Les conditions d’études ne sont pas au beau fixe pour les étudiants installés à la cité universitaire Félix Houphouët Boigny d’Abidjan. Ils font mains et pieds pour assimiler leurs leçons. Avec des salles d’études quasi-inexistantes, parce que transformées en lieux de commerces… Ils essaient tant bien que mal de trouver des solutions dans une atmosphère bruyante. Un périple effectué au sein dudit campus permet de l’affirmer haut et fort. Enquête.
Lorsque vous faites savoir votre désir de recherche d’une salle d’étude, c’est avec grand étonnement qu’on vous regarde, avant de répondre. « Quoi! salle d’étude ? Vous êtes nouveau sur le campus ou quoi ? Il y en a pas ici. Renseignez-vous devant».
Cité université Félix Houphouet Boigny d’Abidjan. «C’est extrêmement difficile d’étudier en toute tranquillité. Les salles d’études sont quasi-inexistantes» ,parce transformées en dortoirs ou lieux de commerces pour la plupart.
Contraints par cette situation qui perdure depuis des lustres, comme Sylvie T, bons nombres d’étudiants vivants au sein de l’université d’Abidjan choisissent de se recueillir au » palmier », (espace de restauration entouré d’espace vert), lorsque le besoin d’étudier se fait ressentir. Là encore, l’atmosphère n’est pas propice. «On ne peut pas se concentrer. Il y a trop de bruit », souligne l’étudiante en deuxième année de science politique.
Des associations religieuses sur le campus, accostent les étudiants…
Dans la matinée de ce 28 Avril 2021, journée ensoleillée, l’espace qui héberge une dizaine de restaurants appelé également « sous-bois », grouille du monde. Il n’ y a quasiment plus de places, alors des groupes restreints se créent. Certains sont débout, d’autres assis à même le sol. Cahiers ouverts et maintenus à la main , ils s’entraident mutuellement à comprendre les cours, mais impossible.
Non loin, un groupe de rencontres religieuses intercède. Il s’agit de l’association »campus pour Christ” spécialisée dans l’évangélisation.
« Comment se concentrer dans une ambiance pareille? Nous sommes tous croyants, mais c’est abuser. Ils nous accostent même parfois pendant qu’on étudie. Quand tu décides aussi de t’enfermer en chambre et que la FESCI a une information à passer, elle t’oblige à sortir. Si vous refusez de le faire, les membres sautent les compteurs d’électricité, alors que parfois nous préparons des devoirs. Les explications des travaux dirigés (TD) aussi laissent à désirer… Les salles qui devraient nous permettre de travailler sont devenues des lieux de commerces», s’en plaint Melvine K, Étudiant.
Ce dernier n’a pas du tout tord. Dans les bâtiments, G, H1, H2, H3, H4, F2… les buanderies et la majorité des salles d’études sont utilisées à des fins commerciales ou autres. On y trouve désormais des chambres, des boutiques, des salons de beauté et de coutures, des églises, des caves, des cybers, de la restauration, des mini-marchés, des maquis et stockages de boissons…
Il n’y a que le bâtiment C qui détient encore deux salles d’études, sans tables, ni chaises.
Un jour, des membres de la FESCI nous ont demandé de ne plus venir là…
« Au départ notre salle d’étude fonctionnait (bâtiment H2) et un jour, des jeunes membres de la FESCI nous ont demandé de ne plus venir là. Jusqu’à présent on ne sait pas ce qu’ils font. Mais il y a des aménagements», raconte Sylvie T, celle qui facilite l’enquête au sein de la cité.
Si plusieurs étudiants préfèrent étudier au palmier, ou en chambre, Ibrahim et Seka, deux étudiants des matières scientifiques trouvent plutôt leur concentration dans cet petit espace qu’ils ont aménagé, entre le mur et l’escalier. Cet endroit sombre (rez de chaussée du bâtiment F2), malgré la lumière du jour, leur semble parfait.
«On préfère rester ici. On ne sait pas s’il y a des salles d’études. Mais il serait difficile d’en trouver. Toutes les salles sont devenues des chambres à coucher. En bas là-bas, il y a une église, je ne sais pas si vous pouvez en trouver. Avant ça existait, mais plus maintenant. Allez au bâtiment C, là il y a un salon de coiffure, quand vous descendez au sous-sol vous prolongez, vous allez peut être avoir un espace là-bas», indiquent-ils.
La Fédération estudiantine et scolaire (FESCI) en complicité avec le Centre régional des œuvres universitaire (CROU), met en location nos salles d’études.
Comme Sylvie, Melvine, Seka et Ibrahim, plusieurs résidents de la cité universitaire imputent la faute à la FESCI et au CROU. « La FESCI en complicité avec le CROU met en location nos salles d’études. C’est pourquoi cela ne va pas disparaître facilement. Ils en ont également fait à la cité mermoz, mais là bas c’est un peu plus modéré qu’ici. Les étudiants disposent encore de salles d’études, mais jusqu’à quand», s’interrogent- ils.
Les commerçants ne diront pas le contraire. «J’occupe cette salle depuis l’année 2009. Je m’en sors bien en tout cas. Si vous voulez plus de renseignements allez voir le général ( un membre de la FESCI) installé là-bas dans cette cabine de mobile money. Il vous en dira plus. C’est avec lui qu’on a géré» , témoignage Noël G, un restaurateur qui ne veut pas aller plus loin.
