Depuis 2019, Mlle Adja Assana Bakayoko, chargée d’étude à la direction de l’Autonomisation de l’emploi des jeunes et de la coopération, dirige l’association ‘‘Albinos J’assume’’. Dans une interview qu’elle a accordée à VoixVoie De Femme, le 9 septembre 2020, la présidente de cette association de promotion des personnes vivant avec l’albinisme, évoque leurs difficultés et leur résilience quotidiennes.
Vous êtes albinois et il y a plus d’un an, vous avez créez une association pour la promotion des albinos. Pourquoi avez-vous créé cette association ?
Cette association s’appelle ‘‘Albinos, j’assume’’. J’ai été présidente de la Jeune chambre internationale universitaire à Abidjan. Et pendant mon mandat, je constate que depuis l’histoire de notre organisation, il n’y avait jamais eu de présidente albinos. Je me suis dit si moi, albinos, j’arrive à ce niveau, pourquoi ne pas organiser une activité en faveur de la communauté des personnes albinois. J’ai émis l’idée. C’était difficile au départ de la faire accepter par mes amis de la Jeune chambre. Parce qu’ils n’avaient pas l’habitude de côtoyer des personnes en situations de ce type de handicap. Mais j’ai réussi à leur faire accepter cette idée de mener des activités communautaires en faveur des albinos. Alors, en définitive, je me dis, pourquoi ne pas créer une organisation qui va travailler avec les personnes atteintes de l’albinisme. C’est ainsi que depuis 2019, j’ai créé cette association dénommée ‘’ Albinos J’assume’’.
Combien de membres comptez-vous dans cette association ?
A un an d’existence, nous sommes une dizaine. Mais nous travaillons avec notre cible qui rassemble tous les albinos. Lorsque nous organisons des activités, nous rassemblons entre 100 et 200 personnes.
Avez-vous les chiffres sur les personnes touchées par l’albinisme en côte d’Ivoire ?
Selon le recensement de la population ivoirienne qui date de 2014, les chiffres révèlent qu’on a près de 7 000 personnes albinos sur l’étendue du territoire de la Côte d’Ivoire.
Vous êtes albinos. Pouvez-vous décrire vos difficultés et ce qui fait qu’on vous range dans les groupes des handicapés ?
Quand on est albinos, on se rend compte de la différence qu’il y a entre nous et les autres au regard de la couleur de la peau. Et quand on va plus loin, l’albinos a des difficultés pour voir de près comme de loin.
Donc imaginez une telle personne qui va à l’école et qui n’arrive pas à voir au tableau comme les autres enfants et qui a une peau différente… Il y a cette différence qui s’installe entre ces enfants et les autres. Et très souvent les enseignants eux-mêmes ne comprennent pas ce que ces enfants vivent. D’autres mêmes assimilent ses difficultés à la paresse !
Quand j’étais au primaire, je me levais carrément pour rejoindre le tableau de très près pour copier mes cours. Souvent, c’est pendant la recréation ou après-midi, que je recopiais mes cours.
C’était difficile, mais j’ai eu le soutien de ma famille pour passer le cap du primaire. A partir de la sixième c’était plus facile pour moi parce que là-bas, les professeurs dictent les cours. Et ce sont seulement les mots difficiles qui sont écrits au tableau. En sixième, ma voisine était une cousine qui connaissait mon problème, dont j’arrivais à copier sur elle facilement. Et comme j’avais de bonnes notes, les professeurs m’aidaient à me mettre à jour.
Au supérieur, en première année, c’était un peu difficile, parce que les places de devant étaient déjà occupées, mais j’ai insisté à rester devant…
En plus, il y a le regard de la société et les croyances dans nos sociétés africaines sur les albinos. Certains disent que les albinos sont des sorciers, d’autres pensent que ce sont des génies. Dans la rue, l’albinos fait l’objet de toute forme de regards stigmatisant. C’est vraiment difficile et c’est tout cela qui fait que la personne albinos se voir en marge de la société. Nous nous sentons marginalisés.
Des croyances font état de ce que les albinos ont des pouvoirs magiques. Ce qui fait qu’ils sont souvent l’objet de sacrifices humains. Que pensez-vous de ces croyances ?
