La riposte contre la Covid-19 a, certes, perturbé la poursuite du Programme national de lutte contre le paludisme (Pnlp) en Côte d’ivoire. Mais le directeur-coordonnateur de ce vaste programme, Dr Tanoh Méa Antoine, rassure dans cette interview, accordée à VoieVoix De Femme ce vendredi 5 juin 2020.
La structure que vous dirigez, le Programme national de lutte contre le paludisme en Côte d’Ivoire, est chargée de développer les politiques de lutte contre cette maladie qui tue particulièrement les enfants de moins de 5 ans et les femmes enceintes. L’avènement du coronavirus a-t-il influencé votre action ?
C’est une affection inédite ! On n’a jamais vu ça. Une maladie qui arrive et qui exige, pour se protéger, une distanciation sociale. Ce qui signifie que tout notre comportement à l’hôpital change. Avant on recevait un malade à moins d’un mètre. Aujourd’hui on est plus proche des malades comme le souhaite. Parce qu’il faut préserver le personnel soignant. Vous comprenez que cela a imposé un changement dans le paysage du ministère de la santé. Mais nous essayons de nous adapter, en continuons de recevoir et de traiter nos patients dans le respect de cette nouvelle norme.
Quel est concrètement le contenu de votre programme ?
Nous avons à charge de faire la promotion de la lutte contre le paludisme, de faire la mobilisation des ressources pour la lutte contre le paludisme en Côte d’Ivoire. Nous développement des stratégies avec le ministère de la Santé. Nous avons achevé une première étape. Une autre a commencé et est en cours. Une sera entamée en 2021 pour se poursuivre jusqu’à 2025. Le plan national de lutte contre le paludisme est la boussole de tous les acteurs, de tous ceux qui doivent lutte contre le paludisme en Côte d’Ivoire. Nous suivons cette boussole avec tous nos partenaires, l’OMS, l’Unicef, Fonds mondial, et toutes les ONG qui s’intéressent à cette politique. Nous élaborons ce document ensemble avec tous ces acteurs.
Quel bilan pouvez-vous dressez de ce programme aujourd’hui ?
En mars dernier, nous avons fait le bilan de l’année 2019. Ce bilan montrait que le nombre de décès avait baissé. De 2016 à 2020 on a enregistré une baisse des décès de 50%. En 2016, nous étions à 4000 décès. Début 2020, nous sommes descendus à 1641 cas. Nous avons enregistré ces résultats positifs grâce à notre nouvelle stratégie consistant à couvrir toute la Côte d’Ivoire et tous les milieux communautaires. Nous avons les intrants disponibles. Femmes enceintes, enfants de moins de 5 ans et toute personne qui a besoin d’être soignée peut bénéficier de nos soins. Nous avons également renforcé les capacités de nos agents de santé par la formation. Nous avons augmenté la masse crédible des experts du paludisme.
C’était là le bilan au début de l’année 2020, alors que la Côte d’Ivoire n’avait pas encore connu de cas de Covid-19. Aujourd’hui, plus de trois mois après la présentation de ce bilan, qu’est ce qui a changé dans ce dispositif quand on sait que cette pandémie a bousculé tous les secteurs ?
Notre dispositif est resté intact. Mais nous avons constaté une baisse des consultations dans les hôpitaux. Et ce n’est pas seulement pour le paludisme. Les consultations dans les centres de santé ont baissé. Les gens, apeurés certainement par la Covid-19, ne venaient plus pour les consultations. Ce qui fait que nous assistons à une régression des consultations.
Voulez-vous dire que vos activités ont été stoppées ?
Nous avons continué dans la sensibilisation. Nous continuons encore aujourd’hui à dire aux populations de venir dans les centres de santé et que les agents les attendent ; que toute personne qui souffre de fièvre, une femme enceinte qui doit avoir une consultation prénatale, tous peuvent se rendre dans le centre de santé le plus proche. La population médicale est bien présente et les attend.
« Le palu recule avec le développement »
En partant de ce constat de faible taux de fréquentation des hôpitaux en cette période, peut-on déduire que le paludisme va faire beaucoup plus de victimes cette année ?
