A l’occasion du mois Octobre Rose dédié à la lutte contre le cancer du sein, Docteur Mévo Seton Jean-Luc, cancérologue au CHU de Treichville, fait L’état des lieux en Côte d’Ivoire. Ce spécialiste traite plusieurs dizaines de cas repartis dans différents endroits en ce moment. Interview.
Nous sommes dans le mois de la lutte contre le cancer du sein. Quel est l’état des lieux en Côte d’Ivoire ?
Le cancer du sein en Côte d’Ivoire se dépiste de plus en plus tôt. Contrairement aux années précédentes où les cas que nous rencontrions étaient vraiment avancés avec des ulcérations. Aujourd’hui, ces cas ont considérablement diminué.
Avec la radio thérapie, on arrive à améliorer la survie de nos patients. Il y a également des avancées sur la sensibilisation. On rencontre de plus en plus de femmes et jeunes filles qui viennent spontanément se faire dépister quand elles ont des soucis et même quand elles n’en ont pas au niveau du sein. Elles n’attendent pas le mois de la lutte contre le cancer du sein. Puisqu’en cancérologie on ne parle pas de guérison, mais de rémission, en ce moment, nous avons beaucoup de patientes en rémission. On a fait le traitement et les contrôles, il n’y a pas de signe de récidive. Elles sont en surveillance.
Quels sont les signes qui doivent alerter ?
Dès qu’on constate un changement inhabituel au niveau des seins, qu’il s’agisse d’une rougeur, d’une déformation, d’une rétraction au niveau du mamelon, ou d’une induration d’une partie de la peau. Un aspect de peau d’orange ou un écoulement au niveau du sein, il faut impérativement consulter un médecin. En ce qui concerne l’écoulement, il faut préciser qu’il s’agit d’un écoulement en dehors de la période des règles. Parce que pendant cette période, ces changements physiologiques apparaissent au niveau des seins.
Quels est la tranche d’âge la plus exposées au cancer du sein ?
La plupart des cas survient entre l’âge de 45 ans et 65 ans. Il s’agit là du cancer du sein sporadique parce qu’il y a la forme héréditaire et sporadique. En Côte d’Ivoire comme ailleurs, le cas de cancer sporadique est élevé. Le cancer héréditaire représente 5 à 10% des cancers du sein.
La forme sporadique est liée à une imprégnation hormonale prolongée. Une jeune fille qui a une puberté précoce, avant 12 ans et une ménopause tardive après 55 ans, est une personne qui a eu une longue imprégnation hormonale, elle a été exposée pendant longtemps aux hormones. Et c’est l’action répétée des hormones sur les cellules au niveau du sein qui va finir par entrainer le cancer du sein. Quant à la forme génétique, à partir de 30 ans déjà, le risque est important.
Comment se fait la prise en charge des patientes ?
Au service de cancérologie, les patientes qui viennent sont orientées au secrétariat pour un rendez-vous. Elles seront reçues ensuite par un médecin qui va les examiner et demander des examens para clinique un peu plus poussés. C’est généralement la mammographie ou l’éco mammographie, en fonction de l’âge et de l’aspect du sein. Ensuite, s’il y a une lésion qui apparaît, il peut demander des examens comme la biopsie ou la micro biopsie. Si les résultats sont en faveur du cancer du sein, il fera un bilan d’extension pour localiser la maladie et voir si elle s’est étendue dans d’autres endroits du corps. Après, une décision thérapeutique sera prise. Elle se prend généralement en réunion de concertation pluridisciplinaire regroupant plusieurs spécialistes en plus des cancérologues.
Le traitement du cancer dure combien de temps ?
Cela dépend du stade. Si le mal est localisé, en ce moment il faut prévoir environ 6 mois à un 1 an sans la surveillance. La surveillance se fera sur environ 10 ans. Au départ, c’est chaque 3 mois, ensuite chaque 6 mois, il y a des contrôles que le patient fera. Puis, une fois par an jusqu’à ce que le médecin déclare le patient rétabli de son cancer en fonction des examens complémentaires. Pour les cas métastatiques le traitement est à vie. Le but du médecin, c’est de transformer la maladie en maladie chronique, donc c’est toute la vie.
Quels sont les dépenses afférentes ?
Nous ne pouvons pas donner de coût réel, parce qu’il y a plusieurs cancers du sein. Cela va dépendre des résultats de l’immunohistochimie et du stade de la maladie. En général, quand le cancer est localisé, quand il n’y a pas de métastase, il faut prévoir environ, 300 000 FCFA au minimum par séance de chimio y compris les facteurs de croissance. Il faut 6 séances à cure de chimio. Il y a la radio thérapie qui se fait quand la maladie n’est pas avancée. Elle coûte 50 000F la séance pour 20 séances donc 1 000 000FCFA. Il faut compter au moins 3 000 000 FCFA pour un cancer qui est localisé. En ce qui concernent les cancers du sein métastatiques, c’est encore plus compliqué ça va dépendre des résultats de l’immunohistochimie. Aujourd’hui en plus de la chimio thérapie nous disposons de la thérapie ciblée, il y a aussi immunothérapie qui a fait son entrée. Ces thérapies coûtent vraiment cher. Il faut compter plusieurs millions pour des séances avec une thérapie ciblée ou une immunothérapie.
