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Concubinage: le calvaire des veuves

Elles sont nombreuses, ces femmes qui vivent en concubinage avec des hommes. Une relation qui se passe bien jusqu’au jour où, par malheur, l’homme vient à décéder. C’est là que commence toute la galère de la veuve.

Nous sommes dans le premier trimestre de l’année 2020. Le couple que nous nommons Gnahoua vit en union libre, dans un village de la sous-préfecture de Sérihio, dans le département de Gagnoa. Comme la plupart des couples en zone rurale, monsieur et madame Gnahoua vivent des activités champêtres. Notamment la culture du café et du cacao qui leur ont permis de se réaliser.

Contre toute attente, le mari rend son dernier souffle. Il n’en faut pas plus pour que les parents du défunt vident la maison conjugale de tous ses biens. Télévision, lits, réfrigérateur, ventilateur… Tous les biens matériels sont mis sous scellés par les parents de l’homme. Cerise sur le gâteau, la veuve est sommée de libérer la maison où elle vivait depuis plusieurs années avec son homme. « Nous sommes souvent saisis de ce genre de situation. Au niveau des droits de l’homme, nous classons cette affaire dans la catégorie de déni de ressources », a témoigné Moussa Diarrassouba, président régional du Conseil national des droits de l’homme (CNDH). La structure qu’il dirige a été informée sur le cas Gnahoua. Les démarches entreprises ont connu un dénouement favorable devant la justice. « Le premier jugement a été prononcé en faveur de la veuve », se félicite le défenseur des droits de l’homme.

L’union libre est un phénomène récurrent dans notre société. Selon la Juriste Mathilde Weudji, en Côte d’Ivoire, les concubins ne bénéficient d’aucune protection légale à la différence des conjoints mariés. « Le conjoint survivant concubin n’est pas un héritier au regard de la loi numéro 2019-573 du 26 juin 2019 relative aux successions et ce, quel que soit le lien incontestable de leur attachement. Les concubins ne se doivent rien. Pas de succession, pas d’héritage », clarifie la juriste. Toutefois, la spécialiste précise qu’il est toujours possible de léguer des biens à son concubin par voie testamentaire.

 Le déni de ressources, d’opportunités et de services

On parle de déni de ressources, d’opportunités et de services, par exemple, lorsqu’on empêche une femme de recevoir une parcelle de terre en héritage, lorsque les revenus d’une personne sont confisqués par son compagnon intime ou un membre de sa famille, lorsqu’une femme se voit interdire l’usage des moyens de contraception, lorsqu’on empêche une fille d’aller à l’école…

Si dame Gnahoua a eu gain de cause, c’est bien parce que les autorités judiciaires en charge de l’affaire sont initiées au VBG. Ce qui n’est pas le cas pour des milliers d’autres femmes, qui vivent la même situation dans le silence.

En effet, le déni de ressources, d’opportunités et de services fait partir des Violences Basées sur le Genre (VBG), c’est-à-dire tout acte nuisible, préjudiciable perpétré contre le gré de quelqu’un, et qui est basé sur des différences socialement prescrites entre hommes et femmes, filles et garçons. Il existe 6 types de VBG à savoir le viol, les agressions sexuelles, les agressions physiques, le mariage forcé, le déni de ressources, d’opportunité ou de service et la maltraitance psychologique, émotionnelle.

En côte d’Ivoire, des plateformes de luttent contre les VBG a été mise en place sur toute l’étendue du territoire par le gouvernement.60 au total, ces plateformes contiennent des acteurs de différents domaines notamment, les médecins, les travailleurs sociaux, les juristes. Cette stratégie de lutte contre les VBG est une initiative du comité national de lutte contre les violences faites aux femmes et aux enfants sous la tutelle du ministère de la Femme, de la Famille et de l’Enfant.

Selon l’enquête Rapport national : CI-GBVIMS, 727 cas de déni de ressources, d’opportunités et de services ont été dénombrés en Côte d’Ivoire en 2018. Néanmoins, la loi ne reconnait pas encore le concubinage.

Une loi pour le concubinage?

Est-ce crainte de représailles de la belle famille ? Dame Ottro Ozoua, a fait le choix de la résignation. Après le décès de son concubin, avec qui elle vivait dans un village, ses 4 enfants et elle, ont été mis à la porte par les villageois, rapporte le président de la commission régionale des droits de l’homme. Ozoua se retrouve locatrice d’une maison « Entrer-Coucher » dans un quartier de la ville de Gagnoa. Démunie, elle n’a pu scolariser ses rejetons. Pis, ses filles se sont retrouvées dans la prostitution, afin d’aider leur maman à subvenir aux charges familiales.

Une triste réalité qui a fini par attirer l’attention de l’opinion publique. Zady Clémentine en a fait écho jeudi dernier, lors d’un atelier de sensibilisation des femmes sur le processus électoral, la citoyenneté et la culture de la paix. Pour la présidente de la fédération des femmes agricultrices de Gagnoa, l’État de Côte d’Ivoire doit être regardant sur cette situation des femmes victimes de déni de ressources. Mieux, madame Zadi souhaite qu’une loi soit votée en faveur du concubinage. « Je formule une doléance pour que le gouvernement ivoirien officialise le concubinage », plaide la présidente des femmes agricultrices. « Que le ministère de la femme, la famille et de l’enfant, nous aide dans ce sens. Il faut voter une loi pour reconnaître le concubinage », martèle Clémentine. Ses propos ont été soutenus par Koudou Dénis, chef de Garahio, village communal de Gagnoa. Le chef traditionnel en sait mieux que quiconque. Étant donné qu’il a été confronté plus d’une fois à ce genre de situation.

De son côté, Mathilde Weudji préfère que cette situation peu reluisante du concubin qui ne peut venir à la succession de son conjoint décédé puisse interpeller fortement les couples à s’unir conformément à la loi afin de leur assurer une sécurité juridique.

Alain Doua

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