A la date du 14 avril 2021, le pays enregistrait au total « 45 388 cas confirmés dont 44 833 personnes guéries, 271 décès et 284 cas actifs », selon le ministère ivoirien de la Santé et de l’hygiène publique. Pour lutter efficacement contre cette pandémie, l’Etat ivoirien a mis en place un programme de prise en charge sanitaire dont des sites d’isolements et de prises en charge, y compris un système de gratuité des soins. Comment se déroule-t-il ? Les ivoiriens sont-ils immédiatement pris en charge après avoir été testés positifs ? Voix Voie de Femme vous livre des retours d’expériences de cas positifs.
Dans son discours sur la gestion de la pandémie à coronavirus en Côte d’Ivoire, à l’occasion de la session extraordinaire de l’Assemblée générale des Nations unies consacrée à la maladie qui s’est tenu du 3 au 4 décembre dernier à New-York, l’ex ministre de la Santé et de l’hygiène publique Aka Aouélé a détaillé le plan de riposte qui avait permis de contenir la maladie à ce moment-là. Selon lui, ce plan de riposte est « axé sur le triptyque tester, isoler et traiter, financé par l’État avec des ressources domestiques importantes et l’appui des partenaires, puis soutenu par l’application de plusieurs mesures dont l’isolement du grand Abidjan, la fermeture des frontières terrestres et aériennes, l’application des mesures barrières, mais aussi par la qualité et la gratuité de la prise en charge ».
Centres de prise en charge
Sur instruction du gouvernement ivoirien les patients de la maladie à coronavirus sont donc gratuitement pris en charge, soit au centre des maladies infectieuses à Treichville, au CHU de Cocody, au CHU de Yopougon, à l’hôtel IBIS à Marcory, ou à VITIB (Grand Bassam). Si l’ex ministre brandissait fièrement la qualité dudit programme de lutte contre la maladie à coronavirus, ce service présente des failles en ce moment, selon plusieurs témoins. Plusieurs bénéficiaires pensent qu’il faut nécessairement une promptitude dans la prise en charge des patients testés positifs.
« Merci d’observer les mesures barrières, vous serez bientôt contacté par les services de prise en charge »
Sylvie K, Directrice d’une entreprise réputée, fraichement guérie de la Covid-19 raconte. « Je devais effectuer un voyage à l’extérieur du pays, il y a peu. Il est demandé à tous voyageurs de faire une déclaration de déplacement qui coûte 50 000 FCFA. Une somme qu’on paye en ligne, par les mobiles money ou les cartes visa et MasterCard, avant de faire le test Covid. Ce que j’ai respecté à la lettre. Je suis allée faire mon test, le vendredi 19 mars 2021. Je n’avais pas de signe de maladie. Sur le chemin de la maison je me suis sentie très mal. J’avais de la fièvre, des courbatures, mes yeux avaient changé de couleur. J’ai immédiatement acheté un médicament de palu avec du paracétamol. Deux jours après le test Covid, le 22 mars, alors que je consultais le résultat en ligne, c’était un message qui était plutôt écrit sans mentionner mon nom. Il disait ceci : « Merci d’observer les mesures barrières, vous serez bientôt contacté par les services de prise en charge« . Cela signifiait que j’étais positive au test de Covid-19. Pourtant lorsque le test est négatif, on vous le dit clairement, la réponse est donnée avec votre nom et prénom, votre contact, votre lieu de résidence et votre date de naissance, la totale… ».
Et d’ajouter : « On vous dit dans ce message que vous allez être pris en charge. Mais personne ne m’a appelée. Je dis bien personne ! J’ai dû moi-même me renseigner, appeler certains numéros de personnes censées m’aider, mais rien. C’est une dame que j’ai rencontré à l’institut d’hygiène de Treichville à qui j’ai expliqué ma situation, qui m’a dit d’aller au CHU de Treichville au centre des maladies infectieuses».
L’expérience est la même pour Fatou D, comptable de formation. Elle qui a été au préalable en contact avec un proche testé positif. « Après m’avoir informé de son résultat, il m’a invité à faire le test. Il faut préciser que je me sentais beaucoup fatiguée et j’avais mal à la tête. Le 25 mars, soit deux jours après avoir fait le test, à Abobo, je me suis rendue sur le site du ministère avec mes accès. Le message affiché m’invitait à respecter les mesures barrières. Il disait aussi que je serais contactée par une équipe de prise en charge ».
