Les stages en entreprises représentent pour les étudiants en fin de formation une découverte du monde professionnel. Mais dans bien de cas, ils sont le plus souvent confrontés à une réalité « déplaisante » qu’ils décrivent comme étant de l’exploitation. Notre constat.

En 2014, Séphora K, étudiante en fin de formation à l’époque, doit effectuer un stage-école pour deux objectifs. Valider son diplôme (BTS) qu’elle vient fraichement de passer avec succès à l’École Pratique de la Chambre de Commerce et d’Industrie (EPCCI) d’Abidjan, et aussi découvrir le monde professionnel (comprendre son fonctionnement, appréhender ses codes, apprendre à s’ingérer dans une équipe, développer son savoir…).


« Je n’ai absolument rien appris »


Elle obtient un stage dans une banque de renom de la place et en est fière. Seulement, elle ignore encore les réalités du terrain.
« Je n’ai absolument rien appris. Nous étions plusieurs stagiaires 4 ou 5 au sein de la banque et vivions les mêmes réalités. Nous ne servions qu’à acheter le petit déjeuner des employés, les nourritures de midi, sans oublier d’autres courses qui peuvent survenir à tout moment. J’en avait marre du coup j’ai préféré mettre un terme à mon stage après les 3 premiers mois. Les autres ont vécus bien pire après mon départ et s’en plaignaient. C’était une sorte d’exploitation. Pourtant j’y avait vraiment cru… », s’en souvient la jeune qui exerce en tant que comptable aujourd’hui dans une autre structure.


Elle ajoute:  » J’ai été ensuite dans différentes entreprises, les réalités étaient les mêmes. Je commençais à perdre certaines notions jusqu’à ce que je fasse la rencontre d’un chef d’entreprise qui n’avait pas assez d’employés. C’est là que j’ai recommencé à apprendre les notions et à connaitre le monde professionnel, à écrire mon rapport de stage. Le comptable est parti de là et j’ai été mise à son poste. L’exercice a duré deux années jusqu’à ce que je trouve un autre emploi », raconte celle qui réside à Adjamé 220 logements.


« On était tellement libre qu’on faisait leurs courses »


Séraphin Z, s’est lui aussi retrouver dans la même situation après avoir validé son BTS en Réseau informatique et télécoms. « Je servais de balayeur les matins, et de coursier. On ne m’avait pas exigé le balayage, mais je l’ai fait pour montrer que j’étais vraiment dévoué à apprendre. Les travailleurs de cette structure n’avaient pas le temps de nous former malgré tout. On était tellement libre qu’on faisait leurs courses. J’en ai gardé un mauvais souvenir. Quand je me plaignais mon maître de stage ne faisait que me rassurer par rapport au rapport de stage, il avait apparemment un élément sous la main (rapport de stage déjà prêt). Mais je voulais également apprendre et me frotter au monde professionnel pour de vrai. Surtout qu’avec la situation difficile de ce pays tout le monde cherche à être actif. Il faut donc être un répondant valable pour une bonne autonomie dans le futur. J’ai géré comme je pouvais jusqu’à ce que mon frère me confie à l’un de ses proches que j’ai rejoint au terme de mon premier stage. C’est lui qui a pris le soin de me former et m’a même aidé à mettre ma petite entreprise sur pied. Aujourd’hui je travaille à mon propre compte », témoigne-t-il.

Le droit du travail ivoirien distingue le stage-école du stage de qualification ou d’expérience professionnelle. Ainsi le stagiaire-école est celui qui rejoint l’entreprise en vue de valider une formation (ou un diplôme), comme Séphora et Séraphin. Mais bien de personnes en situation de stage de qualification ou d’expérience professionnelle (stage qui permet de parfaire ses compétences à tout âge) en ont aussi fait l’expérience. Thierry Z, en est la parfaite illustration.

 » Le stage quand il est bien fait, permet d’acquérir des connaissances nouvelles »


 » J’ai mis beaucoup de temps à apprendre pendant ma période de stage de qualification. Déjà qu’en stage-école je n’avais pas beaucoup appris, (j’apportais les dossiers, rangeais le bureau…), il m’a fallut plusieurs expériences pendant les trois années qui ont suivi pour arriver là où je suis aujourd’hui. Je suis passé dans différentes structures. Ce qui m’a aussi aidé, c’est parce-que j’avais des mentors qui me coachaient à distance. Je me référais à eux lorsque je devais accomplir une tâche. Ainsi j’ai pu atteindre mon objectif qui me permet aujourd’hui de tisser un lien entre mon entreprise et les services clients. Je conçois et offre des produits ou services qui sont quand même satisfaisants…

Le stage quand il est bien fait, permet d’acquérir des connaissances nouvelles différentes de l’école et nous donne des armes nécessaires qui nous servent. Que se soit sur le plan professionnel, ou dans la vie de tous les jours », soutient le Marketeur.


