Si « le client est roi », comme l’affirme si bien cette célèbre citation, à Abidjan, les usagers des véhicules de transports en commun privé ne le sont pas. Beaucoup sont plutôt traités comme des « moins que rien » par la plupart des chauffeurs et aide-chauffeurs ou apprenti ‘‘gbaka’’. Notre reportage.

A Abidjan, se déplacer dans les véhicules de transports en commun demande du sang-froid. Ce lundi 5 Avril 2021, il règne un calme plat à Bingerville comme dans la majorité des autres communes. Une atmosphère liée à la fête de Pâques.  En face du Foyer des jeunes, des ‘’gbakas’’ (minicar) en partance pour Adjamé chargent. Les clients se font rares. Les rues sont quasiment vides. Mais, les transporteurs ne se découragent point. Ils hèlent le peu de passant qu’ils aperçoivent. « Adjamé, Adjamé, venez monter », peut-on entendre ici et là. Les aide-chauffeurs empruntent même les ruelles qui débouchent sur des habitations pour accroître leur chance d’avoir un peu plus de clients.  Il est 10 heures moins 15 minutes.

Au démarrage, l’aide-chauffeur du minicar blanc procède à l’encaissement de son gain. « Messieurs, dames, transport avec la monnaie », exige-t-il. Des passagers se fouillent, alors que d’autres lui tendent leurs transports.

« Avec la monnaie ! Je ne peux pas créer de monnaie »

Une dame, à l’arrière se tourne vers les voisins. « S’il vous plait, vous avez la monnaie ? J’ai un billet de 1000 FCFA », plaide-t-elle. Elle veut récupérer la monnaie d’une ou de plusieurs personnes. Les apprentis acceptent plus facilement un billet pour deux places. Hélas, aucun voisin de la dame n’a la petite monnaie.

« J’ai demandé le transport, avec la monnaie, celui qui n’en a pas devra subir les conséquences. Je ne peux pas créer la monnaie », menace l’apprenti ‘’gbaka’’.  Un client retorque : « Vous êtes censés nous trouver la monnaie. Chaque fois les clients vous en donnent. Mais quand ils n’en ont pas, vous êtes si désagréables, vous les insultez. Respectez-nous un peu ». Le ton monte dans le minicar. L’apprenti-Gbaka collecte tous les billets.

La dispute est houleuse. C’est dans cette ambiance que le véhicule arrive sous le pont ‘’d’Adjamé Liberté’’. Le terminus. Il est 11 heures.  « Descendez rapidement, terminus », lance-t-il aux passagers. Il donne des coups violents à la ferraille. Une demi-douzaine de passagers attend la monnaie. Ils prennent d’assaut l’apprenti. Ce dernier tend un billet de 1000 F à l’un d’entre eux. « Donne la monnaie des autres », lance-t-il, tout en tournant dos pour rejoindre le véhicule de 18 places…

« Nos vies ne sont pas importantes aux yeux de ces gens-là. Comment peut-il nous laisser dans cet endroit si dangereux. Comme si cela ne suffisait pas, il faut associer les monnaies … ils ne respectent le client que lorsqu’ils cherchent des clients », se plaint-il.

Des clients résignés

Autre trajet, même ambiance, ce mardi 6 avril 2021 ! Mais ici, il ne s’agit pas de problème de monnaie. Les passagers ont été enjoint de descendre du véhicule avant leur destination. Alors qu’il avait promis les conduire au Cinéma Liberté d’Adjamé, il décide, contre toute attente, de mettre fin au trajet au niveau du carrefour des ‘’Deux-plateau’’. Soit un peu plus d’un kilomètre avant la destination finale. La rupture de charge, une forme d’escroquerie sans conséquence qui ne dit pas son nom.  « C’est dur et très dur de se déplacer quand on n’est pas véhiculé. Et il ne faut surtout pas être limité financièrement, parce qu’avec les ‘’Gbaka’’, vous risquez d’être laissés en cours de route », se plaint un passager. « Le transport peu aussi augmenter… Tout cela, au mépris du client. Ils savent très bien que personne n’ira se plaindre car l’affaire n’aboutira jamais. Ils nous font payer le trajet normal. Ils nous abandonnent en cours de route et il faut encore débourser de l’argent pour arriver à destination », dénonce Alex Y., Étudiant qui vient de connaître la mésaventure.