Testés positifs livrés à eux-mêmes
Prise de panique après la lecture de ce message, Fatou attend impatiemment d’être contactée, mais en vain. « J’ai pris connaissance de ce message autour de 9 heures. Jusqu’à 11 heures pas d’appel. J’ai même appelé le 101 (numéro vert) pour exposer ma situation. J’ai reçu le contact d’un médecin qui est censé faire la prise en charge. Ce dernier n’a jamais décroché. Il a fallu que j’entre en contact avec celui qui m’avait invité à faire le test. Il m’a dit que lui aussi avait appelé ce numéro en vain. Il m’a conseillé de me rendre directement au centre des maladies infectieuses et d’indiquer que j’y suis pour une prise en charge, car ce message annonçait que j’étais testée positive. Il faut soi-même faire ses investigations pour déchiffrer ce message et être pris en charge. Normalement ils doivent appeler, ou donner le résultat, mais, ils ne le font pas et c’est paniquant », s’en plaint la jeune dame.
« Toute annonce est difficile, source de détresse, souffrance, dépression, affolement, inquiétude, même de sidération »
Une situation qui peut entrainer un gros choc selon le Psychologue Assouan Guillaume Kokoué, «l’angoisse de l’attente a forcément de l’impact négatif. Cela peut créer un choc, l’inquiétude de mourir… On devrait l’annoncer physiquement. Les malades sont déjà inquiets par rapport à la situation qui envoie en consultation. Quelqu’un qui a par exemple un AVC ou est hypertendu et qui est parti se faire tester sera dans l’inconfort physique. Ce qui peut entrainer des troubles psychosomatiques, au point ou la personne va développer des symptômes qui ressemblent au Covid ou à d’autres maladies. Ce temps d’incertitude où on ne fait pas de retour, et le malade est livré à lui-même peut créer le sentiment d’abandon par l’État », affirme le spécialiste.
Il insiste « Il faut créer un cadre propice pour l’annonce. Toute annonce est difficile, source de détresse, souffrance, dépression, affolement, inquiétude même de sidération. Que cela soit positif ou négatif. Quelqu’un qui a développé des symptômes psychosomatiques et qui reçoit un résultat négatif peut en douter à cause des symptômes qu’il a développé. Il y a des personnes qui pourraient difficilement accepter donc banaliser le diagnostic…».
« Le malade peut tomber et mourir et vous en serez responsable »
Les tentatives à l’endroit de l’Institut pasteur dans l’optique de connaitre les raisons pour lesquelles les appels en destination du médecin censé établi le premier contact avec les personnes testées positives, restent sans réponses jusqu’à ce jour. Mais, selon le Responsable du site d’isolement VITIB Docteur Silué, ceci pourrait être dû à un débordement. « Il peut y avoir un problème de communication dû au fait que de nombreuses personnes essaient de joindre le même numéro en même temps. Après le prélèvement du malade, l’institut pasteur fait parvenir les résultats et les contacts. A mon niveau, lorsque les résultats de mes prélèvements sont positifs et que je les reçois, je contacte le patient en question, sauf si je n’ai pas le contact ».
En ce qui concerne le message incertain des cas testés positifs, le médecin répond. « On demande aux patients de respecter les mesures barrières car le dire comme cela peut créer un choc. Le malade peut tomber et mourir et vous en serez responsable. Il faut que l’annonce soit faite par un praticien ».
« Le programme de prise en charge débute véritablement lorsque le médecin vous reçoit »
Il faut prendre son mal en patience avant d’accéder à la prise en charge au centre des maladies infectieuses. « Je suis arrivée au centre à 13 heures, j’ai patienté jusqu’à 15 heures 54 minutes avant d’être reçue. A mon arrivée, j’ai dit à l’agent de santé que j’étais là pour une prise en charge, comme me l’a conseillé mon proche et je me suis mise dans le rang. Il y avait environ 90 personnes avant moi. Il y a en principe quatre médecins pour la prise en charge, mais ce jour là il y en avait que deux», s’en souvient la comptable.
« Cette salle était bondée de personnes positives. Elle fait 10 mètres de long. Le programme de prise en charge débute véritablement lorsque le médecin vous reçoit », indique Sylvie.
