Évoquer la corruption en Afrique c’est comme parler de la météo : le sujet est toujours d’actualité, mais les habitudes ne changent pas. La corruption représente plusieurs milliards de pertes pour nos Etats chaque année et elle est l’un des grands problèmes systémiques des pays africains. Elle constitue également l’un des principaux obstacles à l’afflux des investissements étrangers et au développement de l’entreprise privée. Malgré quelques actions d’éclats et des prises de loi contre le fléau, nos gouvernants sont-ils prêts à faire montre d’une vraie volonté politique sur ce dossier ? Nos populations sont-elles prêtes à se passer d’une telle habitude ?
Un héritage ?
Une première pensée estime que la corruption serait un héritage de la tradition africaine du cadeau. À meilleure preuve, elle ne touche pas que les élites et répond pour beaucoup aux obligations de solidarité et de réciprocité de la famille élargie. Sans nier ces pesanteurs culturelles, d’autres courants de pensée voient cependant dans la corruption l’expression d’un déclin des valeurs morales des coutumes africaines, perverties par la colonisation et l’introduction d’économie de marché.
On dit cyniquement de la corruption qu’elle est, avec la prostitution, le plus vieux métier du monde. Si la prostitution représente une mise en location de son corps, la corruption est la mise en vente de sa conscience. Elle est donc une atteinte portée à la droiture de la conscience ou de la conduite. Le Petit Robert la définit comme un moyen que l’on emploie pour faire agir quelqu’un contre son devoir, sa conscience…
Pourtant la corruption se présente sous plusieurs formes. « Dessous de table », « détournement », « fraude », « l’extorsion ou racket », « favoritisme », « népotisme », « collusion » … Elle se décline en deux grandes classes : la grande corruption qui intervient entre les entreprises, réseau, groupe d’intérêt et l’Etat et la petite corruption appelée également la corruption bureaucratique qui intervient dans l’administration publique entre citoyens et les fonctionnaires. Cette dernière classe est plus visible et nous intéresse.
Devenue un mal endémique en Côte d’Ivoire, la corruption est perceptible à tous les niveaux de notre société. Elle a atteint des proportions inquiétantes et devient généralisée dans les secteurs au point de désorganiser la structure même de la société ivoirienne. Constat : la corruption fait partie des premiers facteurs de la vie chère et de la dégradation des conditions de vie des citoyens en Côte d’Ivoire.
Dimensions socio-politique
Au cours des dix dernières années, le problème de la lutte anti-corruption est passé, dans l’ordre des sujets de préoccupation des différents gouvernements qui se sont succédés. Même s’il n’est dépassé que par les craintes liées à la hausse des prix et à la pauvreté, le problème de la lutte anti-corruption est pris au sérieux par nos autorités. Cependant, la lutte contre la corruption n’a jamais été érigée en priorité absolue par un des gouvernements en Côte d’Ivoire. Même si la rhétorique anti-corruption, très porteuse politiquement, n’a jamais cessé d’être présente, les audits réalisés dans ce cadre ont été circonscrits à quelques individus et entreprises et ne se sont pas accompagnés de véritables mesures judiciaires destinées à combattre la corruption de façon systématique. Les déclarations sur ce sujet se sont toujours basées sur deux grands principes. Le premier consiste à réduire le phénomène de façon globale. Nos autorités considèrent traditionnellement que les professions les plus corrompues sont les forces de l’ordre, les médecins et les enseignants, et non forcément les fonctionnaires de l’appareil d’État, malgré le fait que 90 % des pots-de-vin sont liés au secteur public et seulement 10 % relèvent de la « corruption au quotidien ». Deuxième particularité, la corruption est présentée comme un élément traditionnel de la vie, profondément enraciné dans l’histoire et la culture des Africains.
Les efforts du gouvernement
En dépit de toutes les faiblesses de la politique anti-corruption en Côte d’Ivoire, des progrès notables ont été enregistrés au cours des dix dernières années en matière de contrôle public exercé sur les fonctionnaires. La Côte d’Ivoire a amélioré sa performance depuis 2013 et se classe au 104e rang sur 180 pays, selon l’indice de perception de la corruption de Transparency International.
