C’est devenu un phénomène de mode. La plupart des taxis communaux des villes de l’intérieur telle que Gagnoa utilisent le gaz butane comme carburant. Une situation qui peut s’avérer dangereuse, non seulement pour les clients de ses véhicules, mais aussi, pour les populations.
Dans presque tous les quartiers de ces villes, l’on peut trouver deux ou trois stations de pompage de gaz. Après le service du soir, les chauffeurs de taxis font le rang devant ces dépôts de gaz pour recharger leurs bonbonnes afin de les utiliser le lendemain.
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« Le gaz butane comme carburant est bénéfique. Pour 7 000 francs de gaz, on peut rouler toute la journée. Comparativement au carburant ordinaire, c’est avantageux. A l’époque, quand je roulais avec le gasoil, je payais entre 13 et 15 mille francs de carburants chaque jour », justifie Mory Diabaté, un chauffeur de taxi à Gagnoa. Il reconnait que rouler au gaz est dangereux, « mais on n’a pas le choix, puisqu’il y a la famille à nourrir », tente-t-il de convaincre. Son argumentaire ne convainc par Diarrassouba Moussa. Le président régional de la Commission nationale des droits de l’homme (Cndhci) qui pense que la raison économique ne doit pas justifier l’usage du gaz dans les taxis. « Avec la crise ukrainienne, le gouvernement a fait un effort énorme pour subventionner le prix du gasoil. Cela s’est fait dans l’intérêt des transporteurs. Aucune raison ne peut être au-dessus de la vie humaine. On a vu des taxis, avec des passagers à bord, prendre feu en pleine circulation », a déploré le défenseur des droits de l’homme.
Il n’est pas le seul à se plaindre du gaz comme carburant. Les habitants des quartiers où se trouvent les stations de pompage de gaz voient mal la cohabitation avec cette activité périlleuse pour leur sécurité. Sanogo Amadou, résident du sous quartier ‘‘Libéria’’ du grand ‘‘Dioulabougou’’ est très amer. « Quand les taxis viennent se ravitailler en gaz, on n’arrive plus à respirer normalement. L’odeur du gaz embaume entièrement l’air. C’est ce gaz que nous respirons chaque soir au quartier. A la longue, on risque d’avoir des maladies respiratoires », s’inquiète le riverain. « Chaque soir, des chargements de gaz butane rentrent dans les quartiers pour desservir les stations de pompage. Ils sont en train de nous empoisonner avec l’odeur du gaz. Rouler au gaz est un gros risque. L’Etat doit agir et vite, pour que tout cela s’arrête », signale Kao Vincent, président local de la Fédération active des consommateurs de Côte d’Ivoire (Fac-CI).
9 personnes brulés
Il dit avoir consulté un médecin pour être situé sur le risque auquel s’exposent les populations de Dioulabougou en respirant l’air embaumé de gaz butane. « Selon l’agent de santé, il n’est pas bon de respirer l’odeur de gaz », fait savoir le président des consommateurs, d’un air inquiet. Comme si la mauvaise odeur respirée par les populations de Dioulabougou ne suffisait pas pour leur malheur, des gamins de ce quartier ont été brulés par le gaz. « C’était le 1er Mai dernier. Des enfants braisaient la viande de mouton non loin de la station de dépôts de gaz. C’est ainsi que le gérant des lieux reçoit un taximètre, venu se recharger. Pendant que le gérant pompait le gaz dans le taxi, le butane s’est échappé. Les enfants qui braisaient la viande, ainsi que le gérant de la station ont été brulés », se souvient Sanogo Amadou. Il a fallu l’intervention des sapeurs pompiers pour circonscrire le feu et conduire les brulés au centre hospitalier régional de Gagnoa pour des soins. Au total, l’incendie a fait 9 victimes (8 enfants et le gérant de la station). Malheureusement, 3 de ces enfants victimes du feu n’ont pas survécu de leurs blessures. « Nous suivons cette affaire de bout en bout. Parmi les enfants brulés, 3 sont décédés. Le premier enfant est mort le 20 Mai. Les deux autres sont décédés le 23 Mai. Le butane n’est pas fait pour être utilisé comme carburant. C’est une activité extrêmement dangereuse et totalement illégale », renseigne Diarrassouba. Il explique l’illégalité de cette activité par le fait que la filière en question ne paie pas de taxe à l’Etat, encore moins aux mairies. « C’est de la concurrence déloyale parce que l’Etat ne gagne rien avec ceux qui pratiquent cette activité. L’Etat arrive à subvenir aux besoins des populations grâce à la fiscalité qu’il prélève sur les différentes activités économiques. Mais cette activité ne rapporte rien à l’Etat, sinon que de la désolation, des pertes en vie humaine », dénonce le responsable de la Cndhci. Au nombre des enfants décédés, Sanogo Amadou en compte deux. Son fils biologique, élève en classe de CE2, et son neveu. Le cœur meurtri, le malheureux père se réserve le droit de saisir la justice afin que les responsabilités soient situées.
