdure depuis des lustres, allant parfois jusqu’à briser des liens d’amitiés et de fraternité enracinés depuis belle lurette !
C’est avec beaucoup de peine que Carole K. partage son expérience, tant elle en garde encore des stigmates. Nous sommes au deuxième trimestre de l’année 2018, quand Bénédicte M., meilleure amie à Carole, se marie. Il n’en fallait pas plus pour que nos relations prennent un coup.
« J’ai carrément été mise de côté depuis lors. Bénédicte agissait désormais comme avec une simple connaissance. Quand elle me contactait, c’était uniquement parce qu’elle avait besoin de moi. Plus de fréquentation assidue comme par le passé. Pourtant, notre amitié existait depuis plus de trois ans. Nous étions devenues des sœurs. J’avais intégré sa famille et elle aussi. Elle était pratiquement la seule amie avec qui je partageais tout. J’intervenais parfois même dans la gestion des problèmes dans sa famille. La méfiance qu’elle affichait à mon endroit m’a vraiment bouffé de l’intérieur. Plus tard, j’ai compris que son mari lui avait interdit de me fréquenter parce que je n’étais pas mariée », raconte Carole, employée dans une société de communication.
Puis elle poursuit : « Son fiancé estimait que nous étions trop complices. Pour lui, moi, célibataire, j’avais une influence négative sur la vie de mon amie parce qu’avant d’épouser Bénédicte, elle et moi, nous passions pratiquement tout le temps ensemble ».
« Les conjoint (e)s mettent la pression»
Si les femmes sont en grand nombres celles qui sont éprouvées, les hommes également vivent le même drame. Bony N. Informaticien, marié depuis bientôt deux ans, a failli rompre les liens du mariage pour cette raison. Il raconte.
« Quand je suis à la maison, dès que je sors avec mes frères ou mes amis, ma femme se fâche. Elle pense automatiquement qu’ils vont m’inciter à la tromper parce qu’ils ne sont pas mariés. Lorsque nous échangions entre mariés, je me rends compte que je ne suis pas le seul. Les conjoint(e)s mettent la pression, alors qu’avant et après le mariage nous avons une vie. C’est souvent grâce à ces personnes qu’elles refoulent que nous les avons épousées. J’ai été clair avec ma femme, j’étais même prêt à rompre le mariage et depuis lors elle est restée calme. Cette situation est aussi douloureuse pour nous. Les plus faibles d’esprits se laissent contrôler mais, nous qui connaissons la valeur de notre entourage nous ne pouvons tolérer cela », dévoile-t-il.
Et elles sont nombreuses en Côte d’Ivoire, ces personnes célibataires qui sont stigmatisées comme Carole.
Il y a deux ans, du 2 au 4 mai 2019, des experts se sont réuni à l’Institut théologique de la compagnie de Jésus (ITCJ) d’Abidjan pour réfléchir à la situation des femmes célibataires en Afrique et plus particulièrement en Côte d’Ivoire.
Les témoignages à cette table ronde ont montré comment les femmes célibataires étaient éprouvées dans une société traditionnelle. « Le plus difficile à supporter est le regard et le rejet des autres qui nous blessent. Dans les milieux religieux, beaucoup de gens pensent que, comme célibataires et sans enfant, nous ne sommes pas capables de donner un exemple de vie », avait confié Paule Djeha, responsable d’un groupe de prière.
« Quand une femme célibataire a des enfants, c’est encore plus difficile pour elle parce qu’il lui faut penser à l’avenir de ses enfants, à leur insertion dans le tissu social », a ajouté Félicité Sandé, Chef d’entreprise.
Pour cette mère de quatre enfants, le célibat ne doit pas être considéré comme une fatalité. « Je n’ai pas fait le choix d’être célibataire, cela s’est présenté à moi donc je l’assume, avec la grâce de Dieu. Le célibat n’est pas une fatalité. »
Selon Gilbert K, la soixante révolue, ces méfiances dues aux idées reçues des conjointes proviennent, certes de l’envie de maintenir la stabilité du couple, mais aussi de la perception de la société vis-à-vis des célibataires. « Dans notre société, les célibataires sont trop critiqués. Ils sont invivables, insouciants… Du coup, chacun essaie de protéger son époux ou épouse de ces personnes vues comme de mauvaises fréquentations. Et cela revient dans les conseils aux fiancés ou mariés. Aujourd’hui, on a même des groupes en ligne spécifiquement pour mariés. Une façon de discuter et de trouver des solutions aux problèmes commun », détaille-t-il.
« Il s’agit d’une stratégie de protection »
Pour le Sociologue Docteur Oulai Roger « lorsqu’on analyse cet aspect, il s’agit d’une stratégie de protection du couple ». « Intégrant un groupe de non mariés, la femme peut avoir des idées qui peuvent l’amener à tromper son époux. Pareil pour l’homme », explique le sociologue. « Nous savons qu’il y a l’impact de la société sur l’individu. Lorsque vous intégrez un groupe d’amis et que vous partagez des idées avec ce groupe, évidement à travers le leader du groupe, il y a l’impact de la société (du groupe) sur l’individu. De ce point, de vu le comportement du groupe peut déteindre sur l’individu », poursuit Oulaï Roger.
Lorsqu’il s’agit de deux amis il y a la parité, donc, aussi bien la femme non mariée peut déteindre sur la femme mariée, que la mariée peut amener l’autre à vouloir se caser. Même si c’est une amitié récente, l’une ou l’autre peut l’emporter. Le comportement de la mariée peut amener l’autre par exemple à être sage. Les femmes mariées peuvent aussi influencer ».
Malgré ce regard de la société et de l’entourage, Marguerite Yoli-Bi, experte des questions de genre conseille aux jeunes filles qui se trouveraient en situation de célibat de vivre la situation sans complexe. « Le mariage n’est pas une fin en soi. Concentrez-vous sur vos études », déclarait-elle ce vendredi 29 janvier 2021 lors d’une conférence au Centre des médias et de l’information électorale à Abidjan.
Marina Kouakou