A en croire Docteur Silué, aussi Directeur départemental de la santé de Grand Bassam, « Quand le malade est positif, on lui demande qu’est-ce qu’il préfère? Il a la possibilité de rester confiné chez lui, à la maison et de suivre son traitement ou de s’isoler sur l’un des sites prévus par le programme de prise en charge. Sur les sites d’isolement qui font la prise en charge (hôtel IBIS à Marcory, ou VITIB à Grand Bassam), les malades reçus n’ont pas des signes de gravité et ils reçoivent les traitements médicaux. C’est un personnel médical qui s’occupe d’eux. Nous leur administrons un traitement symptomatique. Certains au bout de 14 jours sont guéris, d’autres font moins que cela ou plus de 14 jours.
Ceux qui ont des signes de gravité sont hospitalisés au CHU. Libre au patient de refuser les sites d’isolement, dans ce cas il ne bénéficiera pas de l’assistance médicale permanente. Si on lui prescrit les médicaments et qu’il y a des effets secondaires ensuite ça sera compliqué. On ne peut pas déplacer un médecin par patient, nous ne sommes pas nombreux. », Fait savoir le spécialiste.
Selon les bénéficiaires, la proposition des sites d’isolement n’est pas systématiquement proposée. « C’est quand j’étais en salle d’attente que j’ai entendu un ambulancier parler de dernier convoi pour VITIB. Après renseignement, j’ai su que VITIB était un centre d’isolement non obligatoire. Lorsque le médecin m’a reçu, il m’a remis deux boites d’antibiotique, une boite de paracétamol et une ordonnance pour la vitamine. J’ai ensuite demandé s’il y avait une possibilité de m’isoler à VITIB. Il m’a alors repris certains médicaments, et annulé l’ordonnance et m’a signifié qu’un KIT de traitement complet me sera remis sur place», explique la Directrice dont le séjour a duré entre 10 à 15 jours.
Si elle (Sylvie), a eu la possibilité de s’isoler, ce n’est pas le cas pour Fatou et de nombreux bénéficiaires qui n’ont pas eu connaissance de ce choix. « Le médecin m’a prescrit des médicaments et demandé d’observer les mesures barrières. Puis je suis rentrée à la maison, avant de revenir le 1er avril pour le test de vérification qui s’est avéré négatif le jour d’après », dit-elle.
« L’indiscipline des malades », la plus grosse difficulté
La procédure de prise en charge sanitaire de l’infection à coronavirus présente donc deux options pour les personnes aux cas moins compliqués. Celle de s’isoler pour suivre le traitement, ou celle de se confiner chez soi. Dans tous les cas, les difficultés sont les mêmes. « L’indiscipline des malades ».
Autrefois positives au test de la Covid 19, Sylvie et Fatou rangent ce souvenir bien loin maintenant. Si ces dames en sont guéries aujourd’hui, c’est bien parce qu’elles affirment avoir respecté les mesures barrières, le traitement, ainsi que les instructions reçues. Ce qui n’est pas toujours le cas pour bons nombres de personnes positives, qu’elles soient en isolement ou à domicile.
« Je ressentais de la fatigue intense, j’avais mal à la tête, perte du goût et de l’odorat ainsi que des douleurs musculaires. Quand j’ai été testé positif l’année dernière, j’ai juste reçu un message téléphonique qui me l’annonçait. J’ai été prié, de respecter les mesures barrières, de rester confiné et aussi de prendre de la vitamine C. J’ai fait l’effort de me soumettre aux respects stricts des mesures barrières, mais le plus difficile était le respect du confinement. Déjà, je ne vis pas seul. Je devais me rendre aussi au boulot. Je circulais comme tout le monde. Je n’avais pas le choix car je ne l’avais pas signifié au bureau de peur d’être stigmatisé», Témoigne Séraphin T, Informaticien qui en est guérit les semaines d’après.
« J’ai aussi observé des malades qui se rendaient visites, qui se baladaient… »
A VITIB et dans les différents centres d’isolements, les malades sont pris en charge, nourris, logés et surveillés, mais plusieurs d’entre eux peinent également à se plier aux règles. « Arrivée là-bas on m’a enregistré et donné ensuite une chambre, un drap, une serviette, et mon KIT constitué d’un seau, et d’une série de médicaments. Il y avait plusieurs antibiotiques. Les matins, les services médicaux passent prendre nos températures, notre tension et nous demandent l’évolution de notre état par rapport à la prise des médicaments. Il y a des jours où les médicaments étaient difficile à supporter. Mais au fur et à mesure, les symptômes disparaissaient.
