Avec le coronavirus qui a fait fermer toutes les écoles depuis le 16 mars, le gouvernement ivoirien a initié des cours en ligne à travers le programme : « Mon école à la maison ». Une mesure palliative difficile à mettre en œuvre.

Mariam, 12 ans, en classe de Troisième au Groupe scolaire Santiguy Sangaré d’Adjamé ne va plus à l’école depuis le 16 mars, date de la fermeture des écoles dans le cadre de lutte contre le coronavirus. Elle est à la maison, à Abobo-Anador, comme ses millions de camardes élèves et étudiants ivoiriens. Pour pallier la fermeture des écoles et sauver l’année scolaire, le gouvernement a initié le programme : « Mon école à la maison ». Histoire de maintenir les examens de fin d’année. Et sauver l’année scolaire. « C’est à partir de mi-avril que j’ai commencé à suivre les horaires à la RTI », explique Mariam sans précision de date. Pourtant, c’est exactement le 9 avril que le programme a démarré.

Lorsque le ministère de l’Education nationale et de la formation professionnelle lance ce programme de cours télé ou en ligne, il privilégie les élèves en classe d’examen : CEPE, BEPC, BAC.  Ces cours virtuels ont démarré le 9 avril et du lundi au vendredi.  RTI-1 : 15h00 – 15h30 ; RTI-2 : 09h05 – 11h00 ; Radio CI : 10h10 – 11h00 ; Fréquence 2 : 15h05 -16h00.  L’Ecole primaire numérique, le Collège numérique et le Lycée numérique, présentent des cours, avec exercices en appui.  « C’est difficile à comprendre parce qu’on n’est pas habitué à ça. En classe, le professeur revient sur les explications et il nous permet de poser des questions. Ce qui est impossible à la télévision ou à la radio », poursuit la jeune fille.

Raoul, 20 ans, lui, est en classe de Terminale au Lycée moderne d’Abobo. Il reprend les mêmes critiques en ce qui concerne les cours diffusés à la télévision ou à la radio. Et à cette impossibilité de réactivité, le garçon déplore l’insuffisance du temps imparti pour ces cours : 10 à 15 minutes ! Il préfère plutôt les cours en ligne.  « Ce sont les cours en ligne qui nous arrangent. Parce que là on n’est pas dérangé par un visiteur ou un parent dans la maison quand on opte pour la télévision. On peut donc se concentrer », concède Raoul. Le hic, c’est que cet élève de Terminale D n’a ni ordinateur, ni smartphone chez lui. Grace au 500 F CFA/Jour que son père lui donne, il consulte les cours dans le cybercafé du quartier.

Difficile adaptation

Le 20 avril dernier, l’Union nationale estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire (Unesci) dénonçait les limites de ce vaste programme gouvernemental. Dans une déclaration datée de ce jour, ce mouvement estudiantin insistait sur son caractère inadapté au niveau de développement de la Côte d’Ivoire. « Le temps (10 à 30 minutes) dédié aux cours à la télévision et la radio ne permet pas une meilleure compréhension ; les élèves disent ne pas arriver à se concentrer à la maison ; l’absence d’interlocuteur à qui poser des questions lorsque l’on ne comprend pas ; une grande frange des élèves dans les campagnes auprès de leurs parents n’ont pas accès à la télévisions que pour poursuivre les cours de mathématiques et de sciences physiques », relevait le président de l’Unesci, Kouamé N’Guessan Jean-Vincent. L’autre syndicat d’élevés et étudiants, la Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire (Fesci) évoque également cette pénombre technologique qui rend difficile la conduite de cet ambitieux programme. Pour son secrétaire général, Allah Saint-Clair, quand bien même les élèves peuvent se trouver un téléviseur, un ordinateur ou un smartphone, il leur faut encore payer la connexion internet. Une bourse qui n’est pas donné à une grande partie de la population des élèves.

Le ministère de l’Education nationale n’a pas encore évalué la conduite du programme sur l’étendue du territoire. Mais le programme n’avance pas comme souhaité. Le mardi 5 mars 2020, devant une mission d’évaluation du projet dans la région des Grand-Ponts, la directrice régionale de l’Education nationale, Fofana Sara, a révélé que “Mon école à la maison” n’est suivi qu’à seulement 45% dans sa zone de compétences qui comprend le Grand Abidjan ! Deux mois après le lancement du projet.

Implication des acteurs de l’école

Conscients de l’impact sur leur niveau, des élèves en classe d’examen, ont pris leur destin en main, en attendant une éventuelle reprise des cours. Une rumeur avait fait état d’une reprise le 18 mai. Rumeur très vite balayée par le ministère de l’Education nationale.

