S’il y a une denrée alimentaire qui est beaucoup consommée en Côte d’Ivoire, c’est bien entendu le riz. Malheureusement, la production nationale est si faible, qu’elle n’arrive pas à couvrir les besoins des consommateurs.
Ce sont 1.300.000 tonnes de riz que la Côte d’Ivoire produit annuellement pour des besoins évalués à 2 millions de tonnes. Il y a donc un gap de 700.000 tonnes que la politique nationale du riz doit résorber. Pour atteindre cet objectif et faire de la Côte d’Ivoire un pays autosuffisant en riz, les autorités ont créé l’Agence de développement de la riziculture (Aderiz). La structure pilotée par son directeur général Dembélé Yacouba a mis en place une politique pour booster la production du riz. Notamment l’aménagement des bas-fonds, la mécanisation du secteur, en passant par la création de 30 usines de riz, à travers le territoire national. Il s’agit d’usines ultra-modernes, de dernière génération qui produiront du riz aux mêmes normes que le riz importé. Des bas-fonds ? De nombreuses régions de la Côte d’Ivoire en regorge assez pour produire le riz.
Une denrée fortement prisée…
« Le riz fait partie des denrées les plus prisées à Gagnoa et la ville compte parmi les zones productrices de riz. Le potentiel rizicole à Gagnoa est énorme. Gagnoa a pratiquement près du millier d’hectares de bas-fonds. Dont 600 hectares sont déjà aménagés. Nous sommes dans une zone où la pluviométrie est très bonne. C’est-à-dire qu’on peut y cultiver le riz », a révélé Kamaté Issiaka, directeur administratif et financier (Daaf) de l’Aderiz. Des producteurs abondent dans le même sens. « A Gagnoa, le riz est cultivé en permanence. Les conditions hydrauliques sont bonnes, ce qui fait que les producteurs ont la possibilité de faire la récolte du riz deux fois dans l’année », a soutenu Sounkara Ouragaye, producteur de riz au quartier Zapata 2 à Gagnoa. Par ailleurs secrétaire général (SG) de la société coopérative des riziculteurs du Gôh. Regroupant 800 producteurs. Cette coopérative dispose de 320 hectares pour 340 tonnes de riz produit par cycle. Sur les deux cycles annuels, ces riziculteurs s’en tirent avec 680 tonnes. « Cette production n’arrive pas à couvrir la demande sur le marché local. Ce qui explique la présence du riz importé sur le marché, dans les magasins et boutiques », se désole le Sg. L’on a donc pensé à mécaniser la production du riz, afin d’accroitre la production. Un vœu cher aux acteurs de la filière. « Nous travaillons avec la petite daba, la faucille », énumère-t-il avant d’ajouter que « Les quelques machines qu’on a ne sont pas résistantes. Si vous utilisez un motoculteur ou une batteuse, si elle a trop duré, c’est 1 an, voire 1 an et demi. Parce qu’il y a une surexploitation de l’engin. La machine qui est prévue, en principe, pour travailler sur 10 hectares, va jusqu’à exploiter 200 à 400 hectares. Ce qui fait que la machine ne peut pas tenir le coup », dénonce Sounkara Ouragaye.
5 milliards de matériels agricoles
Conscient de cette situation, l’Aderiz a, depuis 2019, investi plus de 5 milliards dans les équipements agricoles, notamment les tracteurs, moissonneuses et batteuses de toutes tailles. La gestion de ces engins n’est plus confiée aux paysans. « Par le passé, l’Etat ces machines qu’on donnait aux producteurs. Or, le producteur n’a pas pour vocation de réparer un engin quand il y a une panne. Il est riziculteur, il ne sait que faire le riz. Mais utiliser un tracteur pour labourer, une moissonneuse-batteuse pour faire la récolte, ce n’est pas son métier », indique le fonctionnaire de l’Aderiz. « La difficulté que l’Etat a eue dans le temps, c’est que pour un problème de filtre, des tracteurs sont restés sur cale. Pour un petit souci de pneu, les moissonneuses sont garées. La plupart du temps, ces engins n’ont pas servi », se plaint Kamaté.
« La nouvelle politique de mécanisation initiée par l’Aderiz et qui répond en même temps à un souci de création d’emploi, est que désormais, nous ne donnons plus les équipements au paysan. Nous allons favoriser la création des Pme agricoles. Moyennant de l’argent, ces entreprises proposeront leurs services aux paysans. Cette mécanisation permet de réduire la pénibilité du travail, créer de l’emploi et permet au riziculteur de faire son labour dans de meilleures conditions », se réjoui le Daaf.
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Création d’usines
À ces dispositions de l’Aderiz, il faut ajouter la création des usines. L’aménagement des bas-fonds et la mise à disposition des machines, selon lui, ont pour objectif la production suffisante du riz.
