Acké Marie Sylvie Lucien est Docteur en histoire sociale option de la criminalité, et Chercheur. L’historienne spécialiste des questions d’insécurité spécifiquement en milieu urbain, qui croit fermement que la gent féminine a un rôle essentiel à jouer pour éradiquer le phénomène de l’insécurité en Côte d’Ivoire, analyse par ailleurs dans cette interview le système de sécurité dudit pays.
Vous êtes historienne Chercheur, spécialiste des questions d’insécurité en milieu urbain. Comment définissez-vous l’insécurité ?
L’insécurité a plusieurs angles. Le lexique de sociologie de la 4ème édition éditée à Dalloz en 2013 défini l’insécurité comme une conséquence de la violence commise. On parle d’insécurité lorsque quelque part, la violence est commise et crée la psychose chez les populations. L’insécurité est aussi caractérisée par l’usage de la force physique. La brutalité, le crime, le harcèlement, la violence psychologique ou verbale, afin d’imposer sa propre volonté à une personne.
On parle d’insécurité quand il existe dans une localité ou une ville la récurrence dans les commissions d’actes délictuels. Ainsi s’installe chez les populations, les riverains, la peur d’être victimes d’agressions venant d’individus ou de bandes organisées.
Pouvez-vous nous en dire plus sur votre rôle en tant que spécialiste des questions d’insécurité en milieu urbain ?
Il y a l’insécurité en milieux urbain (villes, métropoles), milieu rural, c’est-à-dire dans les villages et l’insécurité de manière générale. En ce qui me concerne je suis spécialiste de l’insécurité en milieu urbain. Mon métier consiste à analyser dans le temps puisque je suis historienne, les facteurs qui produisent des fléaux urbains relatifs à l’insécurité et à proposer des solutions pour enrayer l’insécurité. Voici mon champ d’action. Je suis donc à même d’analyser sur une certaine période les facteurs de la montée de l’insécurité, et de dire pourquoi ce phénomène est difficile à enrayer, et quelles solutions nous proposons en tant que chercheur de l’insécurité pour endiguer ce phénomène.
Et quels sont les facteurs de l’insécurité grandissante à Abidjan ?
L’insécurité qui sévit à Abidjan est à l’instar des grands centres urbains dans le monde. On observe généralement que dans les différents pays, l’insécurité est très forte dans les centres urbains, c’est-à-dire dans les capitales à cause de plusieurs facteurs. Ces facteurs sont dans bien de cas liés à l’urbanisation. Le phénomène d’urbanisation accéléré rime avec l’insécurité. L’insécurité à Abidjan est quand même prévisible, car les facteurs qui favorisent la montée de l’insécurité sont présents. Il s’agit de l’effritement des valeurs traditionnelles en milieu urbain. Aujourd’hui les populations ne sont plus attachées aux valeurs traditionnelles telles que le respect, la pudeur…
De la présence des jeunes déscolarisés (ivoiriens ou des jeunes venus de la sous-région). Ces jeunes gens (filles et garçons), sont en quête d’un bien-être social par tous les moyens. A côté de cela, il y a un relâchement d’une politique sociale de l’Etat envers la jeunesse. C’est vrai qu’on parle d’emploi jeunes, de réinsertion, mais la politique sociale de l’Etat est quand même légère, donc favorise l’insécurité.
La prolifération des stupéfiants sur les marchés est également un facteur d’insécurité à Abidjan. Aujourd’hui, on trouve de la drogue un peu partout, dans la capitale comme ailleurs. Récemment il y a eu plusieurs saisies de tonnes de kilogrammes de cocaïnes. Lorsqu’une personne est sous l’effet de stupéfiant, elle est prête à tout pour obtenir gain de cause.
Le chômage qui est très accentué aujourd’hui. L’insécurité ne concerne pas seulement les jeunes déscolarisés. Elle concerne aussi ceux qui sont allés à l’école et qui ne peuvent pas se prendre en charge socialement. Quand ils sont souvent approchés et se retrouvent dans des groupes, des gangs, ils vont commettre des actes délictuels pour se prendre en charge et se nourrir.