Mais, la principale innovation apportée en Côte d’Ivoire dans la lutte contre la corruption, c’est la création d’un organe chargée de la prévention et de la répression des actes de corruption et des infractions assimilées dénommé « Haute autorité pour la bonne gouvernance ». Elle fait obligation aux ministres, hauts fonctionnaires et aux élus de déclarer leurs patrimoines. En plus de cet organe, le président ivoirien a dédié un département ministériel à la lutte contre la corruption : le ministère de la Promotion de la bonne gouvernance, du renforcement des capacités et de la lutte contre la corruption, dirigé par l’ex juge Epiphane Zoro Ballo. Ce ministère est chargé de mettre en musique la politique du gouvernement en la matière. D’ailleurs, depuis quelques mois des audits ont été lancés dans certaines sociétés publiques dont les résultats sont toujours attendus et une opération « coup de poing » contre la corruption est en cours dans les services publics, notamment à la police et la gendarmerie ainsi que dans plusieurs autres secteurs du service public. Les services du contrôle technique routier, l’éducation, la santé ou la justice ont déjà été visés par des opérations visant à recueillir des preuves de corruption. Les résultats de ces investigations ont été transmis aux autorités compétentes dont le Parquet pour les civils et le tribunal militaire concernant la police et la gendarmerie. Malgré tous ces efforts, le ministre Epiphane Zoro Ballo reconnait que : « La perception des Ivoiriens en matière de corruption ne s’est pas améliorée« . Que faire ?
Insuffisances des textes ?
Habid Ouattara, homme de Droit que nous rencontrons pense que les textes sur le sujet ne sont pas assez suffisants et précis pour permettre de baiser ce phénomène dans l’administration en Côte d’Ivoire. Même son de cloche chez Mademoiselle Corine Koffi, pharmacienne, elle croit qu’il faut vulgariser les textes et donner la possibilité à tous les citoyens d’en connaitre le contenu. En exemple, indique-t-elle, hormis les membres de la Haute autorités de la bonne gouvernance, Habg, personne d’autres n’a accès aux déclarations des personnes assujetties à la déclaration du patrimoine pour vérifier la concordance de leurs actifs. Elle estime que l’opposition et les blogueurs devraient aussi avoir accès à ces données. Pour Fatimata Diao, fonctionnaire, « tous les appels d’offres publics, propose-t-elle, doivent être désormais obligatoirement publié sur des sites Internet publics » car, selon elle, « Ça y va de la crédibilité de la lutte contre cette corruption qui ne doit pas être les prérogatives d’une seule institution ». Quant à Djomo louis, il estime qu’une loi doit-être prise pour protéger les lanceurs d’alerte. Autant d’obstacles que les populations considèrent qu’ils bloquent la pertinence de cette lutte.
Abat les exigences du peuple
En Afrique en général, rare sont les régimes ou les gouvernants qui décident de mettre en cause de hauts fonctionnaires et des cadres de leur parti qui sont parfois plongés dans de gros scandales de corruption ou de détournement de fonds publics. Présenter de tels scandales de corruption sont très dangereux pour nos gouvernants. Qui préfèrent se taire et utiliser ces informations contre ces derniers. Ce n’est donc pas un hasard si les affaires pénales mettant en cause des hauts fonctionnaires, y compris les ministres, les proches de nos présidents, etc. n’aboutissent pratiquement jamais à un procès. Cette attitude n’est tout à fait pas comprise par les populations. Pour elles, à l’instant où une personne, fut-elle, ministre, est soupçonnée de corruption, elle doit faire l’objet d’une enquête puis, d’une poursuite judiciaire s’il s’avère qu’elle est impliquée dans cette malversation. Or, c’est tout le contraire ici comme ailleurs. Il n’en reste pas moins qu’une telle approche de la lutte est contreproductive et ne fait pas évoluer les mentalités.
Des personnes interrogées sur le sujet, reconnaissent que le fléau perdure dans l’administration. Pour Prince Yapi, étudiant, « Pour établir un document quelconque dans un service public, il faut toujours laisser des pots de vin sinon, il n’est pas évident que ce document soit vite traité », révèle-t-il péremptoire avant de dire avec un brin d’humour : « On est né dans ça, on va mourir dedans ». Mademoiselle Lohi Kouity, Communicatrice, croit que « L’existence de la corruption dans l’administration ivoirienne met en retard les jeunes et leur donne cette envie de prendre le chemin le plus court ». Diomandé Noura, employée dans une Ong de droit de Femme, ne dit pas autre chose. Pour elle, « Je pense que la corruption est un fait alarmant qui doit être banni dans notre société car, elle entrave l’épanouissement de notre pays ».
Mais, entre nous, peut-on vraiment freiner ce fléau quand ceux qui sont chargés de la répression ferment les yeux sur de grosses malversation financières et des scandales de corruption ? Peut-on la freiner quand les populations se taisent sans décrié ce qu’elles vivent dans l’administration ? Autant de questions qui ne peuvent être résolues tant que les mentalités ne changeront pas. Tant que la législation sur le sujet est encore large et non spécifique. Tant que l’on n’ouvrira pas les yeux sur ce qui se passe dans l’administration ivoirienne… Sinon la corruption aura encore de beaux jours.
Djolou Chloé