Seydou Koné, en compagnie de Rose Marie Guiraud et son mari Mc Donald.

Depuis le 20 avril dernier, les voix s’élèvent partout en Côte d’Ivoire et dans le monde, pour pleurer Marie Rose Guiraud, pionnière de la culture africaine, qui laisse derrière elle un impressionnant patrimoine artistique. Artiste-chorégraphe, anthropologue, écrivaine, chanteuse-compositeur, elle a, en effet, guidé les premiers pas de centaines d’artistes qui monnaient depuis, leur art, sur les cinq continents. Nous avons rencontré celui qui a longtemps fait office d’attaché de presse de l’Ecole de danse et d’échanges culturels (EDEC), Seydou Koné, pour lui arracher quelques mots.

Que retenez-vous de Rose Marie Guiraud, la célèbre artiste dont vous êtes le chargé de presse et de promotion ?

Certains l’appelaient Marie Rose Guiraud, d’autres, Rose Marie Guiraud. Moi, je l’appelais tout simplement Rose, car c’était une rose. En 30 ans de collaboration, je ne me souviens pas m’être disputé une seule fois avec elle. Elle bouillonnait d’idées, et surtout d’optimisme. C’était une battante, une femme très ambitieuse. Nous avions beaucoup de projets, mais nous n’en avons réalisé que très peu, faute de moyens. Et ce qui m’a le plus impressionné chez elle, c’est sa capacité à supporter les échecs. Nous étions toujours enthousiastes à l’entame d’un projet, et quand l’autre partie faisait défection, elle disait toujours « ça ira la prochaine fois… ». Ces dernières années, sa santé avait commencé à décliner. Mais, malgré la maladie, elle ne baissait pas les bras.

Emmett et Rose sont des amis intimes, des frères de longue date. Mes enfants les appellent Pépé et Mémé. Mais j’ai véritablement commencé à travailler pour elle en 2012 à New York (USA), lorsqu’elle avait décidé de rentrer au pays après la crise postélectorale, pour jouer sa partition dans la réconciliation nationale. Ça a été notre premier grand flop. Tout avait bien été ficelé pour porter le message de la paix, de l’amour et de la réconciliation à l’Ouest, le long des frontières libériennes et guinéennes, sous la protection des casques bleus, mais l’appui escompté n’a pas suivi. Rose en a été affectée, mais bon, nous sommes convaincus que c’est la volonté de Dieu.

Les guirivoires en prestation à la l’occasion de la fête du Nouvel de Chine en Côte d’Ivoire.

Quels étaient ces projets en question et pourquoi ces projets n’ont pas pu aboutir ?

Pour citer les plus importants, il y avait le « Festival de l’ouest pour la réconciliation nationale et la cohésion sociale ». Il y avait aussi l’achèvement des travaux de construction de l’EDEC, car, comme vous pouvez le constater, l’école de Rose est loin d’être achevée. Il reste des infrastructures à construire sur le site : un studio d’enregistrement, une salle multimédia, une radio et surtout la salle de spectacle qui allait rendre la commune de Cocody moins dépendante du palais de la Culture. Voilà, entre autres projets. Maintenant, pourquoi ça n’a pas toujours abouti ? Parce que la culture n’intéresse pas les gens d’argent, parce que des politiciens voyaient Rose comme un obstacle à leur rayonnement dans la région, que sais-je ? Le gouvernement et quelques entreprises privées ont apporté un soutien, de temps en temps, à la réhabilitation des bâtiments, à la prise en charge des frais médicaux de Rose, et au fonctionnement du centre, car, n’oublions pas que ce sont des dizaines d’enfants et de jeunes qu’elle éduque, nourrit, héberge et forme à la danse, mais aussi aux petits métiers tels que la couture et le dessin. Ceci étant, je précise que, en raison des liens qui nous unissent, j’ai toujours fait ce travail de manière bénévole. J’ai mon boulot, qui n’a rien à voir avec tout ça, et j’ai aussi une petite entreprise de presse.

Elle a contribué à la formation de nombreux enfants dans les métiers de l’art. Pouvez-vous estimer l’impact de son école sur la culture en Côte d’Ivoire ? Pouvez-vous citer quelques grands noms issus de son école de danse ?

Répondant à cette question, sur la 3, la troisième chaîne de la télévision nationale, Claude Tamo a commencé par citer Georges Momboye, chorégraphe de coupes du monde (Allemagne 2006) et d’Afrique de football, installé en France. Pourquoi pas Aïcha Koné ? En réalité, ce sont des centaines, voire des milliers de chanteurs, de danseurs, de comédiens, de musiciens et de chorégraphes, que Rose a formés et façonnés. Aujourd’hui, ils vivent de leur art en défendant la culture ivoirienne en Europe occidentale, en Scandinavie, au Japon, aux USA, au Canada, etc. Parmi eux, des enfants qu’elle a recueilli et adopté. A tous, elle a inculqué l’amour de la danse, de la musique, de l’art tout court.

En plus, mis à part ceux qu’elle considérait comme ses enfants, l’EDEC a reçu et formé des centaines de danseurs professionnels et autres amateurs venus du monde entier, depuis son ouverture !

Il faut dire enfin, que, autant Rose Marie Guiraud a contribué à la création de l’Institut national des Arts, INA aujourd’hui INSAAC, quand son époux, Emmett McDonald participait à l’éclosion de grandes stars de la musique ivoirienne, à travers l’Orchestre de la RTI dont il a été l’un des principaux éléments.

Comment s’organisent les obsèques ? Y’aura-t-il un hommage particulier pour elle ?

Pour l’instant, les familles se concertent. Tout se fait dans la plus pure tradition Wê, car, avant d’être Musulmane, Rose était détentrice des secrets des masques. Juste pour dire que la tradition africaine est respectée. A part cela, bien sûr, les autorités tiennent à organiser des obsèques dignes du rang de la défunte, et c’est à leur honneur, et à l’honneur de la République de Côte d’Ivoire que Rose Marie Guiraud a si bien servi toute sa vie. Je pense que le programme définitif des obsèques ne tardera pas à être communiqué.

Marie-Rose Guiraud est partie, laissant derrière elle, sa Fondation et son école de danse. Comment entrevoyez-vous l’avenir de ce patrimoine ?

Avec Rose, j’ai appris à être optimiste. Bien sûr, au vu de toutes les difficultés qu’elle a rencontrées pour trouver des financements, l’on est tenté de se demander comment l’école pourrait lui survivre. Mais, si l’on en croit la quantité de témoignages qui nous parviennent des quatre coins de la planète depuis son décès, un élan de solidarité se met en place pour des obsèques dignes et la pérennisation de l’œuvre de la grande prêtresse. Non, les Guirivoires ne peuvent pas mourir comme ça. Je me pose beaucoup de questions, mais je suis convaincu que la Fondation vivra.

Son mari, McDonald ne pourrait-il pas se charger de poursuivre son œuvre ?      

On n’en parle pas, mais l’EDEC, la Fondation RMG et les Guirivoires sont une œuvre commune au couple McDonald. Emmett et Rose formaient un couple uni, et tous les projets ont été montés ensemble. Lorsqu’ils étaient aux USA, Rose enseignait dans des établissements scolaires, Emmett jouait dans des concerts, et c’est là-bas qu’est née la Fondation. Emmett McDonald est un citoyen américain, mais l’EDEC est son enfant, même s’il parle plus mal le français que le Guéré (rire). Après Rose, la volonté est donc toujours là. Je pense qu’il donnera le meilleur de lui-même pour perpétuer l’EDEC et honorer la mémoire de son épouse.

Propos recueillis par Clémentine Silué

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