En Côte d’Ivoire la présence de marginaux et autres malades mentaux dans les rues ou espaces publiques relève de la banalité. L’équipe de reportage de VoixVoie De Femme découvre que le phénomène prend de l’ampleur.
A Abidjan, les malades mentaux squattent les places publiques, les carrefours et disputent les trottoirs avec les piétons. Ils sont facilement reconnaissables par leur apparence : vêtements en lambeaux, chevelure épaisse non entretenue… Depuis ces dernières années, on voit de plus en plus de malades mentaux errer dans les rues de la capitale économique ivoirienne. Une présence qui angoisse souvent les passants. « Nous avons peur d’être agressés. Vous savez qu’ils sont par moment violents et imprévisibles », soutient M. G, un usager. « C’est un phénomène qui prend de l’ampleur dans nos sociétés. Cela affecte le regard de la société sur les personnes en situation de handicap. Le trouble mental qu’ont ces personnes et qui jonchent les rues », dénonce Joël Dally, consultant en communication de Personnes en Situation de Handicap (PSH).
Il regrette de constater que ces malades soient de plus en plus abandonnés dans les rues surtout par les familles. « On les voit presque partout. Selon certains experts, ce phénomène est dû à l’irresponsabilité parentale. Certains parents abandonnent leur progéniture par manque de moyens. Aussi, mal orientés, ils ne savent à quel saint se vouer pour l’encadrement de ces personnes », explique-t-il.
Pourtant les services d’accueils existent bien en Côte d’Ivoire. Selon les résultats d’une enquête présentés le 21 janvier 2021 à Bouaké par le Programme national de santé mentale (PNSM), 35 établissements conventionnels ouvrent leur portes à ces handicapés. Ils y sont soignés. L’enquête révèle également 541 autres structures non conventionnelles, mais spécialisées en santé mentale qui existent sur le territoire national.
En 2019, l’HPB ( Hôpital Psychiatrique de Bingerville ) a enregistré 3107 nouveaux malades.
Malgré la présence de ces centaines de centres d’accueil, la plupart des grandes villes ivoiriennes comptent leurs ‘’fous’’ errants. Pour Bakayoko Souleymane, administrateur civil, ce sont les systèmes de soins de ces personnes malades qui posent problème. « L’errance des malades mentaux est aggravée par la pauvreté dans certaines familles », explique-t-il. Il ajoute aussi la méconnaissance de la maladie par ces familles dès le début. «Il y’a des troubles qui sont souvent évidents, mais les proches préfèrent être dans le déni ou ignorer simplement à cause des préjugés. Et quand ça devient grave, on préfère s’en débarrasser », explique-t-il.
Quand bien même les malades sont conduits dans les centres de prise en charges, ils ne sont pas à l’abri. C’est ce qu’a attesté le directeur de l’hôpital psychiatrique de Bingerville dans une émission à la Télévision nationale ivoirienne. « Nous avons beaucoup de patients abandonnés par les parents. Nous avons beaucoup de patients récupérés dans les rues à travers des réquisitions », révèle le Dr Hamadou Diomandé. Et même rétablis, la plupart des malades mentaux ne sont plus véritablement intégrés dans la famille. « Quand le service social ramène le malade en famille après guérison, on lui dit souvent qu’on ne le reconnait pas, qu’il n’est pas de la famille. On nous dit, faites-en ce que vous voulez. On n’en veut plus… Pourtant personne n’est à l’abri de la maladie mentale », révèle le Dr Diomandé.
« Les parents ont honte d’avoir l’un des leurs dans cette situation », regrette Dr Diomandé. Pourtant fait-il remarquer, « tout malade mental peut être stabilisé. Les populations doivent comprendre que les maladies mentales peuvent être guéries ».
L’une des difficultés relevées par les spécialistes, c’est l’insuffisance de spécialistes en psychiatrie, capables de prendre en charge les malades. « En Côte d’Ivoire, le nombre de psychiatres atteint à peine 100 médecins.
Pour Joël Daly, c’est au pouvoir public de prendre leur responsabilité. « Le ministère en charge des Affaires sociales devrait mettre en place des services d’Accueil pour venir en aide aux familles vulnérables », plaide le Consultant PSH.
« Cette population n’est pas sérieusement prise en compte en Afrique. Pourtant le continent regorge d’assez d’atouts pour la prise en charge de ces personnes handicapées. L’Etat, avec ses partenaires, pourrait mettre en place des Foyers de vie pour handicapés comme on le fait en Europe. Les Foyers de vie, parfois appelés Foyers occupationnels, mettent en œuvre des soutiens médico-sociaux destinés aux adultes handicapés qui disposent d’une certaine autonomie », propose M. Dally.
Ténin Bè Ousmane avec Bekanty N’KO ( stagiaire)