Ainsi, Mariam, qui n’arrive pas à s’adapter au rythme du programme télévisuel ou en ligne, s’est mis dans un groupe d’étude avec trois autres de ses camarades de classe. « Chaque jour nous nous retrouvons pour travailler », fait savoir l’élève en classe de Troisième.

Certains parents d’élèves ont gardé les maitres de maison pour leurs enfants. « Chacun doit imaginer sa solution. J’ai demandé à l’encadreur de mon fils en classe de CM2 de continuer à venir. Et depuis ça se passe bien. Je pense que le problème c’est de maintenir le niveau des enfants », se félicité Konaté Seydou, fonctionnaire. C’est justement ce que conseille Claude Kadio Aka, le président de l’Organisation des parents d’élèves et d’étudiants de Côte d’Ivoire (Opeeci). « Il faut permettre aux élèves en classe d’examen d’accéder aux programmes à la télévision, aux horaires indiqués. Puisque tout le monde est à la maison, il faut faire en sorte que l’élève ne puisse pas être dérangé par ses frères et sœurs. Malgré tout, chaque parent doit trouver soit un maître de maison, soit s’impliquer lui-même pour que l’enfant puisse mieux assimiler les cours », recommande M. Kadio Aka.  

Propositions diverses

Les enseignants, eux, suivent de près le programme. La Coordination des syndicats de la Fonction publique (Cosyfop) salue en tout cas, le projet gouvernemental. Son président Innocent Koffi, par ailleurs président du Syndicat d’enseignants, dénommé Coordination, félicite l’esprit de ‘‘ Mon école à la maison’’. « Ce que nous observons, c’est que les horaires prévus pour les cours sont insuffisants. Faire un cours de philosophie en 15 ou 30 minutes, ne peut pas permettre à un élève de comprendre », note M. Koffi. Aussi propose-t-il une augmentation des horaires.  « Pour les élèves du primaire, nous proposons une heure de plus au programme. En ce qui concerne les élèves du secondaire, un ajout de deux heures serait judicieux », suggère-t-il. Mais en plus, l’enseignant pense qu’une ouverture des écoles, exclusivement pour les élèves en classe d’examen était bien possible. « Si on ouvre les écoles uniquement pour les CM2, 3ème et Terminale, cela permettra d’observer les gestes barrières contre le coronavirus. Un mois de cours de mise à niveau avant les examens peut remettre les élèves à niveau et prêt pour les examen », se dit-il convaincu.

Pour les syndicats des élèves et étudiants, cette conjoncture sanitaire ne devrait pas compromettre l’année scolaire. « Nous avons déjà fait plusieurs déclarations à ce sujet », souligne le secrétaire général de la Fesci. « Avant que les écoles ne soient fermées, les élèves avaient déjà fait deux trimestres. Il ne reste qu’un seul, alors trouvons le moyen le faire », poursuit Saint-Clair Allah, alias le général Makélélé. En se basant sur la même observation, l’Unesci propose que l’année scolaire pour ces élèves en classes intermédiaires soit validée, « étant donné que le premier trimestre et le deuxième trimestre de l’année scolaire ont été achevé ». Pour les deux syndicats d’élèves, l’année scolaire peut être sauvée. Pour ceux qui sont en classe d’examen, Saint-Clair Allah et Kouamé N’Guessan Jean-Vincent proposent la réouverture des classes. « Nous avons proposé qu’on dispache les élèves en classe d’examens dans les écoles pour un mois de mise à niveau. Et c’est nous qui avons demandé que les trois mois de vacances auxquels les élèves ont droit, soient réduits. On prendra également un mois pour une mise à niveau à l’endroit de tous les élèves, avant la reprise des cours », indiquent le secrétaire général de la Fesci.

Impact sur le niveau des élèves

Certains acteurs de l’école redoutent une baisse du niveau des élèves, si la situation perdure. Avant le coronavirus, le niveau des élèves en Côte d’Ivoire faisait déjà polémique. En Un rapport de la Banque Mondiale parut en 2017 avait remis en doute le niveau des élèves en Côte d’Ivoire. Kokounseu Madé Benson, inspecteur pédagogique de formation, va même jusqu’à proposer que les autorités amènent chaque école à achever son programme. L’inspecteur propose aussi d’octroyer une prime d’assistance et d’appui aux différents acteurs impliqués dans ce processus. « En ce qui concerne le secondaire, il faut réduire l’exécution du programme et de la progression aux leçons essentielles dans les disciplines telles que SVT, PC, mathématiques et histoire-géo », fait savoir Kokounseu Madé Benson… Autant de propositions, pour sauver l’année scolaire, mais le coronavirus aura impacté plus ou moins le niveau des enseignés. Ténin Bè Ousmane

Ajoutez votre commentaire