Malgré les efforts du gouvernement ivoirien, les personnes en situation de handicap restent discriminées. Quand on est une femme, les inégalités sont doublement ressenties.
I.P, 28 ans, s’est éteinte le 13 février dernier, le Brevet de technicien supérieur (BTS) en main ! Sans jamais trouver du travail. Elle s’était pourtant investie. Elle avait surmonté son handicap moteur, pour décrocher ce BTS commercial depuis bientôt 10 ans. En Côte d’Ivoire, rare sont les femmes handicapées qui parviennent au supérieur. L’heure était enfin venue pour elle de récolter les fruits de ses efforts en faisant valoir son diplôme… Mais, la réalité était tout autre. Depuis plusieurs années, elle n’a pas eu de chance. Elle continuait d’espérer… jusqu’à ce qu’elle soit immobilisée par la maladie, dans son quartier de Koumassi.
I.P n’a pas survécu à ce mal pernicieux qui la rongeait depuis plusieurs mois. « Elle est décédée faute de soins », témoigne Cécile Konan, la présidente de l’Union nationale des femmes handicapée de Côte d’Ivoire (Unhci).
Comme I.P, beaucoup de femmes handicapées connaissent le même sort, malgré leur niveau d’étude. « Elles sont encore bien nombreuses, les membres de notre union, qui ne trouvent pas du travail et qui se débrouillent pour vivre », fait savoir M. Konan.
Ce vendredi 14 février 2020, quand la présidente de l’Unfhci nous reçoit dans son bureau à Abidjan-Plateau, elle nous présente un registre de plusieurs membres de son organisation qui n’arrivent pas à trouver du travail. Elle estime à plus de 1000, le nombre de femmes handicapées diplômées ou non qui militent dans son organisation. « Plus de 70% d’entre elles sont au chômage ».
Les efforts du gouvernement, toujours insuffisants
Les recrutements dérogatoires de l’Etat ne prennent qu’une infime partie de femmes handicapée. 30% du nombre très restreint des personnes handicapées recrutées, conformément à la mesure dérogatoire qui favoriser ce recrutement à la Fonction Publique. Cette loi, adoptée en 1997, n’était pas toujours appliquée. Mais depuis ces trois dernières années, le gouvernement ivoirien fait des efforts notables. Il a recruté successivement 150, 200, et 300 handicapées en 2018, 2019, et 2020.
En mai dernier, lors d’un panel, le directeur de la protection des personnes handicapées au ministère de l’Emploi et de la protection sociale, révélait que l’Etat n’a recruté qu’un peu plus d’un millier de handicapés (hommes et femmes) depuis 1997. « 1165 personnes handicapées ont fait leurs entrées à la Fonction publique depuis 1997 à ce jour », avait précisé Victorien Koné. Selon le quota de 30% appliquée en faveur des femmes handicapée, ce sont seulement quelque 400 femmes qui en ont bénéficié. Depuis plus de 20 ans.
Un code d’embauche jamais respecté par le privé
« Nous remercions le gouvernement pour ces efforts. Mais nous attendons encore plus d’aide parce que, la grande majorité des femmes handicapées meurent au chômage », fait remarquer Cécile Konan. Selon elle, le secteur privé devrait imiter la Fonction publique en recrutant les handicapées. Là également des textes existent. Un code d’embauche institue un quota pour les personnes handicapées dans le secteur privé. Ce code, issu d’un décret présidentiel, stipule qu’à moins de 100 employés, toute entreprise privée devrait embaucher un handicapé ; à plus de 100 personnes, on applique le taux de 2%. « La mesure n’a jamais été respectée dans le privé », dénonce Mme Konan.
Pourtant, des acteurs du secteur privé s’en défendent. Bamba Souleymane est le chef d’une entreprise qui revendique 150 employés. « Nous recherchons des hommes et femmes aptes et compétents, souligne l’opérateur économique. Vous comprenez que les handicapés ne peuvent pas faire certains métiers … » Un avis que Cécile Konan rejette du revers de la main. « Il est démontré, rétorque-t-elle, que pour certains métiers, les personnes handicapées sont plus performantes que les personnes normales. Pour ces métiers, il est conseillé de privilégier l’embauche des personnes handicapées. Dans les services, les handicapées sont souvent les plus assidues. Et une fois au travail. Elles restent à leur poste… contrairement à une personne normale qui pourrait être tentée de se déplacer fréquemment de bureau en bureau. Cela permet de gagner du temps ».
Femme handicapée ou femme ‘‘gâtée’’ ?
La présidente de l’Union des femmes évoque aussi la stigmatisation liée à la culture ivoirienne. « Culturellement, en Afrique et particulièrement en Côte d’Ivoire, la personne handicapée est une personne considérée comme ‘‘gâtée’’, abimée. Dans ma langue maternelle, c’est comme cela qu’on désigne une handicapée. Quand quelque chose est gâtée, personne n’en veut. Malheureusement, il y a encore des personnes qui continuent de croire à cela ».
Les handicapées espèrent une application plus stricte de la loi d’orientation en faveur des personnes handicapées et le décret déterminant les conditions de l’accès à l’emploi des personnes handicapées dans le privé. Cet arsenal législatif renvoie à des décrets d’application qui sont toujours en attente. « Nous attendons ces décrets d’application de ces textes », plaide Tiéhi Dérou Laurent, de l’ONG Espoir Handicap. Selon ce dernier, ces décrets d’application rendront contraignant le respect du code de recrutement dans le secteur privé. Toute chose qui permettra d’insérer ces centaines de femmes handicapées « qui meurent dans le dénuement total en Côte d’Ivoire ». Comme I. P, qui a été conduite à sa dernière demeure dans l’intimité familiale.
« La mort est certes naturelle. Tout le monde y passera, concède Cécile Konan. Mais la pauvreté et le chômage accélère la mort de nombreuses femmes handicapées ».
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OTBO