« Les employés n’ont pas beaucoup de temps »


Si la majorité des apprenants rencontrent ces difficultés pendant leur période de stage, c’est bien parce que « les employés n’ont pas de temps », soutient César E, actuellement maître de stage.

« Vous savez transmettre le savoir demande quand même du temps. Les entreprises demandent beaucoup et donnent peu. Nous sommes parfois débordés, on va donc à l’essentiel pour ne pas avoir du retard dans le rendement. On aide tout de même dans le rendu des rapports de stages. Les trois premiers mois ne peuvent pas suffire pour apprendre réellement, il faut encore plus de temps ainsi l’employé à le temps de faire ses tâches et initier l’apprenant petit à petit. J’en connais qui font payer les rapports de stage pour aller rapidement. Ils forment une équipe avec d’autres étudiants et montent plusieurs rapports de stage. Au besoin, ils vendent. A l’étudiant de soutenir et de se disposer à apprendre sur une longue période. Sinon la situation n’est ni facile pour les employés, aussi pour les étudiants qui ne demandent qu’à apprendre et je comprend… » ajoute le l’Infographe.

Dans le soucis de faciliter l’accès à l’emploi, l’État ivoirien à mis en place une politique nationale en faveur de l’emploi dans laquelle figure l’agence Emploi Jeunes (AEJ). Elle a pour mission d’accueillir et d’orienter les jeunes demandeurs d’emplois pour leurs insertions mais aussi de favoriser l’accès au crédit des jeunes porteurs de projets. Ainsi en 2016 selon les statistiques de l’agence emploi jeune, le Programmes d’Aide à l’Embauche (PAE) a enregistré « 6 143 dont 5010 pour le stage école, et ; 1133 pour le stage de qualification ou stage de premier emploi ».

Pour encourager les entreprises à recruter des stagiaires, l’État ivoirien a même prévu des réductions sur l’impôt annuel et entre 25 000 FCFA et 50 000 FCFA par stagiaires.
« Cette loi représente donc une mesure d’encadrement importante des stages, ce qui permettra chaque année, à des millions de jeunes de s’insérer et évoluer sainement dans le monde du travail », avait laissé entendre le Président de la République Alassane Ouattara.

« Ils se retrouvent à ne rien faire, parce qu’il n’y a pas de besoin »


Mais, selon l’expert international en management des organisations, Directeur générale du cabinet international Africa succes Consulting, Aka Patrick Melèdge le recrutement de stagiaires ou d’employés devrait se faire par rapport aux besoins des entreprises.  » Ces personnes se retrouvent dans les entreprises à ne rien faire tout simplement parce qu’elles n’y ont pas leur place. Le recrutement d’un agent ou d’un stagiaire répond à une besoin au sein de l’entreprise, mais vu la situation du chômage, vu la sollicitation des autorités, les entreprises pour des questions de solidarité nationale reçoivent les étudiants en leur sein. Le fait de les recevoir ne correspond pas à leur besoin. Un stagiaire, on le prend pour assister et aider dans certaines tâches. Mais si ce besoin ne se ressent pas et que pour des raisons sociales, on se doit d’en accueillir, c’est ce qui se passe. Ils se retrouvent à ne rien faire, parce qu’il n’y a pas de besoin.
Une entreprise ne va pas dégager un agent qui a été recruté à un poste bien défini et qui doit atteindre ses objectifs pour encadrer une autre personne. Ce qui va se passer, c’est que dans l’exercice de sa fonction un agent qui se voit affecter un stagiaire encadre de facto celui qui l’assiste. Il ne fait pas un travail supplémentaire. L’encadrement qui sera exercé par l’agent ne sera pas un travail supplément. Il donnera des instructions pour pouvoir bien exécuter ce que lui en tant que encadreur doit accomplir. Qui va encadrer qui? Pour cela il faut que l’employé ait du temps, mais il est recruté pour atteindre des objectifs à un poste donné. Il ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs.  » développe-t-il.


Pour lui, « En terme de solution, il faut attaquer le mal à la racine. C’est en cela que je dis que le recrutement doit répondre à un besoin de sorte que la personne recrutée et affectée à un poste puisse véritablement combler le besoin. Ainsi il n’y a pas de problèmes. Mais quand ce besoin n’est pas créé, il n’y a pas de travail, pas d’espace pour s’exprimer… Les stagiaires se tournent les pouces…
Le système éducatif donne l’impression d’être fait pour former des chômeurs. On forme des gens on les oriente vers des secteurs qui ne sont pas pourvoyeurs d’emplois. Les secteurs pourvoyeurs d’emplois sont ailleurs, l’économie agricole par exemple. Il faut former les gens à pourvoir créer les entreprises dans des secteurs. Il faut revoir le dispositif de formation, donner des outils et expertises depuis l’école pour pourvoir se valoriser. Il faut préparer les jeunes à investir tous ces secteurs… « , propose l’Expert.

Marina Kouakou

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