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A qui la faute ?
Il porte un doigt accusateur sur la mairie qui, de son avis, a fermé les yeux sur une activité interdite. « A moins que la mairie soit complice. Sinon comment comprendre qu’elle n’applique la loi numéro, 92-469 du 30 juillet 1992, portant interdiction du gaz butane comme carburant en Côte d’Ivoire. Je vais porter plainte contre toutes les autorités qui ont laissé faire », prévient le père endeuillé. Très remonté, Kao Vincent qualifie de ‘’gratuite’’, la mort de trois enfants. « Voici des gamins qui ne demandaient qu’à vivre. Et ils meurent comme ça, de façon gratuite, par la faute de ceux qui ont installé les dépôts de gaz dans les quartiers », s’alarme Vincent. Face à cette situation, le numéro 1 des consommateurs envisage entreprendre des démarches auprès des autorités compétentes pour prévenir pareil sinistre à l’avenir. Avec lui, se joint le président régional des droits de l’homme. Ces deux responsables ont annoncé qu’ils mutualiseront leurs forces pour lutter contre l’installation des stations de pompage de gaz à travers les quartiers de la cité du fromager. « Cela fait environs 4 à 5 ans qu’à Gagnoa, les taxis roulent avec le gaz butane. Ce n’est pas normal. Nous avons décrié cela et nous continuons toujours de dénoncer cet acte. Nous sommes étonnés que les autorités ne réagissent pas. Il ne faut pas attendre qu’un autre sinistre arrive pour parer au plus pressé. Pour cela, nous sommes en train de préparer un courrier pour interpeller la direction départementale des mines et énergies. Nous allons demander au directeur de mobiliser les forces de l’ordre en vue de fermer tous les sites de pompage de gaz butane », a informé Kao Vincent puis de poursuivre. « Si le directeur des mines ne réagit pas, nous allons déposer un courrier chez le préfet de région. Après quoi nous allons manifester pacifiquement dans la rue pour exprimer notre mécontentement et interpeller les autorités sur le fait que notre vie est menacée par les taxis qui roulent au gaz », prévient-il. Diarrassouba pense qu’en dehors des autorités, la population a aussi sa part de responsabilité.
80% des taxis au gaz
« C’est malheureux comme incident, mais il faut qu’on se remette en cause. Des lois ont été prises pour interdire le gaz dans les véhicules. Des sensibilisations ont été faites à cet effet. Mais le constat est qu’on a été complice, d’une manière ou d’une autre, dans l’installation des dépôts de gaz. C’est nous, populations qui avons cédé des magasins, des espaces pour installer ces dépôts. On attend que le pire arrive pour se plaindre en disant que les autorités ont fermé les yeux sur la pratique de cette activité. Et nous même, quelle est notre part de responsabilité ? », s’interroge Moussa. « Nous avons pris attache avec le préfet et la direction des hydrocarbures pour voir quel genre d’action, on peut mener pour mettre fin à ce phénomène dans notre région. Nous allons associer les autres acteurs de ce secteur pour trouver une solution. Nous allons toujours dénoncer, mais quand les populations se rendent complice de ce type de pratique, cela devient difficile. C’est ensemble qu’on pourra lutter efficacement. Le préfet va jouer son rôle, le maire, les forces de l’ordre… Mais les populations aussi doivent jouer leur rôle », ajouta-t-il. Du côté de la mairie, le premier magistrat, Yssouf Diabaté a regretté le malheur qui a frappé ses administrés du quartier ‘Libéria’, avant de prendre l’engagement de tout mettre en œuvre pour traquer ceux qui ouvrent les magasins de pompage de gaz dans la commune.
Il s’inscrit en faux contre les accusations faisant état de ce que la mairie est complice des chauffeurs de taxi qui roulent au gaz butane. Koué Ferdinand, directeur régional des transports, reconnait que 80% des taxis utilisent le gaz comme source d’énergie. Toute chose contre laquelle il élève à son tour la voix. A la direction départementale des mines et énergies, une source rapporte, sous le couvert de l’anonymat, que des missions de démantèlement des dépôts de gaz ont été effectuées. Mais cela a échoué devant la menace des gérants et propriétaires de ces dépôts. Au motif que cette activité est leur ‘gagne pain’ et qu’en cas de fermeture, ils se retrouveront au chômage. « Est ce que le chômage doit justifier les pertes en vie humaine ? Donc c’est parce qu’on doit gagner son pain quotidien, qu’on va mettre en péril les vies humaines ? », questionne la Cndhci puis de répondre. « Je ne pense pas. Il existe d’autres activités économiques qu’on peut exercer pour gagner sa vie sans risquer la vie d’autrui. Le droit à la vie fait partie des droits de l’homme », souligne Diarrassouba. Comme solution à ce problème, Sanogo Amadou propose, qu’à défaut de fermer ces dépôts de gaz, parce que la mairie ne veut pas se mettre à dos ses électeurs, il faut trouver un site, hors de la ville, où ces opérateurs économiques pourront s’installer.
Alain Doua