Karamoko Fatima, aveugle de naissance, ne veut pourtant pas se laisser emporter par la fatalité. Étudiante en master 1 d’animation culturelle à l’Institut national supérieur des arts et de l’action culturelle (INSAAC), cette non-voyante nourrit de grandes ambitions pour ses pairs porteurs de cet handicap. Dans cette interview, cette jeune étudiante non-voyante lève un coin du voile sur son parcours scolaire et décline les grands axes d’un concours de karaoké qu’elle entend organiser pour les non-voyants.

Vous êtes l’initiatrice d’une compétition qui sort de l’ordinaire qui consiste à faire compétir des non-voyants dans un concours où l’on a besoin de ses sens, notamment de ses yeux. Dites-nous d’avance, qui est Karamoko Fatima ?

Karamoko Fatima est une modeste étudiante en Master 1 d’animation culturelle à l’Insaac. Depuis donc le bas âge, je suis non voyante.  J’ai commencé mon cursus scolaire à l’Institut national pour la promotion des aveugles de Yopougon. J’y ai fait du CP1 au CM2. Après l’Institut des aveugles, j’ai obtenu le CEPE et j’ai été orientée au lycée moderne de Yopougon Andokoi qui, faut-il le rappeler, fait partie des quatre écoles à accueillir en son sein des non-voyants avec le groupe scolaire Newton, le Lycée Pierre Gadié et le groupe scolaire L’Amitié. J’ai fait donc le collège avec des personnes voyantes. J’ignorais tout de leurs habitudes et eux aussi ne savaient pas grand-chose de mon handicap et j’avoue que ça n’a pas été facile, mais c’était une expérience magnifique.  L’école de la vie m’a enseignée beaucoup de choses et j’ai pu faire de magnifiques rencontres dans cet établissement. Après le BEPC, j’ai encore été orientée au second cycle dans la même école où j’ai obtenu mon Baccalauréat série littéraire.

Comment êtes-vous arrivée à l’INSAAC ? 

Je dirais que c’est de façon fortuite parce qu’après le baccalauréat, il n’y a vraiment pas assez d’écoles qui accueillent les non-voyants. Pis, il y a des écoles qui ne savent pas que nous écrivons avec les brailles. D’autres n’acceptent pas les non-voyants, parce qu’après avoir fait une interrogation, l’enseignant doit savoir lire ce que l’étudiant a pu écrire pour pouvoir corriger et l’évaluer. Ce n’était pas toujours évident et cela impliquait plusieurs personnes et beaucoup d’efforts. Il fallait d’abord des personnes qui sachent lire et écrire en braille. Ce sont ces derniers qui doivent transcrire l’évaluation du non-voyant en écriture standard pour permettre à l’enseignant de corriger enfin la copie. Du coup ça devient compliqué et fastidieux. A l’Université Félix Houphouët Boigny de Cocody, il y a une cellule technique, dans lesquelles il y a des personnes qui ont appris l’écriture en braille. Après avoir fait une interrogation ou une composition, ces personnes écrivent de façon usuelle et remettent les feuilles de compositions aux enseignants. C’est à lui de corriger ce que l’étudiant a écrit. Cette contrainte faisait qu’on n’avait pas beaucoup de perspectives en termes d’orientation. Moi, j’ai fait le choix de l’animation culturelle parce que c’est une discipline qui aide à promouvoir la culture. Je voulais faire la promotion de la culture africaine en général et celle de la Côte d’Ivoire en particulier. J’ai fait ce choix parce qu’il n’y a pas assez de non-voyants qui l’ont fait. 

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Pourquoi ce goût particulier pour la culture ? 

Je suis quelqu’un qui suit beaucoup la télévision.

C’est tout de même curieux ! Comment un non-voyant peut-il suivre la télévision ?

(Rire). Oui, cela peut paraître curieux pour vous les voyants. Mais j’aimerais souligner que, quand il vous manque un sens, c’est là que vous vous rendez compte de la valeur d’un sens extraordinaire que vous possédez. Par exemple, quand on n’a pas de mains, on se rend compte qu’on peut dessiner avec les pieds. Quand on a les mains, on ne se rend pas compte de l’utilité des pieds qu’on a. Du coup, nous, les non-voyants, ne faisons qu’écouter la télévision. Ce n’est pas toujours facile, mais nous avons un sens que les voyants n’ont pas et qui nous permet d’appréhender ce qui se passe à la télévision sans pour autant voir les images. 

Vous êtes la présidente du Comité d’organisation de l’entrepreneuriat des non-voyants. Qu’est-ce qui a motivé la création de cette structure ? 

J’ai constaté que malgré les nombreux efforts des autorités, les non-voyants continuaient d’être marginalisés dans beaucoup de choses. Du coup, j’ai senti ce besoin de créer une structure pour contribuer à ma manière à la promotion des non-voyants. J’ai alors commencé à écrire des projets sur la base de ce que les non-voyants aiment, notamment la musique, d’où l’idée de l’organisation d’un Karaoké des non-voyants. Mon objectif est donc de promouvoir les talents des non-voyants. 

Il y a déjà sur la place des concours déjà très connus de karaoké comme The Voice, Star karaoké, etc. Quelle sera la particularité de ce karaoké ? 

Le karaoké des non-voyants sera organisé en tenant compte des spécificités des non-voyants. Ce ne sera pas comme dans un karaoké ordinaire où les chansons sont par exemple écrites sur des écrans et exécutées par les candidats qui les lisent. Nous allons beaucoup jouer sur la capacité de mémorisation des candidats dans la mesure où ils ne voient pas. Il y aura seulement la mélodie en sonore et les candidats devront maîtriser les chansons par cœur. A ce niveau aussi, il est bon de souligner que nous n’allons pas nous focaliser sur les chansons occidentales. Nous allons interpréter des chansons de notre riche patrimoine culturel. Il y aura des chansons imposées, des chansons au choix et des ‘‘Battles’’ qui consistent à mettre trois ou quatre personnes en compétition qui compétissent en live et c’est le public et/ou les téléspectateurs qui vont déterminer le vainqueur.

En tant que non voyante, qu’attendez-vous du public, des potentiels partenaires et des autorités du pays ? 

Je dis déjà merci au président de la République Alassane Ouattara et son épouse Dominique Ouattara pour les efforts inlassables qu’ils font pour la promotion des personnes qui portent un handicap et surtout pour les non-voyants.  Ce n’est pas évident, mais grâce à la volonté affichée du chef de l’Etat, des mesures dérogatoires exceptionnelles ont été prises pour intégrer des handicapés dans la Fonction publique. C’est un acte que nous tenons à saluer. Mais il faut accompagner ces efforts du gouvernement pour que celui qui est porteur d’un handicap puisse être épanoui dans son environnement. C’est l’idéal qui guide notre combat. A côtés de nos autorités, nous lançons un cri de cœur à toutes les bonnes volontés, à toutes les fondations, à toutes les entreprises de nous soutenir dans nos initiatives. Nous ne demandons pas forcément de l’argent. Mais nous voulons leur faire comprendre que les personnes qui portent un handicap et, singulièrement, les non-voyants peuvent aussi être épanouis dans la société. Les non-voyants sont des personnes comme tout le monde, ils n’ont juste pas les yeux. C’est ce message que nous voulons faire passer.

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Source : L’Avenir

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