En isolement nous sommes amenés à respecter les mesures barrières puisque nous sommes tous positifs, donc priés de ne pas quitter le site et de ne pas recevoir de visite. Le service est efficace, (nettoyage, nourriture…) le seul problème, c’est l’indiscipline des malades. J’ai aussi observé des malades qui se rendaient visites, qui se baladaient…, à chaque fois qu’on faisait leur test ils étaient toujours positifs alors qu’ils faisaient le traitement. Ils se repassent le virus sans cesse. On a dû les rappeler à l’ordre. Il y en avait de tout âge 9 ans, 10 ans, 12 ans, 18 ans, 19 ans… », Témoigne Sylvie.
Ce qu’atteste Docteur Silué. « L’indiscipline des malades ne rend pas la tâche facile. Ceux qui choisissent des rester chez eux ne se confinent pas. Même dans les centres d’isolements cela semble compliqué. Dès que le test est positif vous pouvez contaminer, vous devez vous isoler. Le personnel médical est aussi beaucoup contaminé, et c’est surtout le personnel de première ligne, c’est pour cela qu’on a privilégié la vaccination au niveau du personnel de santé. Quand le malade arrive, on se jette sur lui et après on se rend compte qu’on n’était pas protégé, du coup on est déjà contaminé ».
« Quand les mesures barrières seront respectées, on sera plus à l’aise dans le travail »
Pour le Responsable du site d’isolement VITIB, il faut obligatoirement tenir compte des mesures barrières, et instructions car dit-il, « Quand les mesures barrières seront respectées, on sera plus à l’aise dans le travail ».
« On a la chance qu’en Afrique, il n’y a pas assez de formes graves. Nous menons plusieurs études en ce moment pour en savoir davantage sur la situation surtout en Afrique subsaharienne. Il y a des gens qui nous disent parfois que nos résultats sont faux. Il n’y a pas d’autres difficultés particulières à part que, les gens ne croient pas que c’est une réalité, et les mesures barrières ne sont pas respectées. La majorité de la population ne les respecte que lorsqu’elle est contrainte», confie-t-il.
«Tout est fait pour laisser croire que c’est une distraction »
Qu’est ce qui explique l’indifférence des populations quant à l’application des mesures barrières ? Un micro trottoir réalisé à Abobo, à Adjamé et au deux plateau a permis de constater que cela est dû au « mystère autour de l’infection à coronavirus ». Pour Isabella O, « on voit rarement ces cas, on n’a pas vraiment d’informations sur les prélèvements, la prise en charge, la communication n’est plus intense, même dans les hôpitaux et administrations publiques les mesures ne sont pas respectées sans sanctions, tout est fait pour laisser croire que c’est une distraction. », Justifie la Communicatrice rencontrée au deux plateaux.
Le gouvernement ivoirien s’en tient à la sensibilisation
Comme le souligne Isabella, le gouvernement ivoirien multiplie les actions de lutte contre la maladie à coronavirus. Au départ, l’application des mesures barrières dont le lavage systématique des mains, et le port du cache-nez était véritablement observée dans les administrations et même dans les véhicules de transports en commun. Mais, depuis plusieurs mois, l’indiscipline des populations et même des malades devient grandissante au regard des investigations menées. Le gouvernement ivoirien par l’entremise du ministère de la Santé et de l’hygiène publique s’en tient à la sensibilisation via des messages téléphoniques, communication en ligne… Néanmoins, « il gagnerait à corser les mesures quant à l’indiscipline de la population », Selon la jeune communicatrice.
« Il faut mettre l’éducation thérapeutique en place, un semblant de soins palliatifs »
Fatou, Sylvie et Séraphin désirent en plus « une véritable politique de prise en charge immédiate des cas testés positifs ». Assouan Guillaume Kokoué, les rejoint et propose au gouvernement « d’aider le malade à accepter sa situation pour mieux être observant sur les conduites à tenir. Si le malade se met dans une attitude de fatalisme ça sera difficile si l’angoisse de mort s’y ajoute.
Il faut revoir l’annonce et l’attente des résultats, ainsi que la première prise de contact. On ne doit pas laisser le patient dans l’attente, l’angoisse, l’incertitude, l’inconfort psychologique. Pendant ces deux jours d’attente du résultat, il faut mettre l’éducation thérapeutique en place, un semblant de soins palliatifs. Si le diagnostic est positif, le malade sera déjà inclut dans le processus. S’il est négatif, ce sera bénéfique, car la personne prendra conscience de la situation et sera plus prudente », conseille-t-il.
Marina Kouakou