A cette heure de la journée, 11 heures passées de 45 minutes, le général est très occupé. Derrière le comptoir de sa petite entreprise, il fait face à une fil indienne. Mais «Diégo le Champion», comme on l’appel ( membre de la FESCI) depuis plus de 10 années, veut bien donner les renseignements.
«Les Magasins vont de 20.000 FCFA à 40.000 FCFA, si les prix n’ont pas grimpé. Ce n’est pas la FESCI qui encaisse, mais l’administration. Seulement, souvent ils viennent embrouiller les commerçants pour avoir un peu de sous. Ils contribuent aussi à l’installation. Si tu veux un magasin pour faire des photocopies, je peux te trouver une place», propose celui qui n’a pu intégrer le bureau national du fait de son absence répétée sur le campus.
Il y a 5 années de cela, une crise survenue entre la FESCI et le CROU sur la gestion des commerces..
A l’en croire, les commerces installés sur ce site universitaire auraient considérablement réduits, du fait d’une crise survenue entre la FESCI et le CROU sur la gestion des commerces, il y a 5 ans.
« Les choses ont changé maintenant. La FESCI devient de plus en plus disciplinée. Ils ont retiré assez de magasins, maquis, jeux vidéos et autres, car les étudiants n’arrivaient pas à se concentrer. Mais aussi à cause d’une crise survenue entre la FESCI et le CROU sur la gestion des commerces. La FESCI réclamait des quotas comme par le passé, avant la crise post-électorale. Ça a chauffé», s’en souvient Diégo.
Plusieurs démarches entreprises auprès du CROU Abidjan 1 sous la houlette de Mamadou Dély, afin de connaître sa version des faits restent vaines depuis plus d’un mois.
Néanmoins, le Secrétaire général de la FESCI Allah Saint Clair, ne reste pas muet. Reçue à son siège le mercredi 6 juin 2021, il reconnaît les faits, et donne des indices sur les démarches en vue, afin d’améliorer la situation des étudiants qui habitent la cité universitaire Félix Houphouet Boigny.
Les étudiants dorment encore dans les amphithéâtres
Selon lui, il y a peine une semaine, accompagné du DG du CROU, une tournée a été effectuée sur le campus en vue de recenser toutes les salles d’études. Mais il précise, « nous ne sommes pas en train de libérer les salles d’études et buanderies pour en faire des salles d’études à nouveau. Il faut tenir compte des réalités. Les étudiants dorment encore dans les amphithéâtres. Nous avons proposé que ces salles soient occupées par eux. Nous sommes tombés d’accord avec le DG du CROU sur ce fait».
Un centre commercial en vu…
En ce qui concerne les commerces, il indique, « ils sont menés par les étudiants et des étudiantes. Comme il n’y a pas de bourses, les étudiants recherchent de quoi à survivre. Pour la FESCI, ce serait malsain d’empêcher ces jeunes de faire leurs commerces. Mais la stratégie qu’on a développé et je tiens à féliciter le DG du CROU, et le maire de Cocody M. Jean Marc Yacé, c’est de recenser toutes les salles et tous les petits commerces menés par les étudiants. Ce qui a été fait.
Un grand centre commercial sera construit. La seule condition pour les commerçants, c’est d’être étudiants. De la salle d’étude, ils iront à un magasin de commerce. Cela va permettre de l’ordre dans l’environnement. Vous voyez qu’il y a même des marchés ici, parce que les plats sont chers. Un centre va accueillir tout ça. Nous serons donc à l’aise désormais d’interpeller les étudiants sur le phénomène de prolifération des petits commerces dans les salles d’études», soutient le premier responsable de la FESCI.
Il poursuit : « Après des enquêtes, nous nous sommes rendus compte que des gens à l’extérieur détiennent aussi des espaces ici et cela, par l’intermédiaire des étudiants. Nous avons mis l’administration face à la réalité. Elle a convoqué tous les commerçants. Aujourd’hui contrairement à ce que les gens pensent, c’est l’administration qui donne des tickets comme dans les marchés pour le recouvrement, et les paiements mensuels. Les violences entre les organisations scolaires venaient aussi de tout ça. Comme la FESCI est sur le terrain, ils nous font porter uniquement le chapeau, pourtant même les gens dans l’administration le font. Ils ont aussi installés les commerçants. Ça a commencé sous le DG Blé Guirao, et les commerçants l’ont avoué lors d’une rencontre qu’organise une responsable du nom de Fatou Bamba jusqu’à aujourd’hui. C’est avec elle en ce moment que nous mettons de l’ordre». Allah Saint clair confie par ailleurs, qu’il reste en attente des demandes de constructions de résidences universitaires adressées à des organisations non gouvernementales.
Le Président des Parents d’élèves prévoit rencontrer les autorités universitaire
Le Président des Parents et élèves de Côte d’Ivoire Kadjo Aka Claude, prévoit entamer des investigations suivies d’une rencontre avec l’administration de l’université dans les semaines à venir, car avoue-t-il « Nous n’étions pas informés d’une telle situation qui peut agir négativement sur le système scolaire ivoirien. Tout ce qui impacte négativement la concentration des élèves et étudiants n’est pas du tout à encourager. Si on est distrait on ne peut pas travailler, c’est un travail intellectuel qui a besoin de concentration. Il faut que tout soit mis en ordre pour obtenir de bons résultats. Si une telle situation se présente et qu’on nous le signale, nous devons mener des démarches. Je vais rencontrer la FESCI et les autorités», promet-t-il. Comme l’atteste Kadjo Aka Claude, cette situation, si elle perdure, pourrait véritablement impacter davantage les rendements scolaires. Il faut réagir au plus vite.
Marina Kouakou