« S’il n’y a pas d’unité de transformation, ça devient difficile. Le paysan va produire juste pour sa propre consommation », a indiqué Kamaté, l’intérêt des usines de riz. À en croire le financier de l’Aderiz ces usines de transformation auront, chacune, une capacité de 5 000 tonnes/ heure de riz blanchi. « Lorsque ces 30 usines seront achevées, elles vont tirer la production. Parce que le paysan est rassuré que sa production trouvera un débouché, le commerçant est rassuré que le riz ne manquera pas dans sa boutique. Si nous réussissons à amener la production au niveau de l’offre, les importations vont se canaliser et le riz sera disponible pour tout le monde. Donc l’autosuffisance est une réalité », fait savoir le responsable de l’agence. Mais à la réalité du terrain, l’autosuffisance dont il rêve ne peut pas se réaliser aussi aisément. À commencer par un préjugé qui dit qu’un homme qui travaille dans les bas-fonds finit par devenir impuissant sexuellement. Vrai ou faux ?
Les difficultés
« Le potentiel ivoirien est énorme, mais il est sous-exploité pour des questions culturelles. Dans certaines régions, « on aime bien le riz, mais on n’aime pas rentrer dans les bas-fonds. Surtout les hommes », dévoile un fonctionnaire. Selon lui, « très souvent, l’activité rizicole est dévolue aux femmes. Le travail de battage, qui est difficile, est aussi laissé aux mains des femmes ».
Un autre facteur qui freine la production du riz reste incontestablement la rareté des surfaces cultivables. En effet, alerte Sounkara Ouragaye, les cultures pérennes ont fortement agressé les surfaces rizicoles. L’urbanisme a englouti beaucoup de bas-fonds. La majeure partie des producteurs exercent sur de petites surfaces. Il est rare de voir un producteur détenir à lui seul 3 hectares. Ce qui est une source d’inquiétude pour lui. « Les bas-fonds que nous exploitons sont sous location. Sur un hectare, nous donnons 2 sacs de riz de 100 kg au propriétaire du bas-fond. Et cela à chaque récolte », renseigne Sounkara. « C’est là le problème. Tout le monde veut avoir un toit. Dans ce cas, il n’y aura plus de parcelle pour planter le riz et nous serons obligés d’importer cette céréale. Pourtant, ce n’est pas ce que vise le gouvernement », fait remarquer Diaby Ben Abdoul, directeur général d’une entreprise de décorticage et de transformation du riz local. Après avoir applaudi des deux mains lorsque l’Aderiz a annoncé la création des usines, l’industriel reste sur sa faim. Le projet tarde à se réaliser. « Le projet d’usine est un fiasco », lance-t-il la pierre dans le jardin de l’Aderiz. Il pense qu’en amont, l’agence devrait financer les producteurs et mécaniser le secteur. De sorte que la matière première sur laquelle les usines auront à travailler, à savoir les paddy de riz, soit disponible et abondante. Faute de quoi, martèle-t-il, ces usines ne pourront pas fonctionner en plein-temps. « La Chine n’a pas assez de terre cultivable. Mais le peu d’espace dont elle dispose produit beaucoup, parce qu’elle a mécanisé le secteur. L’avantage de la mécanisation, c’est qu’on a le riz en quantité et à tout moment », propose monsieur Diaby l’une des solutions pour arriver à l’autosuffisance alimentaire en riz.
La politique agricole
« Quand la production est forte, les petites unités de transformation qu’on trouve sur place sont débordées. Si l’usine dont parle l’Aderiz était ouverte, on n’allait pas avoir de problème de décorticage. Pour nous, c’était une occasion de nous tirer de l’ornière, mais voilà que les usines trainent à d’ouvrier », grogne Sounkara. Pour Issiaka Kamaté, « L’usine de Gagnoa qui est à 90% de son état d’avancement va rentrer en exploitation cette année ». Il reconnait que l’un des facteurs limitant dans la production du riz est le changement climatique. « Depuis un certain temps, la question de changement climatique fait que le paysan ne sait plus la date exacte à laquelle il doit faire son semi, où il doit récolter. Donc ce facteur impacte négativement la production.
Et les coûts des charges…
Le coût du riz local a augmenté sur le marché parce que les charges ont grimpé. À preuve, l’herbicide est passé de 2 milles à 4 milles, l’engrais de 14 milles à 35 milles. « Même à 14 milles, le planteur ne pouvait pas s’offrir l’engrais, maintenant que c’est passé à 35 milles, il fait comment ? », s’interroge Diaby. À cette difficulté, il ajoute la main d’œuvre. « Le casier que les ouvriers labouraient à mille francs est devenu 2 milles, voire 3 000 francs. Sur un hectare de riz, le producteur obtenait entre 40 et 50 sacs de riz, mais aujourd’hui, il se retrouve avec 30 sacs tout au plus, parce qu’il n’a pas les moyens nécessaires pour entretenir sa parcelle », déplore l’usinier. Soukara, lui, note que le problème majeur, c’est le manque d’appui. « Les intrants sont chers. On est en dessous du rendement escompté. Un hectare a besoin de 3 sacs d’engrais MPK et 2 sacs urée », dénonce-t-il, agacé.
Alain Doua