Nous ne l’espérons pas. Et il est trop tôt dire exactement que cela aura un impact véritable sur l’état du paludisme en Côte d’Ivoire. C’est un peu plus tard, à partir du nombre de cas qu’on aura d’ici la fin du trimestre qu’on pourra dresser un point. Cela va nous conduire à comparer cette période à la période antérieure pour savoir s’il y a une baisse ou une augmentation du nombre de cas de paludisme ou même de décès. Sous réserve des résultats dans les mois à venir, nous pensons que les deux périodes ne devraient pas trop être différentes.
Le taux de fréquentation n’est-il pas lié aux campagnes de sensibilisation contre la Covid-19 qui invite les populations à rester chez elle ?
Il faut comprendre que la population est apeurée et c’est elle-même qui ne vient pas à l’hôpital. Quand on est malade il faut venir à l’hôpital. Les structures sanitaires sont là. C’est juste la façon de faire qui a changé. On comprend que ces changements puissent plus ou moins impacter le comportement des gens. Mais quand on est malade il faut aller à l’hôpital… Sinon, cela pourrait avoir des conséquences dramatiques. Certainement qu’il y a des personnes malades qui ne viennent pas à l’hôpital. Ces personnes peuvent mourir. Il peut y avoir des cas graves ou des décès qui ne soient pas déclarés à l’hôpital… Nous disons aux populations que nous n’avons pas changé de façon de faire. Seulement nous nous sommes adaptés à la situation avec les mesures barrières et le renforcement des mesures d’hygiène. Donc le travail sur lequel nous insistons en ce moment est la sensibilisation.
Justement, lors de la journée internationale du Paludisme, le 25 avril dernier, le directeur général de l’OMS, a attiré l’attention sur le fait que les programmes de lutte contre le palu risquaient d’être perturbés par la riposte contre la Covid-19, et que cela entrainerait des milliers de décès de cette maladie. Avez-vous la même inquiétude ?
Nous avons anticipé en Côte d’Ivoire. Dès que le président de la République a pris les mesures rigoureuses pour lutter contre la propagation du coronavirus en Côte d’Ivoire, nous avons fait un plan de contingence de la lutte contre le paludisme dans le pays.
On devait s’assurer de la disponibilité des intrants partout, de sortes que lorsqu’une personne vient se faire consulter et qu’un cas de palu est diagnostiqué, la personne devait être immédiatement traitée. Donc tout le système de santé, les médecins partout étaient tous prêts à recevoir les malades. Cependant Nous avons fait de telle sorte que la maladie du coronavirus ne soit pas au-dessus du paludisme. Non. Nous avons continué de travailler et à faire passer nos spots publicitaires à la télévision. Parce nous approchions la saison de la pluie, période où on a beaucoup de cas de paludisme. Nous avons anticipé par une sensibilisation accrue. Et nous continuons. Maintenant, c’est de la responsabilité des malades de venir à l’hôpital. Nos agents de santé communautaires (AS), situé à plus de 5 km d’un centre de santé, sont restés sur place. Ils n’ont pas cessé de travailler. Ils se sont surtout occupés des enfants de moins de 5 ans. Ces agents sont dans au moins 80% des districts sanitaires de Côte d’Ivoire. Ils ont reçu du matériel, notamment du gel hydroalcoolique et autres pour continuer à faire leur travail.
Cependant, les inquiétudes de l’OMS se comprennent. Si elle n’interpelle pas, des pays vont abandonner les autres urgences au détriment de la Covid-19. Et la conséquence sera pire en termes de nombre de malades et de décès. Nous, en tant que gestionnaire de programmes, on reste toujours fixé sur notre objectif qui est de combattre le paludisme. Parce que l’Etat de Côte d’Ivoire s’est engagé à réduire les cas de décès du paludisme et nous devons tout faire pour rester dans cette dynamique. Notre objectif c’est de réduire les cas jusqu’à ce qu’on ait 100 cas pour les 25 millions d’habitants que compte le pays.
Que répondez-vous à ceux qui disent que le personnel médical a été mobilisé au tour de la lutte contre la Covid-19, au détriment du paludisme ?