Tant que ces facteurs que nous avons cités ne sont pas considérablement réduits, l’insécurité sera le quotidien de la population abidjanaise, c’est un peu comme une relation de cause à effet. Tant qu’on n’agit pas sur les causes, il n’y aura pas de répercussion sur les effets. Ça ne sert à rien de faire des campagnes, de traquer les bandits dans les rues tant qu’on ne va pas à l’origine du fléau de l’insécurité.
Il y a-t-il des précautions à prendre pour se protéger au mieux ?
Il faut éviter les zones criminogènes. C’est-à-dire les zones où il y a l’insécurité. Or dans la ville d’Abidjan, il existe plusieurs communes criminogènes notamment, Abobo, Adjamé et autres. Il est évident que ces communes ne peuvent se vider de leur population. Quelques personnes nantis quittent ces quartiers pour questions d’insécurité, mais les autres restent là. C’est la raison pour laquelle nous estimons que la lutte contre l’insécurité est l’affaire de tout le monde, l’Etat, les populations…
L’Etat à travers des campagnes de répressions de grand banditisme, doit organiser des patrouilles de façon récurrentes. Cela peut dissuader un peu les bandits. Il doit vraiment mettre en place une véritable politique sociale basée sur l’immersion, c’est-à-dire être au contact des populations. Il y a aussi le rôle des familles. Une société, c’est l’ensemble de plusieurs familles.
Pour une lutte efficace, chaque famille à son niveau, à un rôle important à jouer dans la lutte contre l’insécurité et le terrorisme. En cela, le rôle de la femme est indéniable.
Pourquoi selon vous, le rôle des femmes est essentiel pour lutter efficacement contre le phénomène de l’insécurité ?
Je suis pionnière d’une étude. Une thèse qui a été réalisée sur plusieurs années depuis l’année 1980 à l’année 2000. Il a été question dans ce document d’analyser l’insécurité de ces deux décennies à Abidjan et dans d’autres villes de la Côte d’Ivoire. On s’est rendu compte que la répression et l’emprisonnement ne font que réduire momentanément l’insécurité. Mais, celle-ci regagne en intensité dans un laps de temps. Nos travaux ont permis de conclure, une inclusion réelle des femmes dans la lutte contre l’insécurité en milieux rural et urbain. Aujourd’hui, on fait justement la promotion des femmes parce que la majorité des personnes a compris que la femme a un rôle important à jouer sur tous les aspects du développement.
Que doivent-elles faire de façon spécifique ?
Il est important de mettre en place une cellule d’écoute constituée essentiellement de femmes quelques soient leurs religions. Dans un quartier par exemple, lorsqu’on identifie un jeune délinquant, on peut approcher sa mère et l’associer à la sensibilisation auprès des jeunes gens contre l’insécurité. Il faut aussi mettre en place une cellule de femmes, criminologues, sociologues, anthropologues, historiennes et journalistes pour qu’ensemble, on puisse approcher les jeunes gens et comprendre les motifs de l’insécurité.
Il y a des centres d’insertion c’est vrai, mais il serait intéressant que les femmes que nous sommes allons au contact de ces jeunes, dans les familles, pour faire aussi des sensibilisations sur l’insécurité comme la covid, et le palu…
Nous devons aller dans ces familles, pour associer les mamans, et leur faire comprendre que c’est un travail non rémunéré, mais qui va permettre de réduire l’insécurité, parce qu’aujourd’hui tout le monde paie le prix fort. On doit attirer l’attention de l’Etat sur les familles des bandits afin que celles-ci accompagnent les structures adéquates dans la lutte contre l’insécurité.
Nous les femmes devront organiser un forum de réflexion sur notre contribution à la lutte contre l’insécurité et le terrorisme, parce que nous sommes les premières victimes de l’insécurité. Les femmes représentent la couche sociale la plus vulnérable. Quand il y a agression ou décès, c’est soit l’enfant d’une femme ou le mari d’une femme quelque part. Tout repose sur la femme, c’est pour cela qu’il est important pour les femmes de s’impliquer dans la lutte contre l’insécurité.
Si nous nous organisons en cellule, en forum, on peut partager l’information au fur et à mesure et ensuite faire de la sensibilisation. Voici comment les femmes peuvent agir et intervenir pour régler le problème de l’insécurité à Abidjan et même en Côte d’Ivoire.
La suite de l’interview dans la prochaine parution du 16 au 22 août 2021.
Interview réalisée par Marina Kouakou