Si pendant longtemps, les violences conjugales ont demeuré entre les quatre mûrs des foyers et des familles, l’on peut relever aujourd’hui qu’avec le développement du numérique il n’y a plus besoin d’autorisation pour que l’opinion nationale et internationale soit au parfum. La vidéo d’une scène de ménage, montrant une femme qui tombe du 2ème étage à Yopougon Mamie Adjoua, est devenue très virale sur les réseaux sociaux depuis la nuit du vendredi 17 au samedi 18 avril 2020. La scène n’est pas loin d’un film western. Mais que comprendre de cette situation ? Pourquoi les femmes victimes de violences continuent-elles de défendre leur concubin qui les bat ?
La violence conjugale est devenue depuis quelques années un fait reconnu en Côte d’Ivoire et partout dans le monde. Des initiatives de défenses des violences basées sur le genre (VBG) existent et militent pour cette cause. La cellule familiale qui par vocation est le lieu de protection de l’intimité peut être aussi celui de la domination, de la violence commise dans le secret. Les femmes sont en général les souffre-douleurs d’une telle situation, supportant la douleur dans le silence. Les violences conjugales n’ont jamais surgi du hasard. Elles impliquent l’usage de la force et de la menace. Ces violences peuvent être verbales, physiques ou psychologiques. Selon une étude menée en 2008 par le Ministère de la famille, de la femme et des affaires Sociales (MFFAS), et le Fonds des Nations Unies pour la population (UNFPA) seul 140 cas de violences basées sur le genre (VBG) ont été collectés au niveau des structure sanitaires sur la période de 2000 à 2007. Il s’agit principalement de 59 % de violences physiques, de 31 % de violences sexuelles, 10 % de violences psychologiques.
La vidéo de cette scène de ménage rendue publique montre une femme S.K. suspendue, à partir du 2ème étage, au bras de son concubin T.D qui tentait de la remonter sous le regard ‘’quasi’’ impuissant des riverains badauds. Les commentaires de ceux-ci laissent entendre que le concubin aurait l’habitude de battre son épouse. Malgré ses efforts, l’homme qui tentait de remonter sa femme, n’a finalement pas pu la retenir longtemps. Elle se retrouve balancée dans le vide, chutant ainsi du second étage. Elle est aidée dans son avalanche par une ombelle (ombrelle)(parasol). Elle cogne (tombe sur) ensuite une petite clôture avant d’atterrir au rez-de-chaussée, dans un étal de compteurs d’eau.
Que s’est-il passé à Yopougon ?
Il semblerait selon les explications, que S. K. (tombée du 2ème étage) soupçonnait son compagnon d’avoir des liaisons avec d’autres femmes. Elle se met dans un état d’ébriété avancé après avoir consommé une bonne quantité d’alcool à l’extérieur et à domicile. Elle s’est mise nue dans l’appartement qu’elle occupe avec son compagnon et leur fils de 2 ans et demi, avant de tenter de sortir de l’appartement. Elle s’est rendue dans une église située près de leur domicile. Son compagnon, T.D., est ainsi allé à sa recherche pour la ramener chez eux. Suivant le communiqué publié par le Conseil national des droits de l’homme en Côte d’Ivoire (CNDHCI), « quelques temps après, elle voulut retenter de sortir de la maison et est passée par le balcon de chez elle en pensant que cette issue était la porte de sortie. Son compagnon s’est empressé de la repêcher mais n’a pas pu empêcher sa chute ».
La surprenante réaction de la victime
Alors que cette vidéo continue de faire le buzz sur la toile, l’on est surpris de voir circuler une autre vidéo, dès la journée du samedi 18 avril, dans laquelle S.K. fait un revirement de la situation. La surprise est déroutante. « Bonsoir tout le monde. Vraiment, je suis dépassée pour ce qui s’est produit le jeudi. Vraiment, mon mari n’a rien à voir dedans. C’est à cause de moi ! c’est à cause de moi. C’est parce que j’ai bu. C’est sous l’effet de l’alcool que tout ça est arrivé. Il ne m’a pas poussée. Il ne m’a pas frappée. Il a essayé de me sauver, me sauver ! Vous-même quand vous regardez la vidéo, il a essayé de m’attraper ; il a essayé de prendre mes deux mains mais vous êtes en train de faire autre chose. Je vous en supplie, ministre qui me regarde, président hoo, je ne sais pas qui : pardonnez libérez mon mari. Il est innocent ; il a essayé de me sauver! Je vous en supplie, aidez-moi ! Les voisins, les quoi quoi qui parlent, vous avez vu quoi ? Rien ! vous n’avez rien vu et vous êtes là, en train d’essayer d’augmenter l’affaire. C’est quoi ? C’est moi-même qui suit la concernée et je dis qu’il n’a rien fait vous venez faire quoi ? Je suis dépassée. Je demande pardon. Aidez-moi à demander pardon pour qu’on le libère. Je vous en supplie. Pardon »
Cette sortie de S.K tentant de dédouaner son concubin a choqué plus d’une personne. Il est vrai que c’est la victime qui doit porter plainte mais elle le fait rarement. Selon les textes juridiques, il est dit qu’une plainte n’est recevable que lorsque la victime porte plainte. L’étude « Crise et violences basées sur le genre en Côte d’Ivoire : résultats des études et principaux défis » révèle que les formes les plus répandues sont les violences physiques (84 %), les violences verbales (81 %), les violences psychologiques (34 %) et les violences sexuelles (21 %). Les violences économiques et les actes malveillants sont cités par moins de 10 % des personnes interrogées. De toutes les formes de violences, c’est au niveau des violences sexuelles que l’on observe une variation importante entre les sexes. Environ une femme sur 4 (25 %) a été victime de violence sexuelle au cours de sa vie contre 1 homme sur 10 (14 %).