Le traitement du cancer du sein est coûteux, partout aussi bien en Europe, qu’en Afrique. En Europe, les malades bénéficient de l’assurance et d’autres avantages que nous n’avons pas encore. L’une des choses qui fait que le traitement est cher. C’est le fait que nous ne fabriquons pas les médicaments. Ils sont importés. Mais, par rapport aux années précédentes, il y a une grande amélioration. Il y 5 ans ou 6 ans, les médicaments coûtaient vraiment cher, la boîte de 80 milligrammes de docetaxel revenait à un peu plus de 200 000 FCFA. Aujourd’hui on peut l’avoir à 35 000FCFA.
Nous connaissons tous les réalités du pays. Es ce que dans ces conditions, les patientes arrivent à faire face à toutes ces dépenses ?
Malheureusement, c’est très difficile pour nos malades de faire face à ces dépenses. Demander à quelqu’un de préparer 300 000 FCFA pour une séance de chimio de cancer, même s’il est localisé, ce n’est pas donné à tout le monde. Beaucoup de familles se cotisent mais c’est vraiment difficile.
Il y a-t-il d’autres difficultés qu’elles rencontrent en dehors des dépenses?
Elles sont d’ordre familial. Les patientes cachent souvent leur diagnostic de peur d’être rejetées par leur famille. Beaucoup de personnes continuent de croire que le cancer est contagieux. Certains maris, font chambre à part avec leur épouse. Beaucoup de femmes acceptent peu le fait d’avoir cette maladie. Elles ont besoin de suivit psychologique.
Face aux difficultés financières et familiales relevées par nos patientes. L’idéal serait qu’elles puissent avoir des soins gratuits. Du moment où on a dépisté et diagnostiqué un cancer du sein. C’est vrai qu’on a beaucoup entendu parler de gratuité du cancer de sein en Côte d’Ivoire. Certains médicaments étaient gratuits, mais le traitement en lui-même ne l’était pas. Aujourd’hui, les médicaments ne sont plus gratuits.
Quant aux problèmes familiaux, il faut continuer la sensibilisation, que tout le monde comprenne que le cancer n’est pas une fatalité, qu’il réalise que un cancer n’est pas contagieux, que les patientes ont besoin de l’encouragement et du soutien de leur entourage. Les femmes décèdent à cause de leur situation familiale, malheureusement.
Quels sont les besoins spécifiques pour une prise en charge parfaite ?
Je préfère qu’on dise une prise en charge adéquate ensuite on tendra vers la perfection. Pour une prise en charge adéquate, il nous faut un renforcement du matériel de diagnostic et de traitement du cancer du sein. Aujourd’hui nous disposons de matériels pas en quantité suffisante. Nous n’avons pas assez de matériels pour réaliser l’immunohistochimie. Ce qui fait que les résultats prennent beaucoup de temps. Il faut attendre plusieurs semaines. Avant c’était plusieurs mois, mais maintenant c’est plusieurs semaines. Quand bien même nous avons le matériel, il est très souvent défectueux ou bien, il est excessivement cher pour nos patientes. Pour un scanner que nous demandons très souvent aux patientes, il faut débourser 120 000 FCFA à l’hôpital public.
Il y a aussi des appareils importants, dans le traitement que nous n’avons pas au public et même en Côte d’Ivoire.
Qu’on puisse avoir accès à tous les médicaments qui interviennent dans le cancer du sein, qu’il s’agisse des médicaments utilisés pour la chimiothérapie, pour les thérapies ciblées, ou l’immunothérapie.
Quels conseils voulez-vous donner aux femmes ?
Pratiquer l’auto examen, c’est la première manière de dépister le cancer. Les femmes et jeunes filles doivent être capables de le faire. Il faut rendre visite une fois par an à un médecin. Il peut arriver qu’en faisant elles-mêmes leur auto examen du sein, elles n’arrivent pas à détecter un changement. Il est bien de consulter des spécialistes pour un examen beaucoup plus poussé. Encore, cette recommandation-là est plus importante pour les personnes qui ont eu dans leur famille, une maman, une tante, une sœur, qui a souffert de ce mal.
Il faut vivre de manière sobre. Eviter tous les abus, les aliments trop gras, l’état sédentaire. Il faut pratiquer le sport, éviter le stress qui est un facteur de risque de tous les cancers, l’abus d’alcool, c’est aussi un facteur de risque du cancer du sein.
Pendant le cycle du traitement, il faut respecter les recommandations du médecin. Après le traitement, il ne faut surtout pas oublier les visites régulières au médecin pour des contrôles. Voici le conseil que je peux donner à ces femmes en ce mois dédié à la lutte contre le cancer du sein.
Interview réalisée par Marina Kouakou
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