Sur le continent comme ailleurs dans le monde, trente ans de progrès en santé maternelle et infantile sont menacés par la crise du Covid-19. Sur le terrain, médecins, sages-femmes et agents communautaires redoublent d’efforts.
C’est un avertissement qui est passé presque inaperçu. En septembre 2020, les Nations unies prévenaient que trente ans de « progrès remarquables » en termes de santé maternelle et infantile risquaient d’être « réduits à néant » par la crise sanitaire du nouveau coronavirus. La crainte d’être contaminé sur le lieu de consultation, la baisse des revenus des familles, les limites aux déplacements mais aussi les problèmes d’approvisionnement en médicaments, vaccins, contraceptifs et matériels médicaux ont fortement perturbé l’accès aux soins.
Les enquêtes menées par le Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef) et l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ont révélé d’importantes perturbations des services de santé essentiels dans plus des deux tiers des pays du monde en 2020 : jusqu’à 63 % de baisse du suivi pré et postnatal, une prise en charge des enfants malades et malnutris réduite de moitié, une explosion des violences faites aux femmes et aux filles, que la Sud-Africaine Phumzile Mlambo-Ngcuka, directrice d’ONU Femmes, n’a pas hésité à qualifier de « pandémie de l’ombre ».
En trente ans, la santé maternelle et infantile a pourtant connu des avancées considérables dans le monde : le nombre de décès de mères et d’enfants de moins de 5 ans est ainsi passé de 12,5 millions en 1990 à 5,2 millions en 2019, son niveau le plus bas. L’Afrique, qui totalise encore à elle seule plus de la moitié de cette mortalité, a aussi pris sa part dans ces progrès, la réduisant en moyenne de 43 %, d’après les chiffres de l’Unicef. Mais le continent, quoique moins touché que les pays du Nord par le Covid-19 avec 100 000 décès officiellement recensés à la mi-février, a lui aussi vu toute sa chaîne de santé bouleversée.
« La pandémie a posé des problèmes de continuité pour la santé maternelle et infantile, notamment parce que les effectifs ont été réduits pour être protégés : jusqu’à 50 % du personnel a été absent dans les centres de santé de base, ce qui a abouti à fermer pendant quelque temps certains services, comme le planning familial ou la consultation prénatale », confirme Véronique Rakotondrainibe, responsable médicale en santé sexuelle et reproductive pour Médecins du monde, basée à Antananarivo, à Madagascar. S’y est ajoutée la réaffectation d’une partie des centres à la riposte contre le Covid-19, au détriment des consultations classiques. Sur le continent africain, outre Madagascar, le Cameroun, la République centrafricaine (RCA), la Libye et le Soudan ont été particulièrement touchés par la désorganisation, selon l’Unicef.
La pandémie, révélant la fragilité des systèmes, a aussi brutalement rappelé une évidence : aucun pays ne peut prétendre à un développement durable s’il n’investit pas dans la santé de sa population, et d’abord dans celle de ses femmes et de ses enfants. « Une des grandes leçons du Covid est qu’on ne peut pas construire de réponse efficace à une quelconque maladie sans un système de santé minimum », résume le Béninois Roch Christian Johnson, médecin spécialisé en santé publique et conseiller auprès de la Fondation Raoul-Follereau installé au Togo.
« Rougeole, fièvre jaune, choléra, épisodes d’Ebola, tout cela absorbe déjà beaucoup de fonds et de personnels, témoigne le Burundais Deogratias Manirakiza, médecin pour l’Unicef basé à Kinshasa, en République démocratique du Congo (RDC). L’arrivée de l’épidémie de coronavirus a rendu la situation encore plus difficile, elle a notamment perturbé le système pour les maladies évitables par la vaccination. Il faut absolument que cette crise soit l’occasion de renforcer les systèmes. » Le médecin, qui a également été en poste en RCA et au Mali, poursuit : « Il faut non seulement sanctuariser les ressources en argent et en personnels, mais investir davantage dans les systèmes qui ont prouvé leur résilience grâce au Covid-19. »
Au centre de l’attention pour les acteurs de terrain : le renforcement des systèmes de proximité, du centre de santé aux équipes mobiles, en passant par les agents communautaires. Ni médecin, ni infirmier, ni sage-femme, l’agent communautaire est capable de prendre en charge un cas de paludisme, une diarrhée infantile aiguë, de créer une pharmacie de base et de délivrer des médicaments essentiels.
Respectés des habitants, la « marraine de quartier » ou le « père éducateur » sillonnent les rues et les chemins pour conseiller, expliquer, repérer les femmes isolées ou les enfants oubliés du carnet de vaccination. Désamorçant aussi les peurs, la désinformation et les pesanteurs sociales qui les tiennent éloignés du poste ou de la case de santé qui n’est parfois qu’à quelques kilomètres de chez eux.
« L’agent communautaire est tout au bout de la chaîne du système de santé, mais il en est un élément clé. Il crée la confiance entre la population et les soignants. Il est souvent le seul à pouvoir conduire le médecin ou l’infirmière dans le dédale des quartiers pour lesquels il n’existe pas de plan », souligne Véronique Rakotondrainibe.
Enfin, l’agent forme à son tour des personnes-ressources au sein des villages, leur permettant de déterminer collectivement les priorités de santé lors de « causeries ». Ce travail de pédagogie approfondit le lien avec les autorités coutumières. Car la réussite d’une campagne vaccinale ou d’un programme de planification familiale dépend autant du soutien du chef de village ou de l’imam que de l’accès aux médicaments eux-mêmes.
La crise due au Covid-19 a encore confirmé son importance : c’est sur lui que les autorités de santé de nombreux pays africains ont pu s’appuyer pour informer, expliquer les gestes barrières et la conduite à tenir en cas de symptômes. « Les épisodes successifs d’Ebola avaient déjà démontré la résilience de l’organisation communautaire », rappelle le docteur Manirakiza.
Les associations de terrain comme les grandes agences onusiennes plaident aujourd’hui pour renforcer ce rôle essentiel. « L’agent de santé doit être encore mieux formé et bien rémunéré », précise M. Manirakiza qui conclut : « Le coronavirus fera partie de nos vies comme d’autres épidémies avant lui. Il faut l’intégrer à nos systèmes de santé comme on l’a fait pour le choléra ou la fièvre jaune. Il ne faut pas oublier qu’en RDC, par exemple, 6 000 enfants sont morts de la rougeole rien qu’en 2020, alors que le Covid-19 n’a même pas tué 1 000 personnes. »
Source : Le Monde Afrique