Pourquoi est-il si difficile pour les victimes de violences conjugales en Afrique de raconter leur calvaire à leur proche, leur parent ? Même quand la situation s’envenime de plus en plus, la femme battue se tait, subit…supporte son calvaire dans un coin de la maison pour sauver, dit-elle, son foyer. Protéger l’image de son couple… Une vraie histoire d’Africaines. Jusqu’à où ira-t-on dans ce fléau qui est en train de décimer la gent féminine, le sexe faible muré dans ses traditions, ses coutumes et cultures parfois inutiles qu’insensées ? Peut-être jusqu’à…la mort !

Personne n’oubliera de sitôt la mort de la chantre nigériane qui aurait subi ‘’des violences conjugales répétées’’ de la part de son époux jusqu’à sa mort le 8 avril dernier. Les circonstances du décès de Osinachi Nwachukwu continuent de susciter beaucoup de réactions à travers le monde et particulièrement au Nigéria ou de nombreuses associations de lutte contre les violences domestiques exigent que justice soit faite. Au-delà de ces réactions, la mort de Osinachi Nwachukwu fait resurgir le débat sur le mariage, la violence domestique et le divorce.

Il se raconte qu’elle aurait ‘’protégé’’ son foyer jusqu’au bout en ne disant rien et/ou en interdisant à ses proches d’en parler à ses parents, à son église… Conséquence de la course ? La mort !

Ce cas n’est pas isolé en Afrique. De nombreux couples vivent pareilles situations depuis des lustres. Madame est battue devant enfants, au vu et au su des voisins, des amis qui ont fini par s’en habituer. Même parfois, les parents en sont au courant mais, personne n’en parle… Vieille comme le monde, cette atteinte à l’intégrité physique et morale d’une personne a été trop longtemps occultée par le poids des traditions et des préjugés mais aussi et surtout masquées par le silence des victimes et l’indifférence des autres. Quant aux victimes elles-mêmes, elles ont peur de dénoncer cette situation à cause des représailles, du regard de la société…

La violence conjugale est un processus au cours duquel un partenaire exerce à l’encontre de l’autre, dans le cadre d’une relation privée et privilégiée, des comportements agressifs, violents et destructeurs.

En Côte d’Ivoire, ces violences se perçoivent dans les foyers sous la forme de bastonnades causant parfois la mort du conjoint : dans les trois quarts des homicides conjugaux, les victimes sont des femmes.

Les Country Reports on Human Rights Practices for 2014, publiés par le Département d’État des États-Unis, signalent que la violence conjugale est « un problème grave et généralisé » en Côte d’Ivoire.

Quoique cette violence demeure la plus répandue, il n’existe à l’heure actuelle, aucune statistique officielle permettant de dénombrer avec exactitude, un chiffre de femmes victimes de violences conjugales sur l’étendue du territoire national. Toutefois, une enquête de l’Association ivoirienne pour la défense de la femme (A.I.D.F) publiée en 2017 et effectuée dans les dix communes d’Abidjan, révèle que sur un échantillon validé de 3000 femmes sur 5000, 70%des femmes sont victimes de violences conjugales. Un vrai fléau.

Violence et stigmatisation

Pour Sanoussa Issa, qui raconte l’histoire de sa mère morte après plusieurs années de violences de la part de son père, la violence domestique est un véritable fléau qu’il faut combattre de toutes ses forces par la dénonciation. « Pour un oui ou pour un non, mon père tapait sur ma mère. Il nous était interdit de s’interposer entre eux sinon tu es accusé automatiquement de soutenir ta mère. Tu pouvais être même chassé de la maison à cause de cela », se souvient-il encore. Coups et blessures, injures, bastonnades… étaient le lot d’humiliations que subissait sa mère. Personne ne devait en parler ni même la femme victime de ces violences. Dans le silence, malgré les blessures morales et physiques, Aliman devait accepter sa situation. Pleurer si elle le voulait mais…ne rien dire ! Elle a fini par mourir un jour. Sûrement de ces violences…

« Quand je raconte ce que je subis dans mon foyer à mes parents, ils me disent de tenir. Que, je ne suis pas la seule femme dont le mari bat. Un jour, me disent-ils, ça va aller, il va arrêter de te frapper… », nous informe désemparée Yobouet N’guessan, une jeune dame d’une trentaine d’années. Mère de trois enfants, elle est victime de violence domestique. Son époux, serait un jaloux qui la soupçonnerait de se laisser draguer par les hommes du village. « Nos voisins sont fatigués de nous séparer. Maintenant, quand mon mari me frappe, ils font comme s’ils n’entendent pas », avoue Mme Yobouet. Une indifférence qui a failli lui coûter un œil.

