Touré François est président de l’Amical des professionnels de la salubrité de Cocody (APSCO) et directeur général de la société les Professionnels de l’environnement de la Côte d’Ivoire(Pro.envi.ci). Il nous éclaire sur l’activité de pré-collecte qui existe depuis 1989 et nous parle de leurs projets.
Quels sont les activités que vous menez en tant que syndicat
La pré-collecte est la récupération des ordures ménagères produites par les différentes familles jusqu’à un centre de groupage où est disposé un ou des coffres. Il y a un opérateur qui a des équipements beaucoup plus adéquats qui est censé récupérer les coffres pour les convoyer au point final qu’on appelle la décharge. Donc le pré-collecteur intervient au premier niveau de l’échelle. Depuis 1989 la jeunesse ivoirienne s’est intéressée à la pré-collecte. Ayant constaté que la société Ash International, société de l’Etat, commençait à ne plus répondre aux attentes de la population, les jeunes ont commencé à s’intéresser de cette activité. Ils ont commencé à devenir nombreux à faire la pré-collecte des ordures. Il fallait un minimum d’organisation. Les maires, en ce temps, étaient beaucoup impliqués dans la gestion des ordures de leurs communes. Ainsi au niveau de Cocody le maire s’est impliqué dans l’organisation des pré-collecteurs en coopératives.
Quel est votre ministère de tutelle ?
Depuis 1989 nous sommes rattachés au ministère de l’Environnement qui est devenu aujourd’hui ministère de la Salubrité, de l’environnement et de l’hydraulique.
Comment travaillez-vous avec les mairies ?
Nous rendons compte à la mairie. En ce qui concerne la commune de Cocody, il y a un comité local qui se tient au service technique de la mairie chaque mercredi. Les acteurs que sont les pré-collecteurs, les opérateurs comme ECOTI-SA, l’ANAGED qui est l’Agence Nationale de la Gestion des Déchets solides en Côte d’Ivoire et le BNETD. Tous ces acteurs se retrouvent les mercredis au service technique de la mairie pour faire le point hebdomadaire. A ces rencontres les populations sont représentées par le président des syndics. C’est lui qui peut nous dire que dans telle ou telle zone de Cocody les ordures n’ont pas été enlevées et on interpelle le pré-collecteur responsable de la zone.
Que faites-vous pour votre santé ?
Nous avons entrepris quelques démarches auprès du ministère de la Santé. Nous voulons organiser une journée de vaccination des pré-collecteurs de Cocody. Il faut reconnaître que les acteurs de la pré-collecte sont longtemps restés dans l’informel. Mais ils bravent toutes les situations de maladie et autres dangers.
Quelles sont vos difficultés ?
Depuis la nouvelle réforme qui est née en 2018 avec l’arrivée de la Société Ecologique Tuniso-Ivoirienne (ECOTI.SA) à Cocody et ECO-EBURNIE dans les autres communes il y a eu beaucoup de difficultés au niveau des pré-collecteurs. Le projet a été préparé depuis les années 2016-2017. On savait que l’Etat était en train de préparer un appel d’offre international. Notre vœu était que le cas des acteurs nationaux que nous sommes soit mis dans la balance des négociations. Nous avons pris toutes les dispositions pour nous constituer en entreprise. Dans la loi de la Côte d’Ivoire seule une entreprise peut signer un contrat. Toutes les associations des pré-collecteurs de Cocody se sont réunies pour créer une entreprise qui allait représenter toute la commune. Notre plus grande difficulté est liée vraiment à cette prise en compte. Le premier ministre, Amadou Gon Coulibaly, avait laissé des instructions fermes pour que la nouvelle réforme puisse nous prendre en compte et tout le monde était d’accord sur le principe. Mais jusqu’à ce jour nous ne pouvons pas dire de façon concrète que nous sommes pris en compte car nous continuons de vivre des encaissements que nous faisons. Le secteur de la salubrité n’est pas facile. Il y a le poids des ordures et les eaux usées que les ordures dégagent qui sont très toxiques au fer. Nos motos à trois roues ne sont pas le matériel indiqué pour le transport des ordures.
Comment recrutez-vous les jeunes ?
Ils sont plus ou moins des volontaires. C’est vrai que nous sommes dans les ordures mais c’est une activité à part entière. C’est un emploi comme tout autre. La différence est que le travail consiste à aller soulever une poubelle, la mettre dans son tricycle et puis la jeter quelque part. Sachez que de loin les gens voient des immondices mais pour nous qui sommes en contact avec les ordures ce n’est pas la saleté que nous voyons mais nous voyons de l’or.
A qui appartient le matériel que vous utilisez ?
Nous avons nos propres engins. Ils ne sont pas conventionnels et c’est pourquoi l’Etat doit faire quelque chose. Les gros camions répondent beaucoup plus à cette activité par rapport à nos matériels. Il y a aussi du petit matériel, des voiturettes que nous appelons les pick-up dans notre jargon. Il faut du matériel adapté pour la pré-collecte. Il y a du matériel conventionnel aux mains de Ecoti et le sous-traitant officiel d’Ecoti qui est Etablissement Coulibaly. Il est chargé de l’exécution du marché. Dans le projet initial il était prévu que du matériel plus adapté nous soit remis et notre position dans le contrat serait la plus basse marche en dessous de Etablissement Coulibaly.