Je m’inscris en faux. Parce que rien n’a changé sur le terrain. Allez partout. Vous ne trouvez pas un centre de santé où des médecins ont été réquisitionnés au détriment du paludisme. Même ici à Abidjan, les médecins qui sont dans les centres de Covid-19 ne proviennent pas de ceux qui travaillent sur le terrain. On n’a jamais pris un pédiatre, un gynécologue de sa place pour le mettre dans un centre de prise en charge de Covid-19. Cette maladie infectieuse est gérée par l’Institut national de santé publique. Ils ont formé tous les directeurs régionaux, départementaux… Tous les médecins ont été formés par vidéo conférence. Quel que soit l’endroit où l’agent de santé se trouve, il sait ce qu’il faut faire en cas de Covid-19 ou de paludisme. Non, le ministre de la Santé n’a pas détourné son regard sur les autres maladies.
En Europe on a assisté à cette mobilisation d’agent de santé autour de cette pandémie ?
Oui. Mais, Dieu merci, la Covid-19 n’est pas à ce niveau chez nous. En Europe, il y a des cas de décès tous les jours et souvent à la minute près. Chez nous, nous avons la chance d’avoir notre population qui résiste encore. Aujourd’hui, nous avons des cas qui ne sont pas aussi gravissimes. Si les décès avaient atteint cette dimension qu’on voit en Europe, on allait avoir besoin de mobiliser beaucoup plus de personnes. Mais aujourd’hui, l’équipe qui travaille suffit largement pour la prise en charge des malades atteints du coronavirus.
Dans votre programme vous vous êtes fixés des objectifs de réduction, noire d’élimination du paludisme d’ici 2025 ou 2030. Ce programme est-il encore tenable ?
Oui, je le pense bien. Aujourd’hui, nous sommes en train de valider les financements de 2021 à 2023. Nous avons déjà bouclé avec l’un des partenaires de 2021 à 2022, nous allons finir avec le Fonds mondial sur celui de 2021 2023… Cela veut dire que le ministère de la Santé travaille.
Le ministre de la Santé, le Dr Eugène Aka Aouélé ne dort pas pour cela. Il mobilise les ressources pour cela. Il est toujours avec nous sur la mobilisation des ressources. Et il fait la même chose pour tous les autres programmes, tuberculose, VIH… Il se bat sur tous les fronts pour la disponibilité des ressources.
Pensez-vous qu’un jour on parlera d’une Afrique ou plus particulièrement d’une Côte d’Ivoire sans palu ?
C’est l’objectif. Il y a des pays qui ont éliminé le paludisme. Et nous pouvons également y arriver. Mais pour y arriver, il faut un bon changement de comportement au niveau de la population. Cela suppose que les gens acceptent de dormir sous la moustiquaire imprégnée, que la population accepte de venir à l’hôpital lorsqu’elle contracte le paludisme pour bénéficier gratuitement du traitement. Et que les femmes acceptent de faire leurs consultations prénatales pour se protéger et protéger leurs enfants. Il faut également s’assurer de la disponibilité des intrants pour tous les malades.
Voulez-vous dire qu’il y a souvent des difficultés au niveaux de la disponibilité des intrants ?
Non. Pour le moment non. Je veux dire qu’il faut maintenir la disponibilité des intrants. Et que cela soit constant. Aujourd’hui, on arrive à couvrir entre 80 et 90% des villages. Si nous arrivons à faire ça, et nous sommes convaincus d’y arriver, il y aura une évolution dans notre combat contre le palu.
Mais j’insiste surtout sur le changement de comportement à tous les niveaux. Que tous ceux qui interviennent dans la lutte contre le paludisme, le ministère de l’Environnement, le ministère de la construction, les collectivités locales…Que tous s’impliquent effectivement. Je les invite à rendre propre notre environnement. Parce que le paludisme recule avec le développement. Si nous avons des villes et des villages propres, où il n’y a pas de nids de moustiques, de pneus usagers qui vont regorger de l’eau propice pour les nids des moustiques, si on a asséché toutes ces flaques d’eau, si on a dégagé tous ces gites larvaires et que notre environnement est propre, je vous assure que d’ici 2025 ou au plus tard 2030, nous pourrons être parmi les pays qui ont éliminé le paludisme.
Réalisé par Ténin Bè Ousmane