Malgré l’existence de ces instruments législatifs, la pratique n’est pas suffisamment réprimée.

Il y a cinq mois, le 6 février 2020, le monde entier commémorait la Journée internationale de lutte contre les Mutilations génitales féminines (MGF). Journée décrétée par l’Assemblée générale des Nations Unies pour rappeler que la pratique de l’excision devait être totalement abandonnée. Pourtant en Côte d’Ivoire, on trouve des artifices pour poursuivre ce mal.

 

Les mutilations génitales sont-elles une fatalité sous nos tropiques ? En tout cas, la pratique persiste dans plusieurs villes ivoiriennes, malgré les sensibilisations contre « l’ablation totale ou partielle des organes génitaux féminins externes ». A Gagnoa, centre-ouest ivoirien, où officiellement aucun cas n’a été enregistré l’an dernier, la pratique résiste selon le directeur du Centre social, Kouadio Molière. Interrogé ce jeudi 18 juin 2020. Selon lui, les fichiers de l’institution qu’il dirige, ne mentionnent aucun cas de victime d’excision. Le même chiffre de zéro cas enregistré figure également dans le rapport fait par le Centre social localisé dans la sous-préfecture d’Ouragahio.

Pourtant la réalité est tout autre. L’excision se pratique bel et bien au sein de certaines communautés ethniques que Kouadio Molière ne nomme, de peur de les stigmatiser.

Fait accompli

Le travailleur social se base sur des constats réguliers faits par ses collaborateurs et lui-même, lorsque les mères accompagnent leurs bébés pour des visites médicales. « Au cours de la pesée, nous réalisons que des fillettes ont été excisée. Parce que pour la pesée, l’agent de santé demande à la mère de déshabiller son enfant. La visite corporelle permet généralement de découvrir que le bébé a subi cette pratique. Pourtant cela est condamné par la loi », révèle le responsable du centre.

Il ajoute que contrairement aux autres genres de Violences basées sur le genre (VBG) comme le viol par exemple, où les langues se délient facilement, l’excision reste une pratique qui est rarement dénoncée. L’interdiction de l’excision est adoptée depuis 1998 en Côte d’Ivoire. La loi n°98/757 promulguée le 23 décembre 1998 prévoit que toute atteinte à l’intégrité des organes génitaux d’une femme, par voie de mutilation totale ou partielle, excision, désensibilisation ou tout autre pratique, si elle s’avère sanitairement néfaste, est passible d’une peine d’emprisonnement de un à cinq ans et d’une amende allant de 360 000 à 2 millions de FCFA, soit d’environ de 550 à 3 060 euros.

La peine est portée de cinq ans à 20 ans d’emprisonnement si la victime meurt des suites de son opération. Si la procédure est effectuée par un médecin, il risque jusqu’à cinq ans d’interdiction de pratique professionnelle. Faut-il noter que ces mutilations sont généralement pratiquée par une exciseuse traditionnelle avec des lames… Elles peuvent aller d’une simple scarification à l’ablation partielle ou totale du clitoris et des lèvres, excision, voire à la suture des lèvres pour fermer la vulve, infibulation.

Les engagements de la Côte d’Ivoire

Plusieurs textes internationaux condamnant la pratique des MGF ont été ratifiés par la Côte d’Ivoire notamment la Convention sur les droits de l’enfant (CDE), la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination envers les femmes (Cedef), la Charte africaine sur les droits et le bien-être de l’enfant, la Charte africaine sur les droits humains et ceux des populations et le Protocole additionnel sur les droits des femmes (protocole de Maputo).

Malgré l’existence de ces instruments, la pratique n’est pas suffisamment réprimée. Selon Kouadio Molière, ni la police, ni la gendarmerie, encore moins une tierce personne n’a saisi son Centre pour un quelconque cas d’excision.  En Côte d’Ivoire, le taux de prévalence est de l’ordre de 36 à 38%, selon le ministère de la Femme, de la Protection de l’enfant et de la Solidarité. Dans les zones Ouest, Nord-Ouest et Nord, il touche plus de 70% des 15-49 ans mais ce taux décline dans les régions Centre, Sud et Est, quoiqu’existant, en raison des migrations transfrontalières.

La dernière enquête conduite en 2019, par l’Institut national de la statistique (INS) révèle la persistance de cette pratique néfaste dans certaines régions. C’est le Nord-Ouest qui vient en tête avec 75,2% de cas quand 73,7% des victimes se recrutent dans le Grand-Nord. L’Ouest totalise 62,1% des filles excisée. Vient ensuite le Centre-Nord avec 42%. Le Sud-Ouest fait 39,1% tandis que le Centre-Ouest, dont la ville de Gagnoa, fait 34,8%.

« Nous ne sommes au courant de cette pratique que lorsque le mal est déjà fait. C’est le cas des enfants qui fréquentent notre centre. Là, nous sommes impuissants », regrette le patron du Centre social de Gagnoa. Devant pareille situation, M. Kouadio se résigne à la sensibilisation de la mère. « Au lieu d’arrêter la mère et la conduire à la police pour infraction à la loi, nous préférons lui parler. Nous faisons passer notre message par la sensibilisation de la mère. Nous espérons qu’une fois à la maison, elle sert de relai auprès de son mari », dévoile Molière. La stratégie du Centre social pour combattre cette coutume ancestrale. Par occasion, les agents du centre social, à en croire son directeur, organisé des tournées de sensibilisation dans des quartiers de la ville. « L’objectif est de communiquer au maximum sur les dangers de l’excision pour la fille. Cela, pour amener les parents à tourner le dos à cette pratique. Au risque d’être puni par la loi », a soutenu notre interlocuteur.

Alain Kpapo à Gagnoa

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