Quel est le rôle de la mairie ?
Les pouvoirs de la mairie sont un peu limités par rapport au passé. Depuis la nouvelle réforme de 2018, les mairies ne sont plus impliquées dans la signature des contrats avec les opérateurs pour le ramassage des ordures. Mais les mairies prennent sur elles cette ancienne habitude de veiller sur l’activité dans leurs communes.
Quels sont les prix que vous proposez à vos clients ?
Aujourd’hui les prix vont jusqu’à 3000 Fcfa dans certains quartiers. Nous jouons sur la situation des sites à coffre pour fixer les prix. Pour un pré-collecteur qui doit parcourir plusieurs km avant d’atteindre un site à coffre bien évidemment il va demander plus d’argent à ses clients pour pouvoir supporter le prix du carburant. Mais celui qui est très proche d’un site à coffre va tourner entre 1500 et 2000 Fcfa. Il y a les prix liés aux ménages et il y a les prix des personnes morales, des boulangeries ou les coins de chawarma. En tout cas il y a des commerces qui produisent beaucoup d’ordures et pour eux les prix varient entre 5000 à 10000 Fcfa. Voire plus.
Quel est votre mode de fonctionnement dans un nouveau quartier ?
On devient pré-collecteur lorsqu’il y a le besoin quelque part. Dans les anciennes cités il y a déjà des pré-collecteurs. Dans les nouvelles cités qui sont en train de naître ce sont généralement nos travailleurs qui finissent par devenir des responsables dans ces nouvelles cités. Quand un nouveau quartier naît il y a toujours quelqu’un dans le secteur qui a travaillé et qui souhaiterait être indépendant. Il approche chaque habitant et se propose de s’occuper du ramassage des ordures. Il devient ainsi responsable du ramassage des ordures de ce quartier.
Comment se font le ramassage et les encaissements ?
Pour le ramassage il est conseillé un jour sur deux et les encaissements se font par mois. Le chiffre d’affaires étant lié au nombre de clients on fixera le salaire du collaborateur en fonction. Certains vont au-delà de 60000 Fcfa. Donc quand vous voyez quelqu’un donner 40000 ou 50000 Fcfa à son travailleur c’est qu’il n’a pas beaucoup de clients dans sa zone.
Comment êtes-vous arrivé à la pré-collecte ?
J’ai rejoint la pré-collecte en 2002. Très vite j’ai été fait membre du bureau. En 2018 on avait déjà approché certaines autorités même municipales qui nous accompagnaient déjà dans un processus d’assurance maladie pour tous les pré-collecteurs de Cocody. Tout cela parce que nous sommes dans l’informel. Notre souci est d’améliorer les conditions de nos pré-collecteurs. Certains n’ont pas peut-être eu la chance d’aller à l’école et d’autre sont des universitaires. Il y a des analphabètes, il y a aussi des jeunes qui ne sont pas forcément des Ivoiriens. Certains sont venus à ce métier par vocation et d’autres parce qu’ils n’avaient pas le choix. Comment faire pour l’amélioration des conditions de travail dans notre secteur, c’est la lutte de chaque jour.
Pouvez-vous nous expliquer le processus de collecte des déchets ?
Il y a deux étapes dans le ramassage des ordures ménagères. La première est exécutée par nous les pré-collecteurs. Elle consiste à récupérer les ordures depuis les ménages et les regrouper à un site à coffre. Elle se fait avec le petit matériel cité un peu plus haut. La deuxième étape est celle que l’État reconnaît. Elle est appelée la collecte. À ce niveau l’État choisit l’opérateur et c’est Ecoti-sa qui assure cette étape. Ecoti-sa a un sous-traitant qui est Etablissement Coulibaly auquel il a remis le matériel adapté. Cette étape consiste à transporter les ordures des sites à coffre aux sites de traitement.
Que faites-vous pour réintégrer les travailleurs qui sont sortis du système ?
Nous avons commencé à les réintégrer sous une autre forme. Dans les ordures que nous ramassons il y a des objets recyclables que nous pouvons récupérer. C’est dans cette activité de tri des objets recyclables que nous les utilisons. Ces objets intéressent des industriels qui sont sur place à Abidjan. Avec le tri en seulement deux ventes dans le mois tu gagnes de quoi vivre avec ta famille.
Nous avons reçu récemment des partenaires chinois avec lesquels nous sommes en train de travailler sur tout ce qui est projet de tri et cela permet de créer encore des emplois parallèles. Nous sommes dans notre premier mois mais ça nous a permis de créer déjà une dizaine d’emplois.
Parlez-nous du partenariat
Le partenariat nous engage à faire le tri et nos partenaires rassurent pour l’achat. Par le passé, il y avait des grossistes (Maliens, Burkinabés ou Nigériens) qui venaient acheter avec nous sur les sites à coffre. Avec le partenariat les prix de vente sont meilleurs.
Interview réalisé par Grace Djazie et Sostene Bonon (Stagiaire)
1 Commentaire
Très instructive. J’ai vraiment apprécié.