Dans le cadre des violences conjugales, il est difficile d’en mesurer l’ampleur vu que les femmes ne s’en plaignent publiquement que quelques fois. Pour plusieurs raisons, surtout affectées par le poids des représentations sociales, les femmes victimes préfèrent parfois garder le silence et protéger son foyer. Il est parfois même soutenu dans les discussions que « ce n’est pas tout on dit », « la femme doit pouvoir supporter beaucoup de choses ». Et tout cela, au nom du foyer qu’il faut sauver contre vents et marées car c’est une honte pour la famille de la femme lorsque le mariage se dissout. De ce fait, la violence sexuelle dans le couple n’est pas condamnable et une femme ne doit se plaindre pour une violence sexuelle dans le couple. Elle ne doit se refuser à son partenaire que lorsqu’elle est malade.
Le non recours aux services judiciaires est en effet influencé par plusieurs facteurs. Ces facteurs sont entre autres la précarité de la femme et l’analphabétisme doublés par la pression sociale, la méconnaissance des textes et procédures de protection sociale.
Notons cependant que la violence basée sur le genre n’est pas toujours unidirectionnelle. Elle peut en effet changer de camp.
La surprise déroute des internautes
Les réactions des internautes vont dans tous les sens : « incroyable !!! », « vous voyez les femmes, impossible de les défendre », « même en présence de témoins oculaires, elle nie les faits », « elle se comporte comme nos mamans d’avant », « c’est parce qu’elle veut protéger son mari ».
Vielles comme le monde, les violences conjugales sont masquées par le silence des victimes, voire l’indifférence de l’entourage. Comme le dit l’adage, ‘‘il ne faut pas mettre le doigt entre l’arbre et l’écorce’’. En un mot, elles sont occultées par le poids des traditions et des préjugés. Selon le rapport de la Banque mondiale sur « Les femmes, l’entreprise et le droit », 1 femme sur 3 a subi des violences physiques ou sexuelles de la part d’un partenaire.
Aussi, faut-il le rappeler, le problème de S.K. n’est que la partie visible d’un iceberg qui couve dans de nombreux foyers africains. La problématique des violences basées sur le genre (VBG) trouve difficilement une explication rationnelle dans un contexte où la victime acceptera un verdict juridique qui décréterait par exemple la condamnation d’un mari violent. Pour plusieurs facteurs ou motifs, de telles femmes préfèrent protéger leur foyer, plutôt que d’obtenir justice.
L’entrée en scène des avocats
Dans une déclaration publiée le dimanche 19 avril 2020, le collectif des conseils de T.D, dénonce des « commentaires mensongers et diffamants tenus par les auteurs de ladite vidéo » et « un reportage tendancieux diffusé » par une chaîne de télévision nationale. Aussi, ce collectif accuse-t-il la Direction Générale de la Police Nationale de publier « le 18 Avril 2020 sur sa page Facebook, un communiqué affirmant de façon péremptoire que T.D dont l’identité complète a été indiquée, photographie à l’appui, a commis des violences sur sa concubine dans la nuit du samedi ». Selon les avocats, ces actes violent le principe de la présomption d’innocence consacré par l’alinéa 4 de l’article 7 de la loi n°2016-886 du 08 Novembre 2016 portant Constitution de la République de Côte d’Ivoire en raison de la stigmatisation sociale qu’ils sont de nature à entrainer et du préjudice qui pourrait en résulter pour T.D.
Réaction des ONG
En plus des réactions des internautes et du collectif des avocats, le CNDH a pour sa part, adopté une démarche mitigée qui, si l’on s’en tient au communiqué de la présidente Namizata sangaré, a consisté à s’enquérir des faits auprès des différentes personnes qui sont au parfum du problème.
Selon l’Association des femmes juristes de Côte d’Ivoire (AFJCI), la réforme de la loi sur le mariage en Côte d’Ivoire présente certes quelques avantages extra-patrimoniaux et patrimoniaux mais cette loi a également des insuffisances. Toutefois, les questions liées au concubinage et aux unions libres, aux droits des concubins, n’ont pas été prises en compte dans la nouvelle loi et constituent toujours des difficultés pour les droits des femmes en Côte d’Ivoire. Dans notre contexte sociologique, la femme demeure exposée vu qu’elle ne décide pas du mariage et peut se retrouver dans bien des cas abandonnée voir répudiée après des années de vie de concubinage.
Clémentine Silué