En effet, dans le monde, une femme sur trois est victime de violence physique ou sexuelle au cours de sa vie. 137 femmes sont tuées chaque jour par un membre de leur famille. Et, en pleine pandémie de covid-19, des femmes étant enfermées avec leurs bourreaux, ces violences ont été en hausse.

Selon le rapport statistique sur les Violences basées sur le genre (VBG) en 2020, ce sont 5405 cas rapportés et pris en charge en Côte d’Ivoire dont 822 cas de viols. Les chiffres provisoires de 2021 charrient les mêmes drames.

Ce qu’a fait le gouvernement

En Côte d’Ivoire, la loi n°98-757 du 23 décembre 1998, réprime les mutilations génitales féminines.

Le certificat médical ayant longtemps constitué un frein pour les femmes qui sont victimes de violences d’ester en justice, le gouvernement a pris des mesures pour lever la contrainte.

La fourniture d’un certificat médical n’est plus une condition pour dénoncer les cas de violences sur le genre. Si la victime ne produit pas un certificat médical, l’officier de police judiciaire est en droit de le lui demander. Mais il ne sera pas à la charge de la victime. Le procureur peut demander l’avis de tout expert de faire des analyses, mais ce n’est pas à la charge de la victime. Cela entre dans les frais judiciaires qui sont supportés par l’administration judiciaire.
Concernant les violences faites aux mineures, le gouvernement appelle sans cesse les populations à dénoncer les auteurs afin qu’ils soient appréhendés, jugés et mis en prison. Les peines vont de 5 à 20 ans. Et dans certains cas, les auteurs encourent une peine d’emprisonnement à vie. Un numéro gratuit, le 116, est ouvert pour dénoncer les cas de violences.
En effet, le gouvernement a mis en place des mécanismes de protection des femmes et des enfants, notamment l’installation de 79 plateformes multisectorielles de lutte contre les Violences basées sur le genre (VBG) dans les complexes socioéducatifs, la création de 1 138 espaces sûrs pour les jeunes filles, la mise à disposition d’un numéro vert, le 1308, la création de 32 bureaux d’accueil genre dans les commissariats et postes de police.

Les pesanteurs socioculturelles, le blocage ?

On ne le dira pas assez ! Pourquoi les victimes demeurent silencieuses devant tant de violences ? Anges Bénié, une psychologue nous donne quelques pistes. « Les pesanteurs culturelles font qu’en Afrique les victimes n’arrivent pas à en parler pour éviter les histoires de stigmatisation, les représailles. », soutient-elle.

Pour Madame Bénié, il y a des actions qui permettent de reconditionner les victimes afin de briser leur silence et cette attitude favorable à une rétention préjudiciable à la solution de leur problème.

Mais, il y a aussi la honte de perdre son foyer qui est une explication partagée dans la société. Georges Bécoin partage cet avis. Pour cet agent de la marine nationale, la honte est aussi une des raisons du silence des victimes de violences. Les femmes préfèrent garder le silence. Sauf que selon lui, le silence a ses limites. « Il faut trouver la force et le courage pour en parler pour se libérer soi-même d’abord et ensuite être compris par son entourage. C’est la parole qui libère », recommande-t-il.

Recours à la loi…pas encore un réflexe

Pour Me Bah Leroux, s’il s’agit de violences physiques, il faut se mettre d’abord à l’abri en essayant d’échapper autant que possible à son bourreau, alerter le voisinage ou trouver refuge chez une personne de confiance quand c’est possible ensuite, il faut déposer plainte. S’armer de courage pour que la personne soit sanctionnée.

Déposer plainte, le mot est lâché ! Mais combien de femmes ont ce courage de sortir du silence et d’aller porter plainte ?

Il faut continuer les sensibilisations, accompagner les femmes à dénoncer leur sort… seuls gages de sauver des vies.

Djolou Chloé

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