Sexisme

Une autre victime, Prunelle D renchérit : « A chaque fois qu’il faut emprunter ces véhicules, je suis tellement stressée et inquiète puisque je ne sais pas si j’arriverai à destination. Ils ne respectent rien. Le code de la route, les clients, encore moins les femmes puisque parfois ils donnent la monnaie des hommes et associent les femmes parce qu’ils savent qu’on ne peut pas se battre. L’un d’entre eux m’a carrément sorti un jour ‘’comme c’est un homme et qu’il peut me frapper je donne sa monnaie. Mais vous les femmes je peux vous associer tranquille’’, avec un air moquer. J’ai eu tellement mal. On se plaindra sans suite. Les corps habillés observent ces situations sans lever le doigt. Ils s’intéressent aux véhicules et c’est tout. Que pouvons-nous faire ? », témoigne la jeune dame.

Interrogé sur la question des manquements et du non-respect de la clientèle, Abdoul K., apprenti ‘‘gbaka’’ répond : « On leur demande de monter avec la monnaie, mais ils n’écoutent pas. C’est ce qui nous énerve et on se met à crier et même à insulter les personnes plus âgées. Notre solution, c’est d’associer les monnaies, sinon dans la vie courante nous ne pouvons pas réagit de cette façon. Mais dans les gbaka sous sommes dans l’obligation ».

« On n’arrive pas à destination à cause des embouteillages »

Il ajoute : « Le plus souvent on n’arrive pas à destination à cause des embouteillages. On veut bien aller, mais en chemin quand on constate les embouteillages, on ne peut plus avancer. Le temps d’atteinte la destination, deux heures peuvent passer. On observe où, on peut tourner rapidement pour retourner et charger à nouveau le véhicule, car il y’a d’autres passagers qui attendent. Nous n’avons pas le temps à perdre. Sur un gbaka, nous sommes près de 3 à 4 apprentis. Je fais ce que je peux pour avoir ma recette ».

 « Un confort, sécurisé, à moindre coût »

Au ministère des Transports, on regrette ces incidents que vivent au quotidien les usagers. « Il s’agit là d’un problème d’offre et de demande. Comme la demande est plus grande que l’offre, des gens se permettent n’importe quoi », explique Samou Diawara, Responsable de la communication au ministère des Transports. « Des dispositions sont en train d’être prises et ont déjà commencé à fonctionner. Nous avons des voies dédiées aux bus qui viennent en appui au projet de métro d’Abidjan, et qui s’inscrit dans un système de transport multimodal avec les bateaux bus. Il y a le renforcement de transport lagunaire, parce que la Sotra n’avait pas de bateau bus. Les bateaux bus fonctionnent déjà, deux opérateurs privés accompagnent la Sotra sur la lagune. Il y a le renforcement du parc de la Sotra en vue et le Bus Rapid Transit, va permettre de faciliter la circulation des bus et le métro. Tout ce système de transport qui s’inscrit dans le cadre du transport de masse va permettre d’absorber la grande partie des demandes. Au lieu de décomposer s’il y a des bus qui font de longues distances comme certains le font actuellement, cela permettra de gagner en temps, en argent et en énergie. C’est plus confortable et sécurisé. L’Etat fait des efforts pour mettre la population dans un certain confort à moindre coût », rassure M. Diawara.

« Avec la professionnalisation, les choses seront différentes »

Pour le patron de la communication du ministère des Transport la professionnalisation du milieu, en cours de mise en œuvre, viendra renforcer la confiance entre les usagers et les acteurs du transport. « Avec la professionnalisation, les choses seront différentes. Le projet est en marche, les bateaux bus ont déjà commencé, pour le métro les travaux sont en cours, les bus sont renforcés. En 2017, on était à 90 bus, aujourd’hui on est à 1400 bus. Il y a eu un effort considérable. En plus, on va intégrer les notions de civisme dans l’auto écoles et ça implique tout cela dans la partie formation. Il y a le volet infrastructure, formation, sensibilisation, et répression. Les usagers seront aussi sensibilisés de sorte à ce que le respect soit mutuel », se dit-il convaincu. A cela M. Diawara se félicite de la formation des acteurs du transports, mise en avant par le ministre Amadou Koné. « Ce que vous devez comprendre ici, sous l’initiative du ministre, la formation est un acte majeur. Apres la formation si le problème persiste, là il y a l’administration qui intervient, si on vous insulte ou on vous manque de respect on rentre dans un cadre délictuel. Ce n’est plus le ministre des Transports qui intervient, mais là on prend la Justice sur les faits », rassure Samou Diawara.

Marina Kouakou

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