En Côte d’Ivoire, le tableau n’est pas aussi sombre. Mais il y a beaucoup de pays où ces croyances font des ravages. C’est le cas de la Tanzanie, le Cameroun… Les sacrifices humains sur les albinos sont en fait une réalité. Il suffit de faire quelques recherches sur internet pour s’en rende compte. Beaucoup d’albinos sont assassinés à cause de certaines parties de leurs corps…
En Afrique du Sud par exemple, une croyance dit que quand un malade du Sida sort avec une femme ou un homme albinos, il guérit immédiatement de cette maladie. Donc dans chaque pays, il y a ce genre de croyances qui sont liées à la situation des albinos.
En Côte d’Ivoire ces croyances existent, même si ce n’est pas assez développé comme dans d’autres pays. Les cas en Côte d’Ivoire remonte à 2018, où une femme politique, aurait tenté de prendre d’un petit garçon albinos. Dieu merci, elle a été arrêtée et l’enfant a été sauvé.
Il y a beaucoup de croyances comme ça. Nos parents nous disent par exemple de ne pas laisser nos cheveux n’importe où. Parce que les gens les utilisent pour devenir riche et en retour c’est l’albinos dont les cheveux ont été utilisé qui en pâti.
Vous y croyez ?
En tout cas je fais attention à mes cheveux. Et je pense que je croie à 100 pour 100 que c’est quelque chose qui existe. Je fais très attention.
Nous sommes en période électorale. Des rumeurs sont souvent véhiculées à propos de sacrifices humains, visant notamment les albinos en cette période…
Oui. Nous avons peur. Chaque matin quand on sort de la maison, on a la peur au ventre. Mais en même temps on prie Dieu et il nous protège. Depuis cette affaire d’élection, nous faisons l’effort de rentrer tôt à la maison ou d’être dans des endroits où il y a toujours du public.
« Nos vies sont constamment en danger »
Que fait ‘‘Albinos j’assume’’ face à menaces ?
Chaque fois qu’on se retrouve entre nous albinos, on en parle toujours. On n’attend pas forcément une situation précise d’élection pour en parler. Mais on se dit que nos vies sont constamment en danger. Et nous faisons cette sensibilisation tout le temps. On doit toujours faire attention à nos moindres faits et gestes. On n’attend pas une situation particulière pour en parler pour que chacun reste sur ses gardes.
Comment votre association compte résoudre ses difficultés à l’avenir ?
J’ai décidé de miser plus sur les enfants albinos. Parce que ce sont les enfants qui grandissent et qui deviennent des hommes et des femmes que nous sommes aujourd’hui. Nous misons vraiment sur ces enfants. Parce qu’il faut les suivre pour ne pas qu’ils prennent un autre chemin. Je fais tout pour que tous ces enfants albinos ne se sentent jamais abandonnés.
Vous savez, c’est difficile d’être albinos. Parce qu’il y a ce que tu vois que tes parents ne voient pas. Et y a ce que tu vis que tu ne peux pas dire à tes parents. Nous allons vers ses enfants pour leur dire que c’est possible d’intégrer la société. Et quand ils nous voient, albinos comme eux, franchir tous ces obstacles pour réussir, cela les encourage. Partout où je passe, je leur dis que c’est difficile. Mais c’est possible de surmonter les obstacles et que je suis là pour leur apporter mon soutien, à travers l’association ‘’Albinos J’assume’’. Je leur dis qu’au fur et à mesure qu’ils grandissent, ça va changer.
Au-delà des enfants, je m’attarde sur les femmes. Mes sœurs albinois sont beaucoup dans les petits métiers. Et comme elle ne sont pas bien organisées et bien structurer, elles ne peuvent pas aller loin, bien qu’elles aient toute la volonté. Je les assiste, je leur donne des formations.
Et je leur dis surtout qu’elles peuvent bien réussir, bien qu’elles n’aient pas été à l’école, où l’avoir abandonnée pour toutes les difficultés qu’elles ont connues. Je leurs dis qu’elles peuvent réussir dans ces domaines. Et je leur donne des exemples.
Un dernier mot ?
C’est de remercier votre magazine VoixVoie De Femme de me donner l’opportunité de parler de la personne albinos et en même temps de mettre en avant la femme en situation de handicap… Je veux terminer pour dire qu’être une personne handicapée, ce n’est pas une fatalité. Parce que chacun à ses capacités, ses qualités et ses défauts. Qu’on soit handicapé ou non. Il faut accepter ce que Dieu t’a donné et aller de l’avant.
Réalisée par Ténin Bè Ousmane
1 Commentaire
Merci à VoixVoie de femme pour cet article. VoixVoie de femme s’engage auprès de l’association » Albinos, j’assume. » D’accord avec vous « Être albinos n’est pas une fatalité. »