L’étranger est sacré en Côte d’Ivoire. Dans toutes les cultures de la soixantaine d’ethnies qui composent le pays, l’étranger est un invité de marque. Chez les Sénoufo, l’hospitalité est traduite au nouveau venu par l’offrande d’une boisson particulière : le ‘‘milogue’’ où la boisson de mil.
Une première gorgée, une deuxième, une troisième, voire plus… Tout étranger qui foule le sol des Nafara, sous-groupe des Sénoufos dans le Nord de la Côte d’Ivoire, doit goûter à cette boisson exquise : le ‘’milogue’’. La recette est pourtant bien simple : de l’eau tiède à laquelle l’épouse de l’hôte a ajouté de la poudre de mil.
Chez les Sénoufos, comme nous l’atteste le patriarche Yéo Navaga, en ce mois de décembre 2020, l’étranger à qui le Nafara tend du ‘‘milogue’’ est un privilégié. Il est ainsi honoré.
«Juste après qu’il ait bu, on lui demande les nouvelles. Et si c’est à l’heure des repas, l’étranger se voit proposer un autre repas ».
Ce sexagénaire résidant au quartier Tiékélézo de Korhogo se félicite que cette pratique continue d’exister au sein de ce sous-groupe des Sénoufos, très attaché aux us et coutumes. « Depuis leurs ancêtres, le peuple Nafara est resté fidèle à son « milôgue » ».
« Avant l’arrivée des moulins modernes, chaque femme possédait sa propre pierre à moudre. Et c’est elle-même qui fabriquait cette poudre bien tamisée qu’elle utilisait pour préparer la boisson », explique Yéo Navaga, heureux qu’aujourd’hui, beaucoup de femmes dans les villages continuent d’utiliser ces pierres pour moudre les céréales.
Cette boisson est également servi dans de nombreuses cérémonies. « Le « milogue’’ est, en fait, le premier mets du Nafaras. Il est rempli de symbole. Vous remarquerez qu’il est servi à l’occasion de toutes les cérémonies », explique le patriarche.
Durant les travaux champêtres, c’est exclusivement cette boisson qui est servie aux travailleurs. « C’est souvent le seul repas », indique M. Yéo qui révèle que le mil fait figure d’aliment de force. « Et quand cette boisson est apportée dans des calebasses par les jeunes filles, cela les galvanise davantage ».
Aux champs, la lie est récupérée avec des feuilles d’arbres de karité et puis avalée pour ses vertus d’aliment de force.
Cette boisson est également présente durant les cérémonies funéraires.
Au cours de celle-ci, une partie de la farine de mil est réservée aux hommes chargés de creuser la tombe du défunt. Ces derniers doivent la transmettre aux ancêtres pour se désaltérer. Histoire d’apaiser leur cœur et les disposer à accepter celui qui quitte le monde des vivants pour rejoindre ‘‘le monde de la vérité’’ ou le monde des ancêtres. L’autre partie de la boisson est mise à la disposition des initiés aux « Poro » et déposée à un endroit appelé »tchotigue », ou l’arbre aux initiés.
Dans le cadre des mariages, le mil reste une symbolique forte. « Les jeunes filles l’apportent dans leurs belles familles. C’est par ce geste qu’elles affirment leur appartenance à la famille de leurs maris ».
Pour le doyen Yéo Navaga, c’est pour toutes ces utilités que le mil est toujours prisé dans la culture sénoufo. « Il fait savoir que la farine de mil est toujours convoitée par certains Nafara vivant dans les grandes villes du pays », révèle Yéo Navaga.
Silué N’Gana