Présidente du Réseau pour la défense des droits des enfants et de la femme (Riddef), Chantal Ayémou tente d’expliquer pourquoi les femmes battues se résignent au silence.
Les violences sur les femmes sont de plus en plus récurrentes depuis ces derniers mois. Comprenez-vous cette recrudescence ?
Les gens en parlent peut-être un peu plus maintenant. Mais il faut dire que les violences faites aux femmes sont une réalité dans notre pays. Malheureusement.
Avez-vous des chiffres sur ce phénomène de femmes battues, surtout en cette période de couvre-feu ?
Malheureusement, en Côte d’Ivoire, c’est très difficile d’avoir des chiffres. L’année dernière, nous avons enregistré deux décès. Nous avons suivi des victimes cette année, à partir de janvier, donc avant le couvre-feu. Nous avons traité dix cas de violences faite aux femmes. Et depuis le mois de mars, nous avons enregistré cinq cas de femmes qui ont été jetées dehors par leurs conjoints.
Est-ce que ce sont ces femmes qui viennent vers vous ?
Certaines victimes appellent à l’aide. Maintenant quand nous appelons pour le suivi, elles désistent.
Comment avez-vous réagit face à la vidéo rendue publique le jeudi 17 avril dernier, montrant une femme en train d’être abandonnée depuis le 2éme étage d’un immeuble à Yopougon par son conjoint ?
Vous avez vu les réactions de condamnation sur les réseaux sociaux… Et la réaction de la police n’a pas tardé.
Mais, la victime n’a également pas tardé à faire une autre vidéo pour plaider en faveur de la libération de son mari… et à le présenter plutôt comme celui qui tentait de la sauver…
Il fallait s’attendre à cette réaction de la dame. Parce qu’elle voit la pression de la famille de son conjoint et de sa propre famille. Ce sont des réalités qui sont difficiles à vivre pour la plupart des victimes. Elles se disent que quand le mari violent est arrêté, on dira que c’est elle qui a gâché sa vie. Et surtout le regard des autres, notamment des familles. Ce n’est pas facile pour les femmes. Chez nous en Afrique les femmes ont tendance à se préoccuper plus de trouver un foyer que de leur indépendance. Très souvent, elles ne se soucis pas de leurs études qui doivent les conduire à cette indépendance. Ce qui est grave. Elles subissent toutes formes de violences, mais de peur de perdre leur foyer, elles se résignent à subir.
Dans cette affaire, on a vu des avocats défendre le conjoint arrêté par la police, et soutiennent la nouvelle version de la victime...
Il y a eu des témoins. Le propriétaire de l’immeuble, un homme d’un certain âge, a dit être intervenu directement dans l’incident pour tenter de ramener le concubin à la raison. Il y a eu plusieurs autres témoins.
Quelle sera la valeur de ces témoignages face à la réaction de la concernée, qui, elle-même, blanchi son bourreau ?
Au niveau de la justice, les témoignages ont leurs places. Des cas similaires à cet incident ont déjà été traités. Vous savez que les normes sociales ont la peau dure. C’est un travail de longue haleine. L’une des préoccupations c’est qu’en Côte d’Ivoire, nous n’avons pas de centre de refuge. Nous, notre priorité c’est de plaider auprès du gouvernement pour avoir un centre de refuge pour ces femmes victimes de violences.
Quelles sont les solutions que vous proposez pour mettre fin à ces violences ?
Il faut surtout que les victimes témoignent ; qu’elles aient le courage de dévoiler les violences dont elles sont victimes. Une sensibilisation auprès des populations est également importante. Ils faut que les populations, les voisins ne se fassent pas complices de ces actes de violence. Mais il faut surtout un changement de mentalité. Cela part d’abord de l’éducation de la jeune fille. Il faut tout faire pour que les filles ne dépendent pas exclusivement de leur mari. Il faut les amener à comprendre que le mariage n’est pas une fin en soi. Ce n’est pas à cause d’un mariage qu’une femme doit accepter de se faire battre, jusqu’à mort… Je vous ai dit que nous avons enregistré deux décès l’année dernière.
Dans l’affaire de Yopougon, quelle issue entrevoyez-vous ?
La Côte d’Ivoire a une stratégie institutionnelle de lutte contre les Violences Basées sur le Genre (VBG). Elle est composé de plusieurs organes à savoir, le Comité national de lutte contre les VBG, le comité central de supervision, la cellule de lutte contre les VBG, les comités régionaux et les plates-formes VBG. Aujourd’hui, même si la victime ne se plaint pas, d’autres personnes ayant constaté les violences peuvent témoigner. Et la justice a la possibilité de s’auto-saisir. Pour ette affaire dont vous parlez, les ONG de défense des droits de l’homme, notamment de la femme, s’organisent pour que justice soit rendue.
Ténin Bè Ousmane