Icône du 7e Art en Afrique de l’Ouest, Roger Gnoan M’Bala, auteur du film « Au nom du Christ », grand prix de l’Étalon d’or de Yennega au Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (Fespaco) en 1993, et « conseiller de roi » du peuple Nzema à Bassam vient de nous quitter. Le témoignage de Agbroffi Diamoi Joachim, Professeur titulaire d’anthropologie sociale, culturelle et politique.
Professeur, pour vous, qui est Roger Gnoan M’Bala ?
Pour la première fois les Apolloniens viennent de perdre un grand homme de la gouvernance et du gouvernement traditionnels akan matrilinéaires Nzema. Dans chaque groupe ethnique, il y a un certain nombre de traits de culture et d’aspects de civilisation qui identifient le type d’homme et/ou de femme. Ce sont, dans le cas présent : la maîtrise de soi ; la capacité de dire et de laisser dire librement ce qui est à dire et de se satisfaire de l’avoir dit ; l’humilité ; la famille ; la convivialité, la fraternité ; l’amitié ; le fait de disposer des mécanismes d’assouplissement des positions inconciliables et irréconciliables ; la volonté et la capacité de faire des espaces de rencontre, un haut lieu de neutralité et un cadre de liberté, de démocratie et d’immunité critique sincère.
C’est donc un monument pour les Nzema qui vient de partir !
Effectivement, Gnoan M’Bala est quelqu’un d’un calme inhabituel. Il a une très grande maîtrise de lui-même. Il œuvre à mobiliser les personnes de son entourage au calme, à la maîtrise de soi, à la non-violence sous toutes ses formes. Quand tout le monde est fâché, excité et cherche à en découdre avec quelqu’un, il recourt au mécanisme d’assouplissement des positions inconciliables et réconciliables pour un retour au calme. Il a une façon qui lui est propre d’emmener quelqu’un qui a les nerfs à fleur de peau et qui est quasiment déchaîné, à se maîtriser. Vous n’avez pas beaucoup de personnes qui sont capables d’un tel exploit. Dans ces moments où tout le monde est déchaîné et veut tout casser, lorsque Gnoan Mbala prend la parole, les gens se calment. Grâce à lui et à bien d’autres de son entourage, le calme finissait par revenir.
Si tel est le cas, quel est le pouvoir préféré de Roger Gnoan Mbala ?
Le pouvoir non préféré par Gnoan Mbala se définit et s’exprime comme la capacité d’un individu ou d’un groupe de commander les autres, de les soumettre à une obéissance absolue, de les contraindre inlassablement, de les assujettir. Il n’est pas allé à la politique Nzema pour ce type de pouvoir institutionnel. Le pouvoir préféré, exprimé, exercé tout au long de sa vie est le pouvoir naturel et démocratique de type populaire.
Qu’entendez-vous par pouvoir naturel ?
Le pouvoir naturel est la puissance qui ressort des traits de culture et d’aspects de civilisation de Roger Gnoan Mbala que sont : la maîtrise de soi ; la capacité de dire et de laisser dire librement ce qui est à dire et de se satisfaire de l’avoir dit ; l’humilité ; la famille ; l’affabilité, la convivialité, la fraternité ; l’amitié ; le fait de disposer des mécanismes d’assouplissement des positions inconciliables et irréconciliables ; la volonté et la capacité de faire des espaces de rencontre, un haut lieu de neutralité et un cadre de liberté, de démocratie et d’immunité critique sincère. En ce domaine, il avait un très grand pouvoir qui était respecté et respectable.
Gnoan et M’Bala ont-ils une signification dans la culture Apollonienne ?
Gnoan est le nom donné au neuvième enfant. Un tel enfant fait partie des enfants spéciaux que sont ; les jumeaux, les jumelles, l’enfant qui vient après les jumeaux et jumelles et le huitième enfant. Gnoan peut être un neuvième enfant ou bien le nom de quelqu’un d’autre qui lui a été donné à Mbala qu’il convient d’expliquer. Le nom Gnoan a eu certainement un impact positif sur la vie de Roger.
Qu’en est-il de Mbala ?
M’Bala est le nom d’un fétiche. Quand une femme fait des enfants qui meurent successivement à bas âge, les parents changent de principe de don de nom. Un nom inhabituel, tel celui d’un fétiche ou d’un objet est donné au bébé afin de mettre un terme à la mort successive. ça peut être un fétiche qui a permis à une femme dont les enfants meurent assez tôt d’avoir des enfants qui échappent à ce sort. La longue vie de Roger Gnoan Mbala a permis de voir comment la mort a causé du tort à sa famille et à la société.
En pareille situation quelle est la première réaction chez les Nzema ?
La réaction des Nzema c’est de faire tout ce qui témoigne une grande perte. Les femmes Nzema, source de vie, premières perdantes et endeuillées, ont deux types de pleurs : les pleurs claniques et les pleurs individuels pour le magnifier et lui rendre un vibrant hommage. À ces deux pleurs, s’ajoute un troisième groupe, à savoir, les pleurs muets ou sans texte ou propos ancien. Quant aux hommes, ils vont le pleurer pendant un bon moment par des regrets. Tous ces pleurs permettront d’évaluer l’importance de ce que Roger Gnoan Mbala a été dans la société Nzema et dans le monde du cinéma. Dans la vie politique Nzema, il a assuré une fonction importante et ses qualités ont fait de lui, un homme à part. Les Nzema distinguent la personnalité morale d’un homme dans une fonction de la personne physique qui remplit ladite fonction. Ses qualités et compétences lui ont permis de faire corps avec la qualité morale du « Conseiller du roi », premier ministre. Il a conseillé le « roi » à la maîtrise de soi, au profit de la démocratie, de l’exécution dans l’exécutif. Il a fait autant chez les gouvernés pour la même démocratie. La personnalité morale de « conseiller de roi » s’alliait à Roger Gnoan Mbala, dans l’agir de celui que pleurent les Nzema aujourd’hui. Les hommes de sa trempe ne courent pas les rues.
Gnoan M’Bala était dans la notabilité. Quel était son rôle ?
Gnoan M’Bala était « conseiller de roi ». C’est un groupe de mots appellatif français, probablement approprié, mais qui, dans la culture et civilisation akan matrilinéaire Nzema, est, en réalité, l’équivalent de premier ministre ; le « roi », celui de Vice-Président ; la « reine mère », une femme, cheffe d’État, exerçant le pouvoir exécutif. Roger Gnoan Mbala est, pour les Apolloniens, un grand premier ministre qui est mort. C’est d’autant plus vrai que dans la pratique quotidienne, il a été la personnalité par qui la fonction exécutive et celle d’intérim s’exerçaient naturellement, démocratiquement et constitutionnellement.
Comment est exercé le pouvoir chez les Nzema ?
Le pouvoir exécutif Nzema est exercé, au quotidien, par le « Conseiller de roi » lorsque le « roi », aide de gouvernance de la femme cheffe d’État et, donc vice-président a compris dans son propre intérêt et celui à la fois de la gouvernance, du gouvernement, du peuple et de la démocratie populaire, qu’il n’est ni roi, ni guerrier, ni militaire, ni détenteur d’aucun pouvoir. Un exemple particulier existe, au Ghana Nzema, parmi les « rois » de Benyenli, en la personne d’Amichia. Un autre exemple du même type existe chez les Agni d’Abengourou. Généralement, à la mort de ces personnalités, exceptionnellement démocratique, un siège (trône) de « reine mère », de femme, cheffe d’État, leur est dédié.
Roger Gnoan Mbala a fait ce qui lui était humainement possible afin qu’un tel pouvoir voie le jour à Grand-Bassam, chez les Nzema. Il a « combattu du bon combat ».
Professeur nous voulons voyager avec vous dans la vie de Gnoan M’Bala.
Roger Gnoan Mbala avait un grand sens de la responsabilité ordinaire et politique. Pour lui, un responsable est celui ou celle qui a la charge d’une fonction, qui a un pouvoir lié à cette fonction et s’attèle à bien faire ce qui lui est confié et à jouir de la confiance qui lui a été faite, à travers la bonne appréciation faite de ses actes et actions et la joie de ces appréciateurs. Le responsable est également pour lui, celui ou celle qui reconnaît sincèrement ses torts, ses fautes et accepte de répondre de ses actes et fait des efforts pour ne pas les commettre. Il est celui qui réfléchit, qui pèse les conséquences de ses actes avant de les poser et de ses actions avant de les mener.
C’est dans ces perspectives que Gnoan M’Bala a vécu et a assumé des responsabilités dans la notabilité à Grand-Bassam. De façon majoritaire, il sera dit de lui qu’il a été un homme de responsabilité, de pouvoir naturel, de pouvoir démocratique de type populaire, de culture, des arts et de civilisation. C’est un passionné. Il n’était pas porté sur l’argent. Son passage de la comptabilité au cinéma en est une preuve.
Avant d’être nommé « conseiller de roi », il battait les tamtams de l’Abyssa. Il s’est inspiré de Kundum, un autre nom de l’Abyssa, pour ne citer qu’un seul exemple, pour faire un film.
Avez-vous des anecdotes sur lui ?
Lorsque je voulais faire l’enquête sur l’Abyssa pour ma thèse de doctorat de 3e cycle, proposée thèse d’État, compte tenu du travail accompli, Ahoua Yaw ne voulait pas me faciliter l’accès à certaines données. Il me prenait pour un étranger par mon nom Agbroffi et mon prénom, Diamoi, en réalité Ndiamoi. M’étant destiné à l’anthropologie du terrain, Les données à colliger, recueillir étaient par exemple celles de la conservation effective du tambour, « edombole », entre deux célébrations d’Abyssa. Il s’agit de voir cette conservation et non pas de se la faire raconter. Bref, tout ce qui entoure le tambour mâle m’intéressait au plus haut point. Et Ahoua Yaw n’a pas voulu me laisser accéder à ces données. Chaque fois que je tentais de le faire j’étais refoulé comme un indigne. Et Gnoan M’Bala s’adressait à celui-ci afin qu’il assouplisse ses positions de refus. Il l’a fait en ces termes : « Les jeunes que tu utilises pour empêcher Agbroffi de faire son étude ne s’intéressent pas à l’institution. Ils sont là, tout juste, pour danser et festoyer. Or lui, il s’intéresse à la connaissance approfondie et à l’étude avancée de l’institution. Sans de telles connaissance et étude, l’institution sera perdue ». Malgré ces paroles de sagesse, Ahoua Yaw ne m’a pas permis l’accès. Koffi Edoukou, dignitaire nvavilé, agissait comme Gnoan M’Bala qui m’a dit ceci : « Ecoute, j’ai tout fait mais je constate que Ahoua Yaw ne veut pas te laisser faire ton étude. Bassam n’est pas la seule ville en Côte d’Ivoire où les Nzema célèbrent l’Abyssa. Je te conseille d’aller dans les autres localités de célébration de cette institution ». Et il m’a facilité les entrées auprès d’autres royautés Nzema et les voyages dans d’autres pays pour faire mon étude sur l’Abissa.
Vous relevez toujours ce côté d’homme sage quand il s’agit de Gnoan.
Oui parce qu’il était vraiment un homme sage. C’était autour de 2013. Il s’était posé, avec fracas, le problème de la relégation au second plan de l’immunité critique des poètes-chanteurs de l’Abyssa, en pleine période de célébration de cette Abyssa, période au cours de laquelle la souveraineté et les prérogatives sont retirées à la « reine mère » et au « roi ». Dans l’ensemble de ces graves problèmes démocratiques et constitutionnels, Roger Gnoan Mabala a su, par ses qualités intellectuelles, humaines, morales, culturelles et sociales, aidé à la paix.
Quel hommage lui rendre ?
Un grand hommage doit lui être rendu. Il s’en est allé dignement. Il n’a pas vécu pour rien. Il a servi dignement sa société, son pays et son continent. Est-ce qu’en retour, il a été conséquemment servi ; ses mérites reconnus de son vivant ? N’y a-t-il rien à faire à titre posthume, comme c’est parfois le cas ?
Vous êtes impressionné par la personnalité de cet homme de culture et de civilisation.
Oui. C’est vraiment un grand homme dans la vie politique Nzema. Une année, les Nzema, à Grand-Bassam, s’étaient soulevés contre le roi, au sujet de son intervention dans la candidature de certains candidats. La police est intervenue. Il y a eu des blessés. L’estrade des instruments de musique de l’Abyssa a été incendiée. La tentative d’incendier les tribunes des spectateurs a été empêchée. La population a dit non à la célébration de l’Abyssa. Mais, Gnoan Mbala, avec son calme, a pu, aider par beaucoup de personnes de sa trempe, à calmer les Nzema. Tout le monde est revenu à la paix et le roi n’a pas été destitué, comme avaient demandé certaines personnes.
Je me souviens aussi qu’auparavant, la première « reine mère » qui avait été choisie, devait céder sa place à une autre. Cette idée a posé des problèmes. Roger Gnoan Mbala, premier ministre et, au quotidien, à l’exécutif effectif, a su, aider par beaucoup de personnes, conduire à la paix. À chaque fois, il recourt au mécanisme d’assouplissement des positions inconciliables et irréconciliables. Par ce mécanisme, les personnes en conflit ont pu être amenées à la compréhension, à la concession et à la paix.
Vous ne tarissez pas d’éloges pour lui.
Il est connu comme quelqu’un de très calme, ouvert et qui a le sens de l’organisation. Je sens que les organisateurs de l’Abyssa vont beaucoup le pleurer parce que son décès laisse un grand vide. Lors de la célébration de l’Abyssa, lorsque le peuple Nzema retire la souveraineté et les prérogatives liées au « roi » et à « la reine » c’est Roger Gnoan Mbala, Elia et Nanan Bognan IV qui veillent à l’exerce de cette souveraineté par le peuple lui-même. Pour tous ceux qui ont déjà assisté à une célébration de l’Abyssa, ils ont dû constater qu’il est rare de voir Gnoan M’Bala assis à la tribune. En réalité, son absence se justifie par le fait qu’il veille à ce que tout se passe bien en matière de souveraineté reprise. Mbala et Elia ne sont plus de ce monde. Même si Mbala n’est pas du clan nvavilé, pour ce qu’il faisait lors de la célébration de cette institution, un vibrant hommage doit lui être rendu par les Nvavilé et le Comité Abyssa. Nanan Bognan IV reste le dernier dans cette fonction de veille du bon exercice de la souveraineté reprise par le peuple. Il a besoin d’être aidé. Le travail qu’il fera est différent de celui des policiers. Il s’agit de deux domaines différents.
A quels types d’obsèques allons-nous assister, vu l’importance de l’homme ?
Roger Gnoan Mbala est une importante personnalité des Nzema qui vient de mourir. C’est également, un homme de culture et de civilisation Nzema et moderne, notamment, des arts et de l’action culturelle qui s’en est allé. Pour l’ensemble de ces connaissances et considérations, des obsèques de son rang devaient être organisées.
Réalisé par Sékongo Naoua