Selon l’Expert en migration, et Consultant Freiedrich Ebert, Adjon Ghislain Danho, « de 2014 à l’an 2021, on dénombre environ 20 000 morts, et ce sont 5000 africains qui ont péri dans ces aventures depuis l’année 1990».

Si les campagnes de sensibilisation centrées sur le phénomène de la migration irrégulière se multiplient, et mobilisent les autorités ivoiriennes, de nombreuses familles de migrants disparus demeurent entre la peur, l’angoisse, l’attente, l’interrogation et l’espoir.

Floriane D., la trentaine révolue a été victime d’un naufrage de l’embarcation de fortune qui la transportait de la Libye à destination de l’Europe. Sa famille avec qui, elle n’avait plus de contact depuis des mois apprendra la triste nouvelle de son décès via les réseaux sociaux, plus particulièrement sur Facebook. Le plus dur commence tant pour son ex fiancé que pour sa famille. «Son père est tombé dans la dépression après son départ, jusqu’à ce qu’il découvre la triste nouvelle sur internet comme tout le monde. La suite a été vraiment difficile. Il parlait tout seul dans les rues… Il n’a pu joindre les deux bouts et est rentré définitivement au village. J’ai appris son décès l’année d’après, je peux affirmer que cela provient de ce chagrin. Lorsque j’y pense, j’ai terriblement mal», raconte Rodrigue Allou, l’ex-fiancé de la couturière reconnue pour son travail minutieux.

Nous sommes en mai 2014 lorsque la jeune couturière installée dans la commune d’Adjamé, et seul pilier de sa famille prépare secrètement ce voyage qui l’arrachera à l’affectation des siens. C’est une fois en Libye qu’elle contacte son fiancé pour lui demander de l’aide.« Elle ne mangeait pas convenablement et n’avait plus de sous. Elle m’a contacté via les réseaux sociaux et demandait de lui faire venir de l’argent. Je l’ai fait, tout en essayant de la raisonner. Je lui ai pourtant parlé des risques de la migration irrégulière et même de son père dont elle était l’unique enfant.  Elle répétait sans cesse qu’elle allait relever le défi et le rendre heureux», confie-t-il.

S’en suit alors le voyage périlleux qui lui coûtera la vie les mois d’après. « Je ne peux expliquer ce que je ressens encore.  Je n’ai pas seulement perdu ma fiancée, mais une excellente femme d’affaires qui savait gérer la clientèle dans mon atelier de couture. Il m’est toujours impossible d’avoir une personne dévouée comme elle. J’y pense tout le temps. Je ne sais même pas ce qui l’a pris», soupire Rodrigue qui écrase ensuite une larme.

« L’inquiétude et la peur demeurent au quotidien et nous gardons l’espoir »

Comme elle (Floriane), en 2017, Lamine Cissé abandonne tout pour se retrouver « Derrière l’eau », (jargon populaire ivoirien qui désigne l’Europe), alors qu’il était encore étudiant. Ce dernier étudiait la Communication dans une grande école de la place située dans la commune de Yopougon .«Un matin, il a disparu de la maison. Dans l’inquiétude et le stress permanent, nous avons lancé des recherches et contacté ses amis les jours qui ont suivi.  L’un d’entre eux est passé aux aveux. Mon frère l’avait informé de ce qu’il s’apprêtait à quitter le pays. Nous avons ensuite lancé une recherche sur les réseaux sociaux, mais toujours rien. Il n’avait que 22 ans. L’inquiétude et la peur demeurent au quotidien, mais nous gardons l’espoir qu’il contact quelqu’un un jour», espère l’aînée du jeune homme Fanta C.

 » Ils n’ont pas les moyens pour le déploiement de la recherche »

Autre lieu. Fait semblable. Il y a seulement quelques semaines, trois adolescents ont été aperçus non loin de la frontière du Mali. Il s’agit de Karim, élève en classe de troisième et sa bande d’amis dont l’âge varie entre 15 et 17 ans. Il ont aussi décidé de s’installer en Europe principalement en France coûte que coûte. «C’est un conducteur de gros camions qui a annoncé la nouvelle à la famille. Son père étant très malade ne peut faire grand-chose. Il vit cette épreuve dans le silence… Mais sa grande sœur ne tient pas du tout. Elle a longuement pleuré. Elle ne sait comment commencer la démarche de recherche. Les parents donnent l’impression d’être défaitistes. Ils espèrent qu’il reviendra, car ils n’ont pas les moyens pour le déploiement de la recherche». Souligne Fatoumata Diaby, la tante de Karim.

Karim et ses deux amis ne sont pas à leur première tentative. Un mois et demi avant ce départ, au nombre de 5, ils ont fugué et tenté de s’en aller. Ce départ était financé par l’un d’entre eux, le fils d’une riche commerçante.  Ce dernier avait pris de l’argent à l’insu de sa mère. «Plus d’un million FCFA en tout cas. C’est ce qui a permis de les retrouver puisque la dame est allée porter plainte, et la police dans ses recherches a pu mettre la main sur eux, à Odienné alors qu’ils résident à Danané. La commerçante a retiré la plainte car son fils était impliqué. Ce qui me désole, mon neveux était parmi les 5 premiers de la classe, je l’ai pressenti depuis son bas âge. C’est même moi qui ai encouragé ses parents à le mettre à l’école et son intelligence a été prouvée. C’est grave et douloureux. Non seulement, il est mineur et son premier vrai examen c’est le BEPC qu’il n’a pas passé… Comment l’idée à germé dans son esprit ? Où a-t-il eu l’argent cette fois?». S’interroge Fatoumata qui est visiblement peinée.

« Nous avons besoin de retrouver les nôtres »

Elle ajoute : «L’ État fait déjà un excellent travail de recherche, mais nous avons besoin de retrouver les nôtres et avoir au moins des nouvelles. Certes, il faut le déclarer à la police, mais à l’heure où je vous parle ces enfants ne sont plus sur le territoire ivoirien. Comment les retrouver dans ce cas? Qu’es ce qui est fait pour les identifier et les ramener? Je pense qu’il va falloir aussi se pencher sur cette question et donner plus d’informations aux parents que nous sommes, aussi à la population, car nous sommes dans le flou».

« Une mission se déplacera pour l’identification… »

Le Directeur général des ivoiriens de l’extérieur, l’Ambassadeur Issiaka Konaté admet qu’il est extrêmement «difficile de déterminer la nationalité d’origine des migrants». Toutefois, ce phénomène qui inquiète plus d’un, ne laisse pas l’État ivoirien indifférent. Pour ce faire, plusieurs dispositions sont mises en place. «Nous avons au niveau du comité de pilotage une réunion en vue avec l’Union Européenne sur les accords qui se mettent en place pour l’identification de présumés ressortissants ivoiriens.

Il y a aussi le plan de retour qui a été fait grâce à l’appui des partenaires tels que l’Organisation internationale pour les migrations (OIM). J’ai le plaisir de vous informer de la création d’un numéro d’urgence pour les ivoiriens en détresse à l’extérieur. L’État a installé 15 comités régionaux de luttent contre la migration irrégulière avec trois objectifs fondamentaux. Travail de sensibilisation de proximité, démantèlement des réseaux et suivi des actions de réinsertion dans la zone de leur circonscription. Il reste encore 16 comités à installer. Il y a le déploiement des attachés de sécurité en France, en Allemagne, en Italie et en Belgique. L’accord pour des missions d’identification, c’est-à-dire que lorsque la Côte d’Ivoire a des doutes sur les chiffres qui sont évoqués, une mission se déplacera pour l’identification afin d’être sûr qu’on ne nous colle pas la nationalité de toutes les personnes qui seraient parties d’un pays d’Afrique subsaharienne. Le renforcement du contrôle des frontières.. Révèle-t-il, lors d’un déjeuner organiser par la représentation ivoirienne du bureau de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO), le mercredi 09 juin 2021, à Abidjan, dans le cadre du projet  » Autonomisation des jeunes en Afrique à travers les médias et la communication ».

« L’une des difficultés relève du fait que les pièces que nous recevons sont illisibles »

Les organisations internationales et  la société civile ne restent pas en marge de ce processus de recherche et d’identification des migrants disparus pour le rétablissement des liens familiaux, bien qu’elles soient confrontées aux mêmes difficultés que l’État. Notamment celles de l’identification.

Il y six ans, singulièrement le 18 avril 2015, un bateau a coulé dans la méditerranée avec environ 1100 migrants à bord. L’épave étant sortie des eaux en juin 2016, les équipes du Comité international de la croix rouge (CICR) recherchent encore les migrants disparus afin de donner des réponses aux familles inquiètent.

«Nous avons reçu de nos collègues à Dakar, des pièces récupérées dans le navire. A partir de ces pièces, nous avons effectué des recherches pour retrouver les parents de ces personnes. Avec leurs accords nous collectons des demandes de recherches. L’une des difficultés relève du fait que les pièces que nous recevons sont illisibles ce qui rend la recherche difficile. Nous arrivons à sortir les parents de leurs angoisses, car le fait pour eux de savoir qu’une institution comme la nôtre essaie d’élucider le sort de leur proche apporte une satisfaction. C’est cela que nous partageons avec eux». Indique, le Coordonnateur pour le rétablissement des liens familiaux du CICR Kouakou Kouamé Bruno de la délégation régionale d’Abidjan, dans une vidéo publiée sur la plateforme du CICR Abidjan et région, le 31 mai 2021.

« 102 migrants disparus depuis l’année de 2018 jusqu’en 2021 »

L’ONG LISAD qui travaille en collaboration avec le CICR et d’autres organisations s’en tient beaucoup plus à la prise en charge Psychosociale, par faute de moyens. «Pour la prise en charge des familles de migrants disparus, c’est une prise en charge Psychosociale que nous faisons. Les familles sont vraiment soulagées, une fois que la personne est identifiée. Dans le cas contraire, elles restent dans l’inquiétude et espèrent un jour retrouver les parents disparus. Généralement, les parents nous contactent via les réseaux sociaux ( Facebook, WhatsApp..) ou par recommandations. Nous travaillons en réseau, pour rechercher les migrants disparus. Il nous faut avant tout avoir les photos et la biographie de la victime», détaille le Président de l’ONG LISAD Hervé N’dri, joint par téléphone en mars 2021.

Poursuivant il indique: «Nous comptons à présent 102 migrants disparus depuis l’année de 2018 jusqu’en 2021. Si on arrive à identifier les corps des migrants disparus, la recherche ne prend plus assez de temps. Mais lorsqu’on arrive pas à les identifier ou les retrouver cela prend beaucoup de temps. Jusqu’à ce jour, nous avons déjà traité plus de 30 cas, et présentement nous sommes sur 2 cas. Pour y remédier, il nous faut des appuis techniques , financiers et matériels.  On pourra soulager grand nombres des familles». Souhaite-t-il.

Rencontrée le 18 mai 2021, la Directrice exécutive de l’ONG ‘‘Côte d’Ivoire Prospérité’’ et du centre de réception, Mme Chantale Guidy ne dira pas autre chose. «Nous avons en projet d’effectuer la recherche des migrants disparus parce que ce n’est pas du tout facile pour les parents. Seulement les moyens font défaut. Nous nous contentons d’accueillir les migrants dans notre centre d’accueil grâce à nos partenaires. Lorsqu’ils arrivent les parents viennent parfois se renseigner pour voir s’il est possible de retrouver les leurs. Nous faisons aussi de la négociation entre les migrants de retour et leurs familles lorsqu’il y a eu des différents entre eux», explique-t-elle.

L’entretien pour la réconciliation peut durer un mois au maximum avant de rétablir les liens familiaux. «Nous avons pu réinsérer une jeune dame récemment, mais deux autres n’ont toujours pas pu retrouver leurs familles. Parfois les migrants aussi en souffrent, nous avons en ce moment un cas sous la main. C’est une jeune femme qui est partie, il y a de cela 5 ans, et est revenue depuis 3 mois. Elle a laissé 4 enfants à son père qui n’a aucune activité. Depuis son départ, ils n’ont plus eu de contact. Comment s’en sort-il? Quand elle est revenue on a pensé qu’elle allait en mourir. Elle s’enfermait parfois toute une journée sans dire un mot. C’était inquiétant, mais avec l’aide psychologique ça va mieux. L’OIM l’aide en ce moment pour un projet de vie et l’acquisition d’une maison. Ensuite on fera la négociation avec sa famille», précise-t-elle.  

Dans le désarroi total, les familles des migrants disparus fondent leurs espoirs sur le gouvernement en vue de stopper leur plus grande inquiétude qui est notamment celle d’avoir au moins les nouvelles des leurs.

Marina Kouakou